«Un jour, j'ai reçu le mail d'une soignante que je devais recevoir», nous raconte Magali Briane, psychiatre-addictologue et médecin coordinateur de l’hôpital de jour de la clinique Mon Repos (Ecully). «Cette patiente me demandait de ne pas l'appeler par son prénom, elle expliquait qu'elle porterait un masque, un chapeau, des lunettes... Ce mail dit la peur de la population pour les soins en santé mentale», explique la psychiatre. Cette crainte participe aussi d'une prise en charge tardive des soignants. Les professionnels de santé qui arrivent à la clinique Mon Repos se trouvent souvent dans des situations de grande détresse émotionnelle. «Il y a la peur de me rencontrer, la peur du jugement, la peur de croiser, parfois, un collègue, un patient», poursuit Magali Briane. C'est l'une des raisons pour lesquelles l'équipe a pris soin «d'externaliser la prise en charge» des soignants, qui sont reçus dans une unité dédiée. «Nous sommes aussi vigilants à ne jamais mettre dans les mêmes groupes thérapeutiques des gens susceptibles de se connaître», souligne Magali Briane.
Les soignants mettent du temps à demander de l'aide
Une autre raison explique cet appel au secours tardif : «C'est très compliqué pour les soignants de se sentir vulnérables. On apprend tous pendant nos études que pour être un bon soignant il faut être fort, qu'il faut pouvoir absorber la souffrance de l'autre. Tout cela nous renvoie un peu une image de super héros, qu'on n'est pas». Une croyance qui contribue à «enfermer les soignants» dans une image figée qui explique qu'ils «mettent du temps à demander de l'aide».
C'est ce qui est arrivé à Géraldine, infirmière anesthésiste depuis 20 ans, qui a fait un burn-out professionnel et une dépression. «Je n'ai pas vu venir du tout, ça s'est passé sur un mot de trop, je me suis mise à pleurer et c'était terminé», raconte cette infirmière depuis 28 ans qui peine encore à mettre des mots assez forts pour décrire son état. «C'était comme une implosion à l'intérieur de moi, tout s'est cassé, c'est comme si j'avais été anéantie». Pour elle qui s'est toujours perçue «comme quelqu'un de solide, sur qui on pouvait compter», c'est la sidération.
Une prise en charge en trois temps
Le dispositif de la prise en charge comporte plusieurs étapes : d’abord un temps d’apaisement émotionnel pour aider les patients à se poser, à s’apaiser, avec des ateliers de relaxation, de sophrologie, avant d’explorer les raisons qui ont déclenché leur mal-être. Certains ateliers sont ainsi destinés à la compréhension du fonctionnement psychique : «Quels sont par exemple les facteurs de risques au cours de notre vie, qui peuvent venir mettre du sens sur la genèse de l'épuisement professionnel ?» détaille Florent Girin, psychologue-addictologue au centre de jour. «Comment est-ce qu'on réagit face aux émotions ? Quels comportements met-on en place et quelles pensées sont associées à nos émotions ? Comment enfin ces pensées, dans certaines situations, font-elles perdurer la détresse émotionnelle ?»
L’atelier dédié au burn-out explore aussi les spécificités de la profession soignante, en identifiant des traits de personnalités propres aux professionnels de santé : «les idéaux exigeants, le perfectionnisme, l'abnégation», confie Capucine Giorgi, psychologue, qui note aussi des conditions particulières communes : «le fait de rentrer dans l'intimité du patient ou d'être confrontés à des choses pas évidentes».
Je n'ai pas vu venir du tout, ça s'est passé sur un mot de trop, je me suis mise à pleurer et c'était terminé
La dernière partie de la prise en charge est davantage dédiée à la prévention : des outils sont délivrés pour que les patients puissent agir sur leurs comportements et vivre ainsi plus sereinement leur quotidien. «Comment je me positionne quand j'ai un stress très important ? Quand j'ai des ruminations anxieuses qui se manifestent ? Tout ça, on apprend au cours du parcours de soin à le réguler, et on peut les redéployer après à l'extérieur», assure Florent Girin.
L’équipe, pluridisciplinaire, compte des psychiatres, des psychologues, mais aussi une art-thérapeute sophrologue et même depuis peu une orthophoniste. Dans les situations de burn-out et d’épuisement professionnel, des troubles neuro-langagiers ou des troubles des fonctions exécutives peuvent subsister. Une atteinte qui peut s’avérer très pénalisante, par exemple pour une reprise professionnelle.
Un mois, 18 mois... selon les besoins
La prise en charge dépend du besoin de chacun. Un mois, 18 mois, le temps nécessaire pour mettre en place de nouveaux comportements qui éviteront aux professionnels de revenir à une situation de déstabilisation.Trouver de l’aide au plus tôt, avant la situation de crise : c’est l’un des objectifs du long travail entrepris. Certains soignants réintègrent leurs services, d’autres changent d’unités et même de métier, mais tous disent mieux se connaître, être capables d’identifier les signes de mal-être et savent désormais qu’ils peuvent appeler au secours.
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