Quelles sont les techniques qui permettent de modifier les états mentaux de manière contrôlée, et pour quelles indications ? Quel bénéfice pour les patients ? Comment la recherche et l’hôpital intègrent-ils ces outils ? Quelles en sont les limites ? C’est à ces diverses questions qu’ont répondu des experts dans le cadre d’une webconférence de l’Inserm*. Car la méditation comme l’hypnose sont des techniques de concentration très poussées ; deux processus de conscience qui ne sont pas la conscience ordinaire.
Deux techniques en lien avec la conscience
Pour Dominique Frau, pratiquante de méditation, cette méthode est « un entraînement qui nous permet de contrôler et rediriger nos pensées surtout lorsqu’elles sont gênantes, envahissantes. Elle apporte de la clarté à l’esprit ainsi que de l’apaisement.…On a plus conscience de nos pensées, de ce que l’on fait, de nos émotions et sensations corporelles. » Et Gaël Chételat, neuroscientifique, au laboratoire Physiopathologie et imagerie des maladies neurologiques (unité 1237 Inserm/Université de Caen Normandie) de compléter : « On entraîne son esprit à être conscient, présent, à porter son attention sur un objet précis. » Quant à l’hypnose, il s’agit d’un « processus de conscience non ordinaire qui amène une focalisation de l’attention : on est dans ses pensées et en même temps on arrive à se détacher de ce qu’il y a autour de soi. En hypnose, l’esprit critique change ; on devient plus crédule et l’on accède à sa mémoire un peu différemment », précise Marie-Elisabeth Faymonville, médecin-anesthésiste-réanimateur, responsable du Centre de la douleur du CHU de Liège et pionnière en Europe de l’hypnose à l’hôpital.
Des effets avérés
Longtemps boudées, ces deux méthodes ont désormais franchi le seuil des laboratoires de recherche. Pour expliquer l’intérêt croissant pour les techniques de méditation, lesquelles « vont peut-être cibler plus directement anxiété, stress, dépression… », la neuroscientifique de l’Inserm pointe deux raisons majeures : d’une part la standardisation et l’occidentalisation de certaines techniques de méditation (Mindfulness-based stress reduction par exemple) , d’autre part « le fait que de plus en plus on s’intéresse au bien-être, à la réduction des aspects psychoaffectifs qui viennent polluer la qualité de vie dans un mode vie de plus en plus actif et stressant ». Quant à l’hypnose, « c’est l’avènement des outils de neuro-imagerie fonctionnelle qui a donné du crédit à ce type de recherche », relève sa consoeur médecin-anesthésiste-réanimateur car jusqu’alors cela était très subjectif. Et d’ajouter : « Le fait d’utiliser l’hypnose comme technique d’anesthésie a probablement ouvert les portes »… et donc amené à s’interroger sur ce qui se passait réellement.
La médecine intégrative est l'association des médecines conventionnelles et complémentaires (aussi appelées médecines "alternatives" ou "douces") dans une approche scientifique validée, centrée sur le patient avec une vision pluridisciplinaire (définition proposée par le Collège universitaire français de médecines intégratives et complémentaires (Cumic).
Apparu dans les années 1990 aux États-Unis, le concept de la médecine intégrative est né du constat de l'évolution des modes de vie et de la nécessité de concevoir une approche centrée sur l'humain des soins de santé. En France, des centres de médecine intégrative viennent peu à peu officiellement compléter les parcours de soins dans les hôpitaux.
Source : Institut de médecine intégrative et complémentaire (IMIC)
Des métanalyses ont montré les effets bénéfiques de la méditation dans différentes conditions cliniques psychiatriques (dépression, anxiété…), dans les douleurs chroniques ainsi que les addictions.
Quelles applications dans le champ de la santé ?
« Des métanalyses ont montré les effets bénéfiques de la méditation dans différentes conditions cliniques psychiatriques (dépression, anxiété…), dans les douleurs chroniques ainsi que les addictions. Son usage permet tout à la fois de réduire les symptômes de ces maladies et accroître le bien-être » précise Antoine Lutz, neuroscientifique, du Centre de recherche en neurosciences de Lyon (unité 1028 Inserm/CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1).
Autre champ d’application possible de la méditation : celui du vieillissement, même s’il s’agit encore « d’un domaine de recherche très nouveau et donc encore balbutiant » poursuit Gaël Chételat, évoquant ainsi une vaste étude interventionnelle menée dans six pays européens dans laquelle des novices de la méditation âgés de plus de 65 ans ont été amenés à méditer pendant dix-huit mois (avec des exercices en groupe et individuels) et dont les données pour voir les effets sur leur cerveau, leur sommeil, leur style de vie sont actuellement en cours d’exploitation.
Concernant l’hypnose, on sait qu’elle présente un intérêt manifeste lors de la prise en charge en bloc opératoire. « Des études cliniques ont permis de confirmer que le fait d’éviter l’anesthésie générale, et de permettre au patient d’être confortable pendant une chirurgie, diminue la fatigue après l’opération et donner également une plus grande stabilité (au niveau des paramètres cardiaques et pulmonaires) pendant et après la chirurgie que lorsque l’on opère sous sédation intraveineuse », relève de son côté Marie-Elisabeth Faymonville, entraînant par là même une meilleure récupération. Petit bémol toutefois : toutes les chirurgies ne s’y prêtent pas.
L’hypnose a une action directe sur le réseau de la douleur
L’hypnose, comme la méditation, ont également prouvé leurs bienfaits au niveau du ressenti de la douleur. « La douleur est moins perçue sous hypnose que lorsqu’on est en conscience normale. On peut dire qu’elle a une action directe sur le réseau de la douleur » explique ainsi Marie-Elisabeth Faymonville. Même chose pour la méditation qui « permet », selon D. Frau, « avec un entrainement régulier, de diriger notre attention sur un point en laissant de côté l’autre ». Ainsi est-il possible de « se séparer de l’attention à la douleur ». Et quand bien même la douleur ne s’en va pas, « il n’y a pas de surenchérissement. On accepte aussi beaucoup plus la douleur lorsque l’on est en méditation car on apprend à focaliser son esprit sur un autre support, sur autre chose ».
« Le chirurgien doit être d’accord d’opérer sur un patient conscient puis de pratiquer une anesthésie locale dans le territoire dans lequel il opère. C’est lui qui décide si cela est possible ou pas en fonction de la lésion » explique Marie-Elisabeth Faymonville. Si tel est le cas, le patient se rend en consultation d’anesthésie et on lui explique que l’on va utiliser la technique de l’hypnose ainsi qu’une faible dose de médicaments antidouleur en cours de route, sachant que le principe est qu’il reste conscient et confortable. Le jour J, le patient se rend au bloc opératoire à jeun (au cas où il faudrait le passer sous anesthésie générale) et on met en route la surveillance classique comme pour toute anesthésie. « On propose au patient de choisir un évènement agréable (vacances, voyage…) et la voix de l’anesthésiste l’accompagne alors dans ce vécu tandis qu’il est surveillé par un monitoring classique. Une fois qu’il a “glissé” en hypnose, il est alors dans son monde intérieur et passe d’un voyage à l’autre en ayant accès à sa mémoire. Le chirurgien peut travailler en ayant réalisé une anesthésie locale, notamment pour les chirurgies de la thyroïde, les ablations du sein, les hystérectomies et chirurgies vaginales ».
Auto-apprentissage et formation : des précautions à prendre
Pour autant, est-il facile de méditer ou d’apprendre l’autohypnose ? Si la méditation s’avère « un entraînement mental accessible à tous » encore faut-il aussi en avoir « la volonté, l’intention » ou encore « être conscient que l’on a une cascade de pensées » rappellent les spécialistes. S’agissant de l’hypnose, si on peut « apprendre à se mettre facilement » dans cet état, en revanche la prudence est de mise quant au choix des thérapeutes et/ou des formations dédiées : « On peut apprendre l’hypnose avec quelqu’un qui est formé mais il faut évidemment être prudent avec qui on le fait car on diminue son jugement critique, l’analyse et le raisonnement. Il faut se référer à des organisations pour apprendre l’autohypnose avec généralement le désir de diminuer un symptôme », insiste Marie-Elisabeth Faymonville.
En méditation comme en hypnose, il est important d’avoir des enseignants qui incarnent la pratique et suffisamment d’expérience et d’éthique
Un avis largement partagé par A. Lutz : « En méditation comme en hypnose, il est important d’avoir des enseignants qui incarnent la pratique et suffisamment d’expérience et d’éthique. De nombreux diplômes universitaires de médecine portent désormais sur la méditation. Il y a ainsi toute une génération de médecins formés à ces pratiques de pleine conscience et de bienveillance, et l’on voit bien comme graduellement cela impacte certains aspects de la médecine. L’intérêt se fait jour de mettre en place dans les hôpitaux des programmes de méditation pour les soignants pour qu’ils puissent se poser, recharger les batteries mais aussi progressivement pour les patients ».
Prudence face aux possibles effets indésirables
Toutefois, « cette sorte de révolution silencieuse n’est pas encore très encadrée au niveau institutionnel », poursuit-il. Une prudence qui s’impose d’autant plus que ces thérapies complémentaires peuvent générer des effets indésirables ou avoir de réelles contre-indications comme, par exemple, « dans certains contextes tels un choc affectif fort, un deuil, un traumatisme… ». Des profils qui nécessitent alors « de suivre des programmes de méditation adaptés » en étant notamment « accompagnés à la fois par un enseignant de méditation et un soignant (psychologue, psychiatre) ». Et Marie-Elisabeth Faymonville de renchérir : « Dans bon nombre d’hôpitaux, et particulièrement au CHU de Liège, nous avons utilisé la technique d’apprentissage d’autohypnose pour les patients ayant une problématique de douleurs chroniques et/ou ceux en oncologie ». Toutefois bien sûr faut-il « utiliser l’outil à bon escient ». Ainsi par exemple « pour les personnes qui vivent des états dissociatifs (c’est-à-dire non connectés à la réalité), je dirai qu’il faut être professionnel de santé spécialisé dans cette problématique pour la leur proposer ».
Quant à savoir si les applis dédiées à ces méthodes sont ou non une bonne porte d’entrée, là encore il faut jouer la carte de la prudence. Car si l’accessibilité est sans conteste facilitée, il n’en est souvent pas de même du suivi ou du feedback parfois difficile voire inexistant alors même que l’utilisateur ne sait pas s’il va ou non dans la bonne direction ! À noter en tout cas que l’Inserm est en train d’en développer une consacrée à la méditation (Cf l’avancée du projet sur silversantestudy.fr) laquelle permettra des échanges avec des experts de la méthode.
*conférence organisée le 26 janvier 2023
• Institut de médecine intégrative et complémentaire du CHU de Bordeaux
Des consultations d'hypnose clinique et thérapeutique, et des programmes de méditation de pleine conscience sont proposés pour les patients et le personnel hospitalier au sein de cette unité du pôle de neurosciences du CHU de Bordeaux.
• Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves (CFHTB)
• Association pour le développement de la Mindfulness (ADM)
• Centre de lutte contre le cancer Léon Berard à Lyon
Des experts du CLB répondent via plusieurs webinaires dédiés aux nombreuses interrogations portant sur l’utilisation en oncologie des thérapies complémentaires.
• CHU de Caen, département universitaire de psychiatrie
Le Pr Pascal Delamillieure, chef de clinique au CHU de Caen, propose notamment un programme (laïc) qui comprend la pleine conscience mais aussi de la bienveillance et de la sagesse.
• Centre régional psychotraumatisme Normandie (CHU de Caen)
L'étude CALM-NiPS, coordonnée par le Pr Eric Bui, cherche à démontrer l'efficacité de la méditation de pleine conscience sur les symptômes de deuil prolongé et à identifier les mécanismes neurobiologiques associés.
A lire : Les fabuleux pouvoirs de l'hypnose, de Betty Mamane (éditions Librio et Belin)
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