Cet article est issu d’un travail de réflexion mené avec des étudiants en exercice (infirmiers et cadres infirmiers) lors de leur formation en Master « Audit Expertise Soins » durant l’année 2005-2006 à l’institut Supérieur MONTSOURIS de Paris.
Le débat actuel sur le « transfert des compétences » nous a amené à réfléchir sur les pratiques de soins de terrain. Il nous a donné l’opportunité de travailler à la construction d’un objet d’étude « les pratiques dites avancées », de questionner la fonction d’« infirmière dite praticienne » et d’« infirmière dite clinicienne » et d’aborder les questions soulevées par les « transferts de compétences ».
Le rapport Y. Berland Doyen de la faculté de médecine de Marseille, sur « La coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences » d’octobre 2003, le rapport F. MIDY « Efficacité et efficience du partage des compétences dans le secteur des soins primaires » CREDES de février 2003, le rapport Y. BOURGUEIL « La participation des infirmières aux soins primaires dans six pays européens, en Ontario et au Québec » DREES/IRDES en 2005, et une revue de littérature sur ce sujet, issue de Revues professionnelles de 2003 à 2005, servent de soubassement à la réflexion engagée.
I- Une première approche sémantique
permet d’éclairer les notions de « pratiques avancées » qui recouvrent schématiquement l’« infirmière praticienne » et l’« infirmière clinicienne ». La notion de « transfert de compétences » sera abordée sur un plan sémantique et juridique.
« Pratiques avancées »
Le contexte international, notamment anglo-saxon, dans lequel est repéré l’emploi du terme « Pratiques avancées » en anglais « Advanced Nursing Practice » renvoie aux années soixante et se situe généralement dans le cadre :
- d’une évolution technologique importante avec l’émergence de nouvelles technologies : robotique, communicationnelle, …
- d’une pénurie médicale associée à de nouvelles demandes sociales (accès à l’information, démocratie sanitaire, ….).
Il s’agit de permettre à un plus grand nombre de patients et d’usagers d’accéder à une réponse à leur demande de soins et de permettre au médecin de se concentrer sur la partie la plus pointue de son expertise.
La traduction du terme anglais s’apparente à une pratique en soins infirmiers en avance sur son temps, une pratique d’avant-garde, très pointue ou de pointe nécessitant une expertise sanctionnée par un niveau élevé de certification.
Ce terme, dans le contexte anglo-saxon, renvoie soit à :
- une pratique de 1ère ligne ou 1er recours, 1er niveau d’accès au système de santé et permanence des soins dans les domaines :
- de promotion de la santé axée sur les déterminants de santé - éducation, fonction conseil – ;
- de prévention axée sur les facteurs de risques sanitaires - dépistage, suivi de patients vulnérables, liaisons avec les autres partenaires de soins - ;
- du diagnostic, de la prescription et du traitement axés sur la résolution des problèmes de santé courants.
Trois domaines du secteur des « soins primaires » où les infirmières des pays du Nord de l’Europe (sauf Allemagne et Pays Bas) et du Canada occupent une place importante (de 12% à 20%, Rapports F.Midy CREDES 2003 et Y.Bourgueil, DREES/IRDES 2005). Ce secteur des soins primaires, dont le terme est peu utilisé en France, comprend, outre l’ensemble des soins ambulatoires de proximité, des actions de promotion de la santé, d’éducation, d’information, de conseil et de prévention et intègre l’ensemble des soins à domicile.
Cette pratique s’inscrit dans trois orientations :
- celle d’un modèle de cabinet médical de groupe ou dans un centre intégré de santé,
- celle d’un modèle de diversification (développement de tâches nouvelles participant à l’amélioration de l’accès aux soins et à leur qualité) plus que de substitution (transfert de tâches dans une spécialité médicale)
- celle du domicile du patient, territoire privilégié des infirmières.
- une pratique de soins très spécialisés ou consultation infirmière dédiée au suivi pro-actif de pathologies chroniques avec une responsabilité médicale étendue, notamment en matière de bilan, de diagnostic et de prescription. Cette pratique s’inscrit plutôt dans un modèle de substitution. Elle correspond à la pratique des infirmières praticiennes en Amérique du Nord (Nurse practitioner aux USA et au Canada).
Généralement, on parlera de « pratiques avancées » dans la prise en charge d’un patient/usager ou auprès d’une population en amont et en aval de l’« intervention/expertise » médicale :
- en amont, il s’agit d’anticiper par des d’actions de promotion santé, d’éducation et de prévention, de défricher, de débroussailler, de préparer l’intervention médicale par une pré-orientation diagnostique ;
- en aval c’est assurer le suivi pro-actif, la permanence de soins, la surveillance rapprochée, anticiper les complications, les écueils dans une prise en charge au long cours dans les domaines des pathologies chroniques et des personnes âgées.
C’est donc à travers le « chemin clinique » du patient que l’on peut mieux visualiser et mieux appréhender les domaines des pratiques avancées.
« Infirmières praticiennes » et « infirmières cliniciennes »
Dans la littérature de référence, la différence dans le champ des « pratiques avancées » entre la pratique des « infirmières dites praticiennes » et celle des « infirmières dites cliniciennes » relève de deux modèles :
- celui de substitution et/ou de complémentarité et de diversification de la pratique médicale pour les « nurse practitioners » ou les « district nurses »,
- celui d’un développement spécifique des savoirs infirmiers pour les « clinical nurses ».
Selon les pays, l’infirmière praticienne recouvre différentes fonctions :
- celle de « nurse practitioner » qui, en développant une véritable réorganisation de la prise en charge des pathologies, s’inscrit plutôt dans les disciplines médicales spécialisées fortement technologiques et s’exerce en milieu hospitalier. Leur pratique porte sur un domaine d’expertise et de soins médicaux. Cette « nurse practitioner » se rencontre essentiellement aux USA depuis les années soixante, elle est émergente au Canada (1998, 2000) et dans l’Europe du Nord.
- celle de « district nurse » ou infirmière de santé publique exerce dans le champ des soins primaires (promotion santé, prévention, pré-orientation diagnostique et traitement de problèmes de santé courants). Elle s‘adresse indifféremment à des populations et à des patients non diagnostiqués. Elle se rencontre dans le l’Europe du Nord (notamment au Royaume Uni, 1980) et en Ontario au Canada (1980).
L’infirmière clinicienne ou « clinical nurse » assure des fonctions d’encadrement, de conduite de projets, d’analyses de situations de soins complexes, de pilotage de démarche qualité et de formation. Le lieu d’exercice dominant est l’hôpital. Introduite dans les années soixante, elle correspond au développement de la formation et de la recherche infirmière et s’inscrit dans un processus académique d’autonomisation de la profession. Elle se retrouve au Québec et au Royaume Uni
Actuellement, les formations permettant d’accéder à ces différentes fonctions infirmières dites de pratiques avancées sont insérées dans des dispositifs universitaires de niveau Master. Ces fonctions sont légales mais elles ne sont pas toutes reconnues formellement. Toutefois, il est intéressant de noter que ces infirmières ont la capacité d’initier des recherches très pointues dans leur domaine d’exercice respectif.
En France, il apparaît que la fonction d’infirmière clinicienne recouvre le champ du « rôle propre » infirmier, domaine autonome de la fonction infirmière française. Elle évolue sur un plan plus marginal que dans les pays d’influence anglo-saxonne. Les quelques formations menant à cette fonction, non reconnues officiellement, la développent dans une dimension orientée « clinique infirmière » d’inspiration québécoise. Elles empruntent également leurs références théoriques à la psychologie clinique. Ces infirmières cliniciennes exercent en milieu hospitalier des fonctions d’expertise et d’encadrement clinique auprès des équipes dans le domaine des soins infirmiers, celui de l’évaluation de la qualité des soins infirmiers et celui de la formation infirmière initiale et continue.
Le champ du « rôle propre » est aujourd’hui essentiellement porté par les cadres de la profession infirmière et quelques infirmières expertes. Dans les faits, le rôle propre étant « relégué » aux aides-soignantes par les infirmières hospitalières en exercice, la fonction d’infirmière clinicienne reste marginalisée.
Par ailleurs, même s’il existe en France un exercice infirmier en extrahospitalier, le secteur des soins primaires et le domicile ne sont pas investis par les infirmières dans une pratique de conception souple et plus autonome, en coopération et en collaboration d’une pratique médicale.
En France deux modèles très différenciés oscillent entre une approche clinique autonome très militante, forgée sur le modèle québécois et portée par les cadres de la profession infirmière et une approche centrée sur l’approfondissement d’une qualification technique au service de l’activité médicale, diplômante et reconnue dans des textes législatifs (IADE, IBODE, puéricultrice, projet Berland). Ce dernier modèle d’une qualification technique au service de l’activité médicale ne recouvre pas les notions des pratiques avancées anglo-saxonnes plus axées sur le service rendu à la population et aux patients comme l’accès aux soins et le suivi des prises en charge que sur l’auxiliariat médical.
De par la construction du modèle infirmier français, ces deux positions françaises actuelles s’inscrivent plus en retrait et en marge des approches et des dynamiques anglo-saxonnes et nordiques plus complémentaires de la pratique médicale.
En France, les pratiques dites avancées telles qu’entendues dans le sens anglo-saxons existent, elles ne sont pas repérées comme telles, elles se développent depuis une vingtaine d’années sans aucune reconnaissance, sinon celle implicite du médecin chef de service. Elles se pratiquent dans une illégalité acceptée implicitement*. C’est le cas notamment dans le champ psychiatrique où la pénurie médicale a amené les infirmières et infirmiers à prendre en charge l’accueil et l’orientation des patients amenés à se présenter au secteur psychiatrique. Ou encore dans le cadre de consultations infirmières « avancées » en éducation thérapeutique, en diabétologie ou oncologie notamment, mais ici dans le sens au plus près du patient.
A ce propos, il est à noter que parmi les différents rapports précités, l’exercice en psychiatrie n’est pas traité. Seul celui d’Y. BERLAND l’aborde très succinctement par une proposition de transfert des compétences médicales sur la fonction de psychologue dans le cadre de la pénurie de psychiatres. Mais aucun état des lieux n’est envisagé. Un état des lieux qui permettrait d’identifier les nombreuses pratiques infirmières existantes tant autour de l’accès aux soins, que du suivi pro-actif des pathologies mentales au long cours. Un champ d’exercice encore en friche où la dimension pionnière permet de faire face aux aléas des situations de pénurie médicale.
D’autres pratiques, les pratiques de réseau (de santé et de soins) et de coordination qui se développent aujourd’hui autour du patient ou d’une population se situent dans des prises en charge en amont et en aval de l’intervention médicale et seraient à étudier sous l’angle des « pratiques avancées » dans la mesure où elles préparent et assurent un suivi pro-actif au long cours en complémentarité avec d’autres professionnels de santé.
Transfert de compétences
La notion de « transfert de compétences » ne peut s’entendre sur un plan sémantique comme réduite à une délégation d’actes ou de tâches, ni à une transmission d’un savoir-faire technique. La notion de compétence introduit une capacité d’analyse, de discernement, de jugement, de décision, donc une relative autonomie ; celle de transfert relève d’une action de transposition (faire en lieu et place de …).
Le transfert de compétences annonce un travail de collaboration, de partage des connaissances, de savoir-faire acquis et d’expériences, sur lequel et dans lequel les deux protagonistes partenaires ont nécessité de travailler de façon rapprochée tant dans la conception et l’élaboration du travail partagé et la formation qu’impliquent ce transfert que sur le terrain dans le partage des tâches. Cette collaboration devrait se traduire par le terme de partage dans l’élaboration du travail : conception, organisation et exécution.
Aujourd’hui, on parlerait plus de « coopération » que de « collaboration ». Le terme de coopération traduirait davantage un partage du travail dans sa réalisation et son opération concrètes (agir ensemble) plus que dans sa conception et son élaboration. Le terme renverrait à une participation concertée dans l’organisation de l’action et dans la coordination liée à la répartition des tâches.
Sur un plan pédagogique G.LE BOTERF définit la compétence comme la mise en œuvre d’une combinaison de savoirs (connaissances, savoir-faire, comportements et expérience) en situation. La compétence n’est pas une qualification, elle est un attribut de l’individu, elle est toujours contextualisée, elle est à l’articulation des logiques de l’individuel et de l’organisation, elle est issue d’un apprentissage théorique et expérientiel, elle est reconnue socialement.
Mais cette notion en tant que transfert de compétences médicales vers une profession paramédicale pose d’emblée la question de la responsabilité.
II- Une approche juridique
Ainsi sur le plan juridique, contrairement à la tâche qui n’est qu’un travail à accomplir, la compétence est « l’ensemble des pouvoirs et devoirs attribués et imposés à un agent pour lui permettre de remplir sa fonction » ou encore « l’aptitude à agir dans un certain domaine » (G. NICOLAS in G. CORNU).
Elle devient au sens juridique une capacité d’accomplir une mission, elle peut donc être transférée d’une personne à une autre et le transfert correspondre à l’opération juridique de transmission d’un droit, d’une obligation ou d’une fonction.
En remarque précisons que c’est sur ce sens juridique que se sont développées les pratiques avancées anglo-saxonnes.
A ce niveau juridique, transfert de compétences donne une certaine liberté d’entreprendre et de décider, ce qui pose la question en France d’un partage du pouvoir d’agir, du partage des savoirs, d’une reconnaissance mutuelle et de la capacité reconnue à acquérir des connaissances pour assurer la mission. Ce serait aller au-delà des clivages et des oppositions actuels entre profession médicale et professions paramédicales, notamment infirmière.
C’est la conception et le contenu de la fonction infirmière plus précisément qui est à redéfinir à un niveau juridique. Dans ce cadre, la fonction pourrait être envisagée dans une dimension plus globale en la déclinant en terme de responsabilité dans de grands champs d’activité en s’inspirant des modèles anglo-saxons plutôt qu’en terme de liste d’actes à accomplir à l’image de la définition de l’exercice infirmier en France.
Ces transferts de compétences posent en effet les enjeux d’une légalisation d’une responsabilité médicale limitée qui change de nature le lien de subordination en lien de collaboration ou de façon plus restreinte en lien de coopération.
Outre l’aspect juridique, ces points restent à travailler dans un contexte français confronté au contexte international, d’un point de vue sociologique, historique et politique et dans une dimension de collaboration (construire un travail en commun) et de coopération (agir ensemble) au sein des milieux médicaux et paramédicaux.
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- Note : New language is underlined.
- Standard RI.1 The organization respects residents' rights and addresses ethical issues in providing care.
- Intent of RI.1 The organization's interaction with and care of residents show concern and respect for their rights.Bibliographie rRelative aux soins, à la clinique et à la recherche
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- COLLIERE (M.F). Soigner... Le premier art de la vie. Paris : Masson, 2ème édition, 2001, 456p.
Pour aller plus loin :
Qu’est ce que la pratique avancée (Advanced pratice) ? par Ségolène DOUTRIAUX
transfert de compétence par Guy ISAMBART
Directrice d’activité/coordination des formations universitaires
Ecole Supérieure Montsouris – Paris
marie-andre.vigil-ripoche@ecolemontsouris.fr
INTERNATIONAL
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