Nathalie Depoire, Présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI) questionne, via une "Lettre ouverte" adressée au Président de la République, à la ministre des Solidarités et de la Santé, au Directeur général de la CNAM, au Président de l'Ordre national des Infirmiers et à l'ensemble des députés et sénateurs, la place des infirmiers dans le développement de la télémédecine... Nous publions cette tribune in extenso qui montrte, une fois encore, le peu de considération accordés aux compétences infirmières en la matière...
Notre système de santé doit faire face à un flux croissant de patients lié à l’avancée en âge et son corollaire de maladies chroniques, véritable problème de santé publique. Les contraintes économiques induisent de multiples injonctions paradoxales générant un mal être croissant des professionnels de santé, conduisant parfois à des fins dramatiques. En tant que présidente du syndicat CNI, je reçois le questionnement de Nicole Tagand, responsable d’une consultation infirmière plaies chroniques hospitalière, qui a contribué en tant qu’expert, à l’élaboration et la mise en place d’une expérimentation de télémédecine dédiée aux patients en EHPAD. Sa réflexion pose la question de la place de l’infirmière, acteur majeur et maillon indispensable de la chaine du soin dans notre système de santé. Est-il économiquement viable de faire abstraction des infirmiers profession paramédicale la plus importante en effectifs dans l’hexagone ? Partageant ses interrogations, je vous propose de découvrir ci-après son écrit intitulé La télémédecine doit-elle être réservée aux médecins ?
Quelle n’a été ma surprise de voir la tarification à l’acte de télémédecine, que ce soit en téléconsultation, ou en télé expertise limitée à des interactions de médecin à médecin uniquement
"L'acte de télémédecine est maintenant rémunéré1 et pour cela une tarification requérant (demandeur) et requis (expert) est instaurée, financée par l'assurance maladie alors que jusqu'à présent, les expérimentations étaient financées par l'Agence régionale de santé sur le Fond d'investissement régional (FIR) ou le Fonds européen de développement régional (FEDER). Lors de la mise en place des « expérimentations » le 23 avril 20152 la région Basse Normandie et Languedoc Roussillon étaient déjà prêtes, et la rédaction du protocole de coopération de Montpellier stipulait bien que l’acte de télémédecine n’était pas dérogatoire dans la prise en charge des plaies par un expert infirmier3. Par définition, les expérimentations sont une étape avant la mise en place d’une méthodologie et ses implications organisationnelles et financières pour l’amélioration du service rendu, ou abandon en cas d’inefficacité.
Quelle n’a été ma surprise de voir la tarification à l’acte de télémédecine, que ce soit en téléconsultation, ou en télé expertise limitée à des interactions de médecin à médecin uniquement4 ! L'inscription à la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) implique que seuls les médecins pourront l'utiliser et prétendre à rémunération, sauf à demander un protocole de coopération pour obtenir une dérogation sur cet acte, ce qui est loin d’être une simple formalité, et encore plus loin de l’obtention d’une rémunération identique. C'est une profonde injustice, car comment imaginer qu’un médecin puisse être expert de la science infirmière ? De l’approche kinési thérapeutique ? Ou de toute approche paramédicale, qui par définition collabore en complémentarité pour apporter au patient des soins adaptés tenant compte de sa globalité, et son devenir par la prévention et l’éducation. Cela se fait tous les jours dans un travail de collaboration où chacun apporte savoir et savoir-faire pour l'élaboration de stratégies et d'actions adaptées, personnalisées au patient.
Faudra-t-il passer par un protocole de coopération systématiquement ? Pourquoi cloisonner le numérique supposé ouvrir le champ des possibles ? Un médecin ne peut être un expert infirmier, et les infirmiers développent des expertises dont ont besoin les médecins. Le domaine des plaies fait appel à l’expertise infirmière de longue date, ce qui est entériné par les deux protocoles de coopération validés à Montpellier et Toulouse. C’est également un « domaine de prédilection pour la télémédecine, tant elle y est adaptée »5 N’est-il pas paradoxal de déclarer que les médecins se raréfient, qu’il est urgent de travailler en collaboration et en complémentarité, et d’éteindre la richesse du numérique en l’étouffant dans un goulot médical qui ne serait de fait qu’un intermédiaire pour communiquer ?
En 2007, la prescription infirmière6 est introduite pour « fluidifier » le parcours patient, et éviter un recours systématique au médecin pour prescrire ce dont l’infirmier avait besoin pour réaliser les soins. Doit-on imaginer que pour demander une expertise paramédicale ou portée par un paramédical, le médecin soit le seul opérateur possible ? Peut-on croire que les médecins traitants vont se faire un plaisir de servir d’intermédiaire à des infirmiers pour exposer une demande pour laquelle ils ne sont pas outillés (description de la plaie, pansements utilisés, état des pansements au retrait, pose de bandes de compression…) ? Que la demande soit encadrée et justifiée n’est pas un problème, information du médecin, accord du médecin sont déjà établis depuis 2007. Mais que feront les médecins libéraux qui ont déjà dans leur carnet d’adresse des experts paramédicaux à qui ils adressent leurs patients sur des thématiques ciblées ? Qui vont-ils solliciter ?
Je comprends bien l’intérêt pécuniaire des médecins, et encore, mais quel est l’intérêt de la caisse d’assurance maladie7 ? L’ordre des médecins publie sur son site ses avis8, ne serait-il pas opportun d'en faire autant pour les infirmiers ? Notre ordre n’est-il pas le porte-parole de nos savoirs et de notre savoir-faire ? Avant de réclamer une juste rémunération, ce qui appartiendrait à nos syndicats, libéraux et hospitaliers réunis, la reconnaissance de nos compétences est indispensable, et renforcerait notre fierté professionnelle, bien malmenée. Le leadership ne se décrète pas, il se vit et se voit par le prisme de nos comportements, notre capacité à se positionner, à être des acteurs incontournables du domaine de la santé.
Les paramédicaux sont inaudibles sur les avis, décrets et publications : manque de voix ou manque d’écoute ? Si le numérique est un outil, alors il doit offrir la même diversité, complémentarité au patient pour une prise en charge de qualité. A l’heure où l’on s’interroge enfin sur la pertinence de la T2A, pâle reflet financier de l’activité dont les hôpitaux se meurent, faut-il accepter sans rechigner d’être une fois de plus écartés du champ de vision du soin au patient ?"
Pourquoi cloisonner le numérique supposé ouvrir le champ des possibles ? Un médecin ne peut être un expert infirmier, et les infirmiers développent des expertises dont ont besoin les médecins.
A la dernière question de Nicole, je répondrai non bien sûr : il incombe aux professionnels infirmiers d’exiger la reconnaissance qui leur est due et pourtant si souvent niée. C’est donc à la fois au nom des professionnels infirmiers mais aussi pour une réponse adaptée aux besoins de santé de la population que je vous demande d’examiner cette question. Vous remerciant de l’attention portée à cette demande et restant disponible, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, Madame la Ministre de la Santé et des Solidarités, Monsieur le directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM), Monsieur le président de l’Ordre des Infirmiers, Mesdames, Messieurs les députés et sénateurs, mes respectueuses salutations.
Nathalie DEPOIRE
Présidente Syndicat CNI
1- Arrêté du 10 juillet 2017 fixant le financement forfaitaire mentionné au II de l’article 36 de la loi no 2013-1203 du 23 décembre 2013 de financement de la sécurité sociale pour 2014.
2- Mise en place des expérimentations le 23 avril 2015
3- https://coopps.ars.sante.fr/cooopps/aut/aut_201.do#(grille du protocole)
4- Article Hospimédia du 18/01/2018 : "L'avenir de la télémédecine se discute aux négociations conventionnelles"
5- "Plaies et cicatrisations sont indissociables de la télémédecine et inversement" Hospimédia 22/01/2018
7- L'Assurance maladie dévoile ses premières pistes pour la téléconsultation et la télé-expertise Hospimédia 19/01/2018
8- Le CNOM publie un vade-mecum Télémédecine, 22 septembre 2014
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