Clara, infirmière, souhaitait partager ce témoignage qu'elle a porté durant ces derniers mois. Clara aime profondément son métier mais aujourd'hui, elle n'y arrive plus. Son souhait : que ceux qui ont force et foi en l'avenir continuent à y croire et, ainsi, fassent bouger les lignes. Ce texte se veut également un hommage à ses collègues disparus et qui vont manquer à leur famille pendant les fêtes. Son ultime message adressé à la communauté infirmière et plus largement soignante : résister et ne plus se laisser faire !
Prendre soin, écouter, apaiser, soulager, accompagner, expliquer, réparer, rendre l'insupportable supportable, redonner le sourire, faire que la maladie, la souffrance, la misère, la solitude soit un peu moins moche quand elle vous prend, voilà notre rôle d'infirmier ou d'aide-soignant. Le problème, c'est qu'aujourd'hui le faire, ne serait-ce que correctement, devient difficile voire impossible dans certaines situations. Pourquoi ? Pour beaucoup d'entre nous, le manque de personnels, de moyens donc de temps, l'épuisement des équipes, le rappel sur les jours de repos, la charge de travail de plus en plus lourde, le nombre de patients toujours plus grand, l'agressivité de ces derniers quand l'attente est trop longue, fait que cette petite étincelle qui nous anime et nous a donné l'envie de faire ce métier, nous la voyons diminuer ou pour certains nous la perdons...
Épuisement , découragement, insomnies , pression de la direction, plannings inadéquats, heures supplémentaires non payées.. Et j'en passe. Durée de vie d'une infirmière dans son métier ? Six ans... Pour ma part, infirmière depuis huit ans dont quasiment cinq ans à l'Assistance publique et deux à l'étranger , je ne me suis sentie que très peu, voire pas du tout écoutée par ma hiérarchie.
Nous faisons un métier humain, mais l'humain n'est pas mis au centre de notre métier, la rentabilité elle, oui. Alors trop souvent, nous n'avons plus le temps d'écouter les patients, de leur tenir la main, de faire une toilette de personne âgée correctement. Le sac plastique et une double couche sous le patient pour éviter de changer tout le lit oui, je l'ai vu. La biscotte, le beurre, la confiture le tout dans le café et on mélange, ouvrez la bouche madame, oui je l'ai vu. Mais comment condamner quand vous avez 45 patients à charge en gériatrie et que vos collègues aide-soignants ne sont que deux pour plus de 20 toilettes au lit ? On ne nous donne plus les moyens de travailler correctement car notre élite s'en contrefiche. Elle ne sera jamais du côté de votre grand-père, de votre amie ou de votre enfant car elle s'octroiera toujours le droit de passer au dessus de vous.
La biscotte, le beurre, la confiture le tout dans le café et on mélange, ouvrez la bouche madame, oui je l'ai vu.
Mes conditions de travail n'étaient déjà pas brillantes en sortant du diplôme, elles sont encore pires aujourd'hui. On ne nous prépare pas assez à ce que nous allons traverser. Travaillant mes deux premières années de diplôme dans un service d'urgence, j'ai été deux fois agressée physiquement et insultée régulièrement. La réalité : courir partout et dans tous les sens dans un service en kit où les pieds a perfusion n'ont dès fois plus de roues, où la porte du placard vous reste dans la main, où les brancards sont complètement vétustes, les médecins débordés et épuisés, des souris dans les couloirs et un service de nettoyage inexistant. Quant à notre salaire , il n'est tout juste pas à la hauteur de notre fonction, de nos responsabilités et de la pénibilité de notre travail. On se moque de nous, tout simplement, et plus grave encore on nous tient par la culpabilité... Celle de laisser nos collègues en cas de maladie, celle de partir à l'heure dite alors que le service est sans dessus dessous, celle de laisser nos patients en attente de soins et de ne pas pouvoir les écouter plus…
Alors on reste, on vient tantôt avec la rage, tantôt avec la boule au ventre. Faire grève ? La belle affaire, en venant travailler et en l'écrivant sur nos blouses ? Oui je l'ai fait comme beaucoup d'entre nous mais qui nous a écouté : personne ! Le problème c'est que si demain les 600 000 infirmiers et aide-soignants de France se mettent en grève, les dommages seront très importants, alors on vient travailler et notre révolte, notre écœurement sont passés sous silence.
On se moque de nous, tout simplement, et plus grave encore on nous tient par la culpabilité...
Pour ma part, je me suis protégée en partant en Suisse pour y trouver des meilleures conditions de travail mais là-bas aussi la situation se dégrade... Je suis finalement rentrée en France pour me reconvertir. Mon métier, je l'aime, je l'ai aimé de tout mon cœur. Cœur dont un petit morceau restera dans ces couloirs, dans ces chambres, dans ces postes de soins, dans cette salle de déchocage après une réanimation, dans la petite main de ces enfants qui m'ont serré le doigt, dans l'émotion de jeunes parents qui découvrent le miracle de la vie, dans les merci cassés par la douleur, dans les fous rires avec l'équipe, dans les sourires ou les pleurs des patients...
Aujourd'hui, je n'en ai juste plus la force, alors même si le livre ne s'arrête pas là, je tourne la page. Mais cela ne m'empêche pas d'élever la voix pour que vous aussi, soignants, vous éleviez la vôtre. L'union fait la force. Mes pensées vont à mes collègues disparus dernièrement ou qui sont à bout et qui n'ont pas ou plus trouvé la force de répéter toujours ce que nous pensons tous. Alors vous, usagers de santé, si vous lisez ce texte, face à nos instances qui n'entendent pas, aidez-nous, soutenez- nous car votre système de santé vous appartient tout autant qu'à nous.
Clara, infirmière
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?