Pour l'Ordre National des Infirmiers (ONI), il n'y a pas d'excuse valable. «Les infirmiers concernés ont eu un an et 4 relances minimum pour se mettre en conformité avec la loi» (cf notre encadré plus bas), rappelle-t-il. L'affaire concerne 2100 infirmiers et infirmières de la région des Pays de la Loire, dans le grand ouest français, dont certains ont été convoqués devant la gendarmerie ou la police pour «exercice illégal de la profession». Motif : leur refus d’adhérer à l’Ordre national des infirmiers (ONI), une adhésion pourtant obligatoire depuis 2008.
Lisa (le prénom a été modifié) est infirmière depuis 23 ans au Centre de Santé Mentale Angevin (CESAME). Elle est embauchée en 2000. L'Ordre, alors, n'existe pas encore. «A l'époque, il fallait seulement s'inscrire pour obtenir un numéro Adeli», explique-t-elle. Depuis un décret du 10 juillet 2018, les employeurs doivent transmettre tous les trimestres la liste de leurs infirmiers à l'Ordre, qui peut ainsi vérifier leur inscription ou non. En 2022, Lisa se met à recevoir des courriers de l'Ordre. «On ne s'inscrivait pas parce que ça ne nous apportait rien», souligne-t-elle. «On n'avait pas conscience d'être passés à ce degré de non conformité avec la loi», assure-t-elle.
Les courriers sont «menaçants» selon l'infirmière qui «ne s'affole pas plus que ça» malgré tout. Les sanctions encadrées par l’Article L4314-4 du Code de la santé publique peuvent pourtant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour exercice illégal de la profession.
"Drôle d'effet"
Le 30 septembre, un samedi matin, elle voit ainsi «la gendarmerie débarquer chez elle. Ils m'ont remis une convocation et spécifié qu'il y avait une affaire en cours me concernant. Il y a quand même quelques minutes pendant lesquelles on se demande de quoi on est accusé...», confie-t-elle. Si l'enquête suit son cours, Lisa a (contrainte et forcée) adhéré à l'Ordre devant les risques encourus. «J'ai dû apporter la preuve de mon inscription à la gendarmerie», précise-t-elle, soulignant le «drôle d'effet» que lui a fait toute cette affaire : «On vous prend vos empreintes, on vous prend en photo, on vous traite comme un délinquant». La méthode employée ne passe pas, d'autant plus que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles. «On a plutôt besoin de soutien», s'emporte l'infirmière. Pour elle, ces méthodes coercitives tendent plutôt à décourager les jeunes. «On est passionnés mais on nous met des bâtons dans les roues» se désole-t-elle.
Sur le fond, l'infirmière ne voit pas l'intérêt de cette inscription et regrette d'avoir à cotiser (35 euros par an pour les salariés et 85 euros pour le libéral) auprès d'une instance «qui ne la représente pas et ne défend pas ses intérêts».
C'est surtout la forme qui ne passe pas pour Mélanie Massé. La secrétaire du groupement départemental Maine et Loire Force Ouvrière Santé Publique voit dans ces convocations «de l'intimidation pure et dure». Au delà d'être «injoignable» (une critique récurrente dans la bouche des infirmiers), l'Ordre «ne s'exprime jamais pour défendre la profession», tempête-t-elle. «Crise du Covid, réforme des retraites, attractivité, problème de recrutements : sur les sujets de fond, on ne l'a pas entendu». Pour elle, «les infirmiers ne veulent pas payer pour exercer» et ce qu'elle voit comme une forme de chantage exercé par l'Ordre est «totalement intolérable». Les syndicats ont d'ailleurs été surpris par la méthode employée. «Avant l'été, il y a eu une vague de mails très menaçants, la pratique est intolérable. C'est déjà difficile de fonctionner et on a cette double peine... On ne comprend pas».
On vous prend vos empreintes, on vous prend en photo, on vous traite comme un délinquant
Ces signalements, «pas une nouveauté» selon l'Ordre
«L’inscription à l’Ordre est obligatoire depuis 2008 en vertu des articles L. 4311-15 et L. 4312-1 du code de la santé publique. Tous les infirmiers habilités à exercer leur profession en France, quel que soit leur mode d'exercice, sont tenus d'être inscrits au tableau de l'Ordre. Toute personne non-inscrite se trouve donc en situation d’exercice illégal de la profession», précise l'Ordre National des Infirmiers dans un courrier adressé à la rédaction.
Si cette obligation est «globalement bien respectée puisque l’on compte actuellement plus de 500 000 infirmiers inscrits au tableau, 130 000 infirmiers ne sont toujours pas inscrits», s'agace l'instance qui commente cette enième affaire avec une certaine lassitude : «Il y a effectivement eu des signalements et ces signalements ne sont pas une nouveauté».
Pour l'Ordre, c'est bien «la sécurité des patients» qui est en jeu. La non-inscription à l'Ordre «ne permet pas le repérage des situations à risque», explique-t-il. «A défaut d’inscription à l’ordre, les fautes et manquements commis par un infirmier ne sont en effet retracés nulle part, échappent au contrôle des pairs et privent les patients des voies de recours ordinales inscrites dans le code de la santé publique». Pour Mélanie Massé, l'argument ne tient pas : «Notre diplôme a été délivré par l'Etat et on est déjà contrôlés par nos établissements. Les infirmiers n'ont pas besoin d'un contrôle supplémentaire». La secrétaire du groupement départemental Maine et Loire Force Ouvrière Santé Publique assure que les pratiques de l'Ordre ont été dénoncées par son syndicat, qui demande ni plus ni moins la suppression de l'instance et l'arrêt immédiat des poursuites contre les infirmiers concernés.
Ce qu'en dit l'Ordre...
Depuis le décret du 10 juillet 2018 relatif à l'établissement des listes nominatives d'infirmiers salariés en vue de leur inscription au tableau, l’employeur public ou privé dépose tous les 3 mois sur un portail sécurisé du Conseil national de l’ordre la liste de tous les infirmiers qu’il emploie à cette date. L’Ordre vérifie alors ceux qui sont inscrits et transmet en retour à l’employeur la liste de ceux qui ne le sont pas : ces derniers sont considérés comme «inscrits provisoirement».
En l’occurrence pour cette région, le Conseil national de l’Ordre a ensuite déterminé une procédure de relance en trois étapes :
- Un premier envoi par mailing le 08/04/2022 à destination de 1 674 infirmiers pour les départements 44 et 85, et de 1186 infirmiers pour les départements du 49, 53 et 72, leur rappelant leur obligation légale d’inscription et leur demandant de régulariser leur situation.
- Un second envoi par mailing en date du 13/10/2022 avec une mise en demeure de transmission des pièces nécessaires au dossier.
- Un dernier envoi en date du 25/11/2022 les informant de leur situation d’exercice illégal de la profession et que des poursuites vont être engagées à leur encontre. (1 185 infirmiers concernés pour le 44-85 et 915 infirmiers concernées pour le 49-53-72)
A la suite de ces envois, nous avons pu constater qu’un grand nombre d’infirmiers n’avait pas régularisé leur situation. Les conseils interdépartementaux réunis en plénière ont voté l’envoi de signalements au Procureur de la République.
Une ultime relance leur a été envoyée en début d’année 2023. Les infirmiers concernés ont donc eu un an et 4 relances minimum pour se mettre en conformité avec la loi. »
Source : L'Ordre National des Infirmiers
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