A l’occasion de la Journée Internationale des Infirmières, quatre infirmiers prennent la parole pour raconter à leur manière l’année passée, marquée par l’épidémie de Covid et les bouleversements qu’elle a entraînés dans les services et dans la prise en charge des patients. Et en profitent pour rappeler leurs motifs d’engagement, malgré les difficultés.
Ils sont infirmiers en unité de neurologie, urgentistes, ou exercent en libéral. Certains ont été réquisitionnés en renfort dans les services Covid, quand d’autres ont traversé la crise en demeurant dans leur équipe. Mais tous ont été confrontés aux conséquences de l’épidémie et ont dû s’adapter pour prendre en charge leurs patients, qu’ils soient atteints du virus ou non. À l’occasion de la Journée Internationale des Infirmières, célébrée chaque année le 12 mai à la date anniversaire de la naissance de Florence Nightingale , quatre d’entre eux racontent comment ils ont vécu l’année écoulée, entre difficultés nouvelles et questionnements induits par l’épidémie, solidarité professionnelle et facteurs de résilience qui les encouragent à poursuivre leur métier.
Virginie, infirmière en service de neurologie en région PACA
Je n’ai été confrontée à un secteur Covid qu’à deux reprises mais, même dans mon service, on sent que l’ambiance a changé. On est fatigué, déjà. Et puis on ne se sent pas considérés par le gouvernement, dont tout découle. Notre charge de travail s’est alourdie car, les visites n’étant pas autorisées, les appels téléphoniques se sont multipliés, à tel point que, parfois, nous n’arrivons pas à faire nos soins. Nous devons sans cesse faire les intermédiaires entre les patients et leur famille, ces dernières n’étant pas toujours agréables. On les comprend, bien sûr, elles sont inquiètes. Mais on aimerait qu’elles fassent preuve de la même compréhension envers nous. Autre complication : la communication avec les patients. Ils sont sous oxygène, ils éprouvent des difficultés à parler, et nous, infirmiers, sommes équipés de masques, de lunettes, de charlottes. Les échanges sont nécessairement plus difficiles. Nous avons aussi des patients qui entrent dans le service, qui n’ont pas le Covid, mais qui l’attrapent une fois hospitalisés. Alors nous culpabilisons et on nous fait culpabiliser, quand bien même nous prenons toutes les précautions possibles et imaginables et appliquons les protocoles donnés par l’hôpital. À la longue, c’est vrai que c'est un peu lourd à porter.
Ce qui me fait tenir, c’est l’équipe, notre engagement à soigner correctement nos patients
Le décès Covid n’est pas un décès comme les autres, même si chaque décès a sa spécificité, bien sûr. La particularité, c’est que la famille ne peut pas être présente. Elle ne peut pas non plus récupérer les affaires du défunt. Et ça, c’est un vrai crève-cœur pour moi. Le plus dur, c’est d’affronter les proches et de leur dire que leur parent est décédé du Covid alors qu’il n’avait pas été hospitalisé pour ça. Ce qui me fait tenir, c’est le fait que j’aime mon métier. Mais c’est aussi, professionnellement, l’équipe, notre engagement à soigner correctement nos patients, à être responsables d’eux et à les sauver, autant que possible. Nous sommes vraiment très solidaires. Dès lors qu’on dit Je n’en peux plus
, tout le monde comprend. Il n’y a pas de justification nécessaire, pas de jugement. Dans mon secteur, nous avons été nombreux à attraper le Covid, à être en arrêt de travail, et l’entraide a joué un rôle important. Nous nous sommes organisées seules pour construire les plannings, de telle façon que nous avons très peu fait appel aux équipes extérieures. La cadre a aussi été très attentive à tout ça. Elle nous demandait toujours comment nous allions et comment nous vivions la situation.
Marie-Pierre, infirmière aux urgences pédiatriques en région Île-de-France
Lors du premier confinement, le nombre de patients a diminué dans notre service. C’est logique : lorsque les enfants ne sont plus ensemble, ils ne tombent plus malades ! Résultat, j’ai été réquisitionnée en service de réanimation adultes pendant un mois. On m’a appelé à 16 heures ; à 19 heures, j’y étais, et on m’a dit : Voilà ton patient
. Dans ces conditions, on fait le travail comme on peut, on s’entraide, on discute entre nous. Un médecin réanimateur a pu nous aider et répondre à nos questions, et au bout de deux semaines, un infirmier réanimateur est arrivé pour nous aiguiller sur les prises en charge. Malgré tout, on éprouve forcément la sensation d’une perte de chance pour les patients ; on sait que s’ils étaient pris en charge par des professionnels formés en réanimation, leurs chances seraient plus importantes. Mais je travaille en urgences pédiatriques, et des situations compliquées, j’en vois tous les jours. Quand les gens arrivent dans le service, ils sont en proie au stress, à l’inquiétude, à la souffrance. Il n’y a qu’une chose qui les intéresse : l’état de leur enfant. Et qui dit stress, dit agressivité. Celle-ci provient aussi du décalage entre notre attitude et la leur. Pour eux, c’est un événement particulier, traumatique, alors que pour nous, c’est notre quotidien. Avec le Covid, on a des maladies, des complications qui apparaissent. Il faut aussi faire comprendre aux parents que, en cette période de crise, seul l’un d’eux peut accompagner l’enfant.
La seule chose que je peux faire, c’est être là pour faire du mieux que je peux
Heureusement, il y a l’équipe. Les urgences sont un service difficile et ça crée du lien. On s’entraide au quotidien, c’est notre fonctionnement de base. Un enfant qui arrive dans un état critique, que ce soit à cause du Covid ou pas, dans tous les cas, c’est dramatique. Et dans tous les cas, on a besoin de notre équipe pour vivre avec et pour en parler. Même si être soignant, c’est fatigant parce qu’il faut se battre tout le temps pour obtenir les moyens de faire son travail correctement. D’ailleurs, je déteste le mot "vocation". Mon travail n’est pas une vocation parce que, lorsqu’on utilise ce terme, on sous-entend qu’on le ferait à n’importe quel prix. Or, non, je ne le ferais pas à n’importe quel prix. J’ai envie qu’on me donne les moyens de remplir ma mission convenablement. Prendre en soin mes patients de manière dégradée, ce n’est pas mon objectif. Être infirmière, c’est le métier que j’ai choisi, que j’aime. Je sais que je peux avoir une plus-value dans la prise en charge des enfants. De toute façon, les situations difficiles arriveront, que je sois là ou pas. La seule chose que je peux faire, c’est être là pour faire du mieux que je peux. Ou sinon, je laisse tomber. Il n’y a pas d’entre deux.
Thierry, infirmier libéral en région Grand Est
Il y a un an, la plus grosse difficulté, c’étaient les équipements de protection individuelle. La région Grand Est a été la première touchée, et on n’avait pas forcément le nécessaire. On manquait de tests et on ne savait pas si nos patients étaient positifs au Covid ou pas. Les visites à domicile étaient source de stress. Aller chez ses patients quand on n’a pas de protection, ce n’est pas évident ! Heureusement, beaucoup de professionnels libéraux de santé, chirurgiens-dentistes ou kinés, se sont arrêtés de travailler et nous ont donné du matériel. Beaucoup de personnes ont aussi répondu à nos appels aux dons en fabriquant des masques en tissu, des blouses faites avec des nappes ; des associations ont conçu des visières avec des imprimantes 3D. C’était vraiment de la débrouille ! Une fois qu’on a eu les équipements de protection, on s’est posé moins de questions. Mais les visites requéraient plus de temps : il fallait s’habiller avant, se déshabiller après. On le faisait dans les couloirs des immeubles, ou en se cachant derrière les troènes. Et on ne pouvait pas mélanger nos patients Covid et nos patients atteints de maladies chroniques. Il a fallu s’organiser. Soit on les visitait en fin de tournée, soit on s’y mettait à plusieurs pour organiser des tournées spécifiques pour ces patients Covid.
Je suis persuadé d’avoir un rôle primordial
Nous nous sommes d’ailleurs pour la plupart organisés à plusieurs. C’est venu naturellement, parce que nous avions besoin de nous sentir rassurés. Une certaine solidarité s’est mise en place entre les professionnels. Parce qu’il fallait bien qu’on continue de soigner nos patients ! Nous avons tenu car nous étions en équipe. Si nous étions restés seuls, nous nous serions peut-être dit : ça suffit, on arrête
. Mais nous nous sommes motivés les uns les autres, on a mis en place des groupes Whatsapp, on a organisé des petites réunions au niveau local, pour prendre en charge nos patients de façon commune. Nous avons aussi monté des centres de vaccination avec les médecins, exclusivement entre libéraux, et nous avons beaucoup de plaisir à travailler ensemble. Il y a toujours quelque chose de positif à retirer d’une crise, même aussi grave que celle du Covid : elle a permis de nouer des liens étroits entre les différents acteurs de santé sur le territoire. Malheureusement, on voit bien que rien n’a changé au niveau de l’Etat, que rien n’est fait pour encourager les gens à poursuivre dans la profession. Plus personnellement, ce qui me maintient aujourd’hui, c’est l’amour des patients et du métier. De soigner les gens, maintenant peut-être plus encore qu’avant. Je suis persuadé d’avoir un rôle, et qu’il est primordial. Et mes patients en sont persuadés aussi. J’ai 57 ans, je suis infirmier libéral depuis 32 ans et je ne me vois pas faire autre chose. Mais si j’avais 30 ans, je ne choisirais pas de faire ce métier ; les contraintes sont trop importantes.
Sophie, infirmière en unité neuro-vasculaire en région PACA
Dans le service dans lequel je travaille, nous étions peu susceptibles de recevoir des patients Covid. Quand nous avons eu notre premier patient positif, nous avons tous ressenti beaucoup de stress. Comment s’habiller ? Comment le prendre en charge ? La maladie était très nouvelle alors, et on voyait un peu le patient comme un pestiféré. J’exerce depuis 32 ans et, comme la plupart des collègues de ma génération, j’ai fait le parallèle avec les premiers patients atteints du Sida. Car on avait les mêmes questionnements. Je ne suis pas en secteur Covid et la prise en charge complexe des patients Covid, je ne la vois pas. Mais c’est vrai que l’épidémie génère toutefois beaucoup d’inquiétude. On a toujours en tête un certain nombre de préoccupations : me suis-je bien lavé les mains ? Ai-je bien fait comme il fallait ? Ai-je fait les choses dans l’ordre ? Et puis, il y a l’inquiétude de l’avoir sans le savoir et de risquer de le transmettre à nos patients, car le risque zéro n’existe pas. L’épidémie induit aussi une vraie surcharge de travail. Les visites sont en effet interdites dans les services de soin, alors nous recevons énormément d’appels téléphoniques de la part des familles, qui s’inquiètent beaucoup. A juste titre ! Mais c’est une charge de travail supplémentaire en plus des soins que nous devons rendre, et qui n’est pas considérée.
Ce qui m’aide à tenir, ce sont les patients
Le plus compliqué pour moi dans cette période, je crois, ce sont les personnes qui sont hospitalisées et qui, malheureusement, décèdent sans leur famille. Ou quand on appelle les familles lorsque les visites sont autorisées, mais que la communication avec leur proche n’est déjà plus possible. Malgré tout, les difficultés liées au Covid ne m’ont pas fait perdre ma motivation d’infirmière. Personnellement, je dirais que c’est quelque chose qui nous tombe sur la tête. On a fait au mieux, surtout quand on nous a annoncé au départ qu’il fallait faire attention parce qu’il n’y aurait pas suffisamment de matériel pour nous protéger. Ce qui m’aide le plus à tenir, ce sont finalement les patients, quand ils sont reconnaissants lorsque je passe du temps avec eux pour discuter. Et puis, c’est ma mission ! C’est le métier que j’ai choisi d’exercer, qui me plaît. Le Covid est le phénomène du moment, et il faut faire avec. On n’a pas le choix.
Propos recueillis par Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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