Refus de soins, manque d’écoute et d’empathie, errance thérapeutique, parcours de soins chaotiques… dans le sillage de la crise sanitaire et de son impact le plus néfaste, la fuite des soignants et le manque de personnel qui en découle, la relation entre les patients et les professionnels de santé tend à se dégrader. Alors que « les appels à repartir de 0 se multiplient largement dans le débat public » dans le cadre de la refondation du système de santé, il est également temps de repenser la relation entre les soignants et les usagers, a défendu Catherine Deroche, sénatrice et présidente de la Commission des affaires sociales, en ouverture du colloque « L’humain pour sauver le soin »*. Et ce d’autant plus que pathologies chroniques, troubles de la santé mentale et comportements délétères pour la santé (alimentation, addictions…) sont en augmentation dans la société et que « les conditions du face à face entre le médecin et le patient sont de plus en plus compliquées, avec environ 5 millions de patients sans médecin traitant ».
Le colloque « L’humain pour sauver le soin », organisé le 19 juin au Sénat a réuni plus d’une vingtaine d’intervenants : professionnels de santé, patients partenaires, aidants familiaux, directeurs d’établissements, représentants de sociétés savantes….Trois tables rondes étaient au programme : « Patients, soignants et système de santé : une relation à réenchanter », « Reconstruire le lien : quels leviers, quelles solutions ? », « Nouveau rôle des usagers : comment co-construire ? ».
Du modèle déontologique à celui du droit des patients
Il faut dire que leur relation a fortement évolué, notamment avec la loi Kouchner de mars 2002 qui a introduit un véritable changement de paradigme. Depuis la fin du XIXème siècle, la relation pouvait se résumer par « la rencontre d’une confiance et d’une conscience », a rappelé Jöel Moret-Bailly, professeur de droit privé et sciences criminelles et avocat spécialisé en droit de la santé, citant une célèbre formule du médecin et écrivain Georges Duhamel (1937). « Le patient venait se remettre dans les mains du médecin, qui était en situation de pouvoir », d’où la nécessité de construire un modèle déontologique autour de la relation de soin empêchant le professionnel de santé d’abuser de sa position. Si ce modèle a connu ses limites dans les années 1950-1960 dans les pays anglo-saxons, en France, c’est surtout la loi Kouchner qui est venue le mettre à mal. Imaginée dans un contexte marqué par la présence du sida et de la montée de l’oncologie, elle est venue renforcer les droits des patients, et notamment celui à l’information.
Parallèlement, les connaissances des patients sur leurs maladies ou pathologie croissent, remettant en cause « la question du pouvoir » des professionnels de santé, a complété Claude Colas, endocrinologue, vice-présidente du Syndicat des médecins endocrinologues et vice-présidente des spécialités cliniques d’Avenir Spé (syndicat national représentant les spécialités médicales et médico-chirurgicales). Avec une conséquence : « la confiance des patients envers les soignants s’érode », a constaté Catherine Deroche. Dans ces conditions, comment alors reconstruire la relation entre les usagers et les acteurs du système de santé ?
Parmi les pistes à explorer pour améliorer la relation soigné-soignant, figure le respect de la bientraitance. Le label CNGOF-Maternys a justement été imaginé pour introduire plus de bientraitance dans le suivi des grossesses, en s’appuyant notamment sur la délivrance des bonnes informations, au bon moment. « Il faut 5 heures pour donner toutes les informations [relatives aux grossesses et à l’accouchement], dont 100 complications qui terrifieraient les patientes. On fait donc le tri dans les informations qu’on donne », s’est ému le Pr. Israël Nisand, gynécologue obstétricien à Strasbourg, président du Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOFet engagé en première ligne dans ce projet.« 100% des femmes enceintes en France sont en déficit d’informations. »,Le label soumet 12 recommandations pour améliorer l’accompagnement de ces patientes et favorise notamment la transparence. « Le taux de césariennes pratiquées dans la structure, la présence d’un pédiatre la nuit… ce sont des informations que l’on n’a pas quand on rentre dans une structure. Il faut pouvoir les donner aux patientes pour qu’elles fassent leur choix », a-t-il détaillé.
De la coordination pour faciliter les parcours de soins
Plusieurs pistes sont avancées pour répondre à cet enjeu, à commencer par le besoin de plus de coordination entre les professionnels de santé, avancé régulièrement comme l’une des composantes les plus pertinentes de manière générale dans le cadre de la refondation du système de santé. « Le Covid a été un accélérateur de l’exercice coordonné », a souligné Olivier Rozaire, pharmacien et président de l’URPS Pharmaciens AuRA. Un exercice qui, en ville, s’incarne notamment dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). « Leur plus-value, c’est qu’elles vont permettre aux différents professionnels de se connaître à nouveau », a abondé Ludivine Videloup, infirmière en pratique avancée et présidente de l’ANFIPA. Renforcer l’exercice coordonné relève en réalité d’une urgence, car le système actuel, qui fonctionne encore en silos (entre ville/hôpital, public/privé, entre professions de santé), rend difficile toute forme d’adaptation, en particulier chez les libéraux, a poursuivi Olivier Rozaire. « Une grande partie des prescriptions que je reçois sont issues de l’hôpital et non plus, comme auparavant, des médecins du territoire proche. Cela crée une distance entre les professionnels de santé », a-t-il donné en exemple.
Les patients partenaires sont là, ils se déploient de plus en plus, ils interviennent dans tous les domaines de la santé, mais il n’existe pas de statut légal pour eux.
Or s’appuyer sur un exercice coordonné suppose de remettre le patient, avec l’ensemble de ses caractéristiques (pathologies, environnement, comportements…), au cœur d’une équipe de soin. Et encourage donc l’adaptation de la prise en charge pour répondre à ses besoins et enjeux spécifiques. « La question de la répartition du pouvoir entre professionnels, les patients s’en moquent ; ils veulent être bien pris en charge partout », a insisté le pharmacien. « D’autant plus qu’il y a de plus en plus de patients présentant des polypathologies. Ils doivent sentir que les professionnels se parlent, s’entendent. »
Le rôle pivot des patients experts
Un autre facteur est aussi à prendre en compte dans l’évolution de la relation soignant-soigné : la présence de plus en plus prégnante des patients partenaires, voire patients experts, qui redéfinissent la manière dont doivent être conçus les soins. « Le patient expert est né avec le Sida », a rappelé le professeur Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon et figure emblématique de la lutte contre le sida. Très tôt, notamment, les malades ont été intégrés dans les protocoles de recherche et se sont structurés en associations qui ont pu porter leur ressenti et leurs attentes. Mais « ce type d’organisation ne s’est jamais retrouvé » par la suite pour d’autres pathologies, a déploré Éric Salat, patient expert et porteur d’un plaidoyer pour la démocratie en santé. « Les connaissances acquises avec le VIH n’ont pas été véhiculées ailleurs. »
Cette situation s’explique, d’une part, par une « guerre des pathologies » et une dispersion des associations, pénalisées par un « déficit d’activisme », selon Gilles Pialoux, et d’autre part par l’absence d’un réel statut, défini par la loi, des patients partenaires ou experts. « Les patients partenaires sont là, ils se déploient de plus en plus, ils interviennent dans tous les domaines de la santé, mais il n’existe pas de statut légal pour eux », s’est ainsi agacé Murielle Sévenne, patiente experte partenaire diplômée. Or le retour des patients est essentiel pour mesurer la pertinence des parcours de soin ou améliorer la qualité de vie, dans le cas de traitements lourds. « Les patients experts sont pourvoyeurs de leur expérience et des savoirs relatifs à leur pathologie. C’est aux pouvoirs publics de leur donner une légitimité », a confirmé Dr Nora Berra, ex-Secrétaire d’État chargée de la santé, qui verrait même bien la création de « patients évaluateurs ».
Autant de pistes, donc, qui pourraient permettre d’améliorer la « relation thérapeutique », qui se trouve au cœur du soin, et ce, quelle que soit la profession de santé. Au terme de cette riche matinée d’échanges, un appel a été lancé pour amorcer une dynamique collective, avec des déclinaisons de l’évènement dans les territoires et la création de rendez-vous de formation ou d’information afin de répondre à cette attente sociétale majeure.
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