La pandémie de Covid-19 l’a démontré de cruelle manière : face au réchauffement climatique et à ses conséquences, les systèmes de santé sont en première ligne et sont peu adaptés pour y faire face. Alors que les impacts de la crise sanitaire se font encore sentir sur les professionnels de santé, les zoonoses (voir encadré) sont appelées à se multiplier, et la pollution de l’air et l’augmentation des températures à frapper régulièrement les populations les plus vulnérables (maladies respiratoires, hausse des décès lors des canicules…), sollicitant de fait plus intensément l’hôpital.
De quoi pousser les systèmes de santé non seulement à s’adapter aux nouveaux enjeux et besoins découlant du changement climatique, mais aussi à réduire leur impact sur l’environnement. En France, selon les dernières données du think tank Shift Project, le système de santé est responsable de près de 10% des émissions de gaz à effets de serre. « Il est impératif que l’hôpital soit résilient parce que, quelles que soient les circonstances – météorologiques, sociales, économiques, géostratégiques, mondiales – il doit fonctionner. Et on voit bien, avec le Covid, les épisodes de météo dramatiques, qui vont se multiplier, le prix de l’énergie…, que le système est fragile », observe en effet Véronique Molières, Directrice stratégie, développement, communication du Comité pour le développement durable en santé (C2DS). « Il doit se doter de capacités pour devenir résilient », mais également devenir exemplaire afin de ne pas participer à l’émergence des problématiques qu’il lui faudra traiter.
Les infirmiers sont au cœur du soin et en nombre important. Il y a un effet de masse pour embarquer un établissement dans une démarche plus vertueuse.
Entre atténuation de son impact sur l’environnement et adaptation, l’hôpital doit donc faire évoluer ses pratiques. Et « le développement durable à l’hôpital a plusieurs formes », explique Rudy Chouvel, responsable adjoint du pôle OFFRE et référent sur offre de soins, prévention et transition écologique, à la Fédération hospitalière de France (FHF). « Souvent, la gestion des déchets (DASRI) constitue le point d’entrée pour les soignants, mais c’est en réalité plus large que ça. » Si la prise en compte de ces questions réclame une réponse institutionnelle, il existe bien des leviers d’action pour que les professionnels agissent à leur niveau, et en particulier les infirmiers. Leur rôle est même « essentiel », juge Véronique Molières car les infirmiers sont « un point stratégique, une plaque tournante des établissements hospitaliers. » De fait, ils ont une place prépondérante. « Ils sont au cœur du soin et en nombre important. Il y a un effet de masse pour embarquer un établissement dans une démarche plus vertueuse, ou qui saura en tout cas réduire les impacts des soins. »
- DASRI : Les déchets d'activités de soins à risques infectieux et assimilés (DASRI) sont les déchets issus des activités de diagnostic, de suivi et de traitements préventifs, curatifs et palliatifs (compresses, aiguilles, rasoirs, bistouris, drains…), qui contiennent des micro-organismes viables ou leurs toxines pouvant potentiellement causer des maladies chez les hommes ou d’autres organismes vivants.
- Éco-conception des soins : L’éco-conception d’un soin est une démarche qui vise à prendre en compte les questions environnementales dans toutes les étapes de sa réalisation, afin d’en réduire l’impact.
- One Health : Le concept de One Health – « Une seule santé » en français – vise à promouvoir une approche pluridisciplinaire et globale des enjeux sanitaires faisant le lien entre la santé, la qualité de l’environnement, le climat, l’alimentation, et la biodiversité.
- Zoonose : Les zoonoses sont des maladies dont les agents pathogènes (virus, bactéries…) peuvent être transmis à l’homme par l’animal et inversement, par contact direct ou par des intermédiaires (eau, aliments, sol…). Le Covid-19, le virus de la rage ou la grippe aviaire sont des zoonoses.
Les infirmiers, des acteurs « essentiels »
Dans ce contexte, il suffit parfois de quelques bonnes habitudes à prendre pour limiter l’impact environnemental des établissements. Le CHU de Lille a ainsi prévu de réduire de 10% sa consommation d’énergie - dont 7% rien qu’en appliquant une règle simple, « on éteint les lumières et on ferme les portes », explique-t-elle. Mais « l’essentiel des actions, sur le terrain, émerge d’abord des professionnels », indique Rudy Chouvel. De plus en plus, les établissements se dotent en effet de comités de pilotage réunissant aussi bien les professionnels de la logistique que du soin, avec des médecins,des cadres et des paramédicaux représentant la direction des soins, et de groupes de réflexion thématiques (sur l’énergie, l’évolution des pratiques en bloc opératoire…), cite-t-il en exemple. Enfin, rappelle Véronique Molières, les infirmiers ont un rôle « éducationnel », notamment auprès des patients et de leurs proches « car ils sont au plus près d’eux. Ce n’est pas le cas de toutes les professions de santé au sein de l’hôpital. »
De la bonne pratique à l’éco-conception des soins
À l’échelle plus accessible des services, les infirmiers restent des « sachants » et sont donc en mesure d’introduire des modifications plus durables dans les pratiques et la conception des soins, défend Véronique Molières. C’est "l’éco-conception des soins", soit des réflexions portées par « des équipes de soignants », et souvent « par des infirmiers, avec l’aide ou pas de médecins », pour repenser les soins dès leur point d’origine. Avec, à la clé, des mises en application très concrètes.
A Nice, du bon usage de l’eau et du savon
Ainsi, au sein de la maternité du CHU de Nice, sage-femmes et infirmières puéricultrices ont identifié 8 séquences de soins qui demandent un antiseptique. « En rebalayant ces séquences avec l’aide d’experts, elles sont arrivées à la conclusion que, dans 5 cas, l’eau et le savon suffisaient », détaille Véronique Molières.
A Marseille, l’utilisation restreinte des gaz polluants
« Souvent, les initiatives au bloc se concentrent autour des gaz anesthésiants, des déchets et des métaux, avec l’exemple de l’association Les P’tits Doudous1 », remarque Rudy Chouvel. Au sein de l’Assistance Publique – Hôpitaux de Marseille, a été menée une réflexion pour mettre fin à l’utilisation du desflurane, un gaz anesthésiant au large pouvoir réchauffant. « Ils ont aussi arrêté le protoxyde d’azote. Ils ont appelé ça le "Blue Challenge", car ce gaz circule généralement dans des tuyaux de couleur bleue. »
A Toulouse, des « custom packs » pour éviter le gâchis de matériel
Sans aller jusqu’à repenser l’intégralité des soins, il est aussi possible d’introduire de nouvelles pratiques plus respectueuses de l’environnement. À l’IHU de Toulouse, c’est ainsi la question du matériel ouvert mais non utilisé en orthopédie qui a fait l’objet d’un changement de pratique, avec la création de "custom packs". « Ce sont des trousses sur mesure », réfléchies pour « remédier à la pratique consistant à ouvrir une boîte complète de matériel et à en jeter la moitié. » Pensées dans une logique d’harmonisation des pratiques, elles contiennent « uniquement le matériel utile. Il y a donc moins d’emballage, moins de manipulation », détaille-t-il. Avec, outre moins de déchets, une autre conséquence positive : « c’est certes un peu plus cher, mais vous gagnez en qualité de vie au travail et en temps IBODE ».
S’engager dans une réflexion durable, certes, mais comment ? Sur ce type d’enjeu, il est primordial de s’appuyer sur un réseau, défend Véronique Molières. Le C2DS, créé il y a 15 ans, est une association qui fédère justement les établissements sanitaires et médico-sociaux qui souhaitent développer des pratiques plus en phase avec le développement durable. « Notre rôle est de diffuser » les idées, les bonnes pratiques mises en place dans certains services, notamment via des webinaires, explique-t-elle. La réflexion de la maternité du CHU de Nice et le protocole qui en a découlé, par exemple, doivent pouvoir être partagés avec les 104 autres maternités présentes au sein du réseau. « Les travaux des uns doivent être impérativement partagés avec les autres, pour qu’ils puissent s’en emparer et les mettre en place. Et ça leur donne des idées pour travailler sur d’autres sujets. » Dans un même ordre d’idée, la FHF a notamment créé le prix « Transition écologique en santé », remis pour la première fois lors du salon SantExpo de 2022 et qui récompense 3 initiatives exemplaires. Il sera de nouveau remis lors de l’édition 2023 de l’événement, qui se tiendra du 23 au 25 mai.
Un engagement qui redonne du sens
De manière générale, il est essentiel que les professionnels se saisissent au quotidien de ces questions, « parce que, concrètement, ce seront eux qui feront », résume Rudy Chouvel. Or « quelque chose d’imposé, même si c’est vertueux, ne conviendra pas. » Les réponses, donc, doivent provenir des professionnels eux-mêmes. « Ce sont eux qui ont souvent les meilleures idées. »
Cet engagement, Véronique Molières l’observe de toute façon déjà sur le terrain. Elle constate depuis le Covid-19 non seulement une accélération des adhésions des établissements au sein du réseau du C2DS – 850 en deux ans, contre 500 en 10 ans d’existence de l’organisation – mais aussi une implication croissante des personnels. « Dès lors que les soignants ont été sensibilisés à ces sujets, qu’ils sont convaincus, ils sont conquis, parce que ça correspond à leurs valeurs et ça redonne du sens à leur métier. » Et la question du sens est primordiale. Car l’engagement d’une structure dans une démarche plus éco-responsable constitue désormais « un levier d’attractivité, c’est évident », confirme Véronique Molières. Les questions sur l’engagement des structures apparaissent de plus en plus lors des entretiens d’embauche.
Pour autant, certains professionnels demeurent réfractaires à un tel engagement, « en particulier dès qu’on commence à toucher au confort des uns et des autres, que ce soit la direction, les professionnels… », nuance Rudy Chouvel. D’où l’importance de la présence d’ambassadeurs, formés à ces questions, qui se développe de plus en plus dans les établissements. « Il faut écouter les professionnels. Ils sont créatifs, ils ont les solutions. Et ce sont eux qui vont porter la démarche. Donc si on ne les écoute pas, si on ne les embarque pas dès le départ, on n’ira pas bien loin », conclut Véronique Molière.
1Association qui a notamment pour action de récupérer les bistouris électriques à usage unique utilisés en bloc opératoire pour en faire recycler le cuivre et financer ainsi une partie des achats de doudous pour les enfants opérés.
Article précédent
Éco-responsabilité : des leviers d’action à l’hôpital comme en ville
Article suivant
Ecomaternité : de quoi parle-t-on ?
Éco-responsabilité : des leviers d’action à l’hôpital comme en ville
Les infirmiers, maillons essentiels du développement durable à l’hôpital
Ecomaternité : de quoi parle-t-on ?
Eco-infirmier: comment bien se former ?
Eco-infirmier : qui es-tu ?
One Health : une approche à renforcer pour assurer la transition écologique du système de santé
INTERNATIONAL
Infirmiers, infirmières : appel à candidatures pour les prix "Reconnaissance" 2025 du SIDIIEF
HOSPITALISATION A DOMICILE
Un flash sécurité patient sur les évènements indésirables associés aux soins en HAD
THÉRAPIES COMPLÉMENTAIRES
Hypnose, méditation : la révolution silencieuse
RECRUTEMENT
Pénurie d'infirmiers : où en est-on ?