Aujourd'hui – et depuis plusieurs années déjà – les relations entre les professionnels exerçant en établissements de santé, sociaux et médico-sociaux (ESSMS) sont souvent malmenées. Comme sur le plan organisationnel, ils sont nombreux à interagir en mode plus ou moins dégradé. Comment faire pour rebâtir une qualité relationnelle a minima ? La médiation professionnelle peut-elle être une solution ? Éclairage à partir d'une conférence-dédicace organisée à Toulouse le 24 mai dernier.
Il n'est pas besoin d'aller chercher bien loin dans sa mémoire le souvenir d'une querelle, d’un contentieux, d’un litige avec un collègue, un supérieur hiérarchique... portant tantôt sur la répartition des contraintes (continuité de service qui repose sur les équipes, les personnels), tantôt sur la politique RH (marges de manœuvre limitées pour la promotion professionnelle compte tenu du cadre réglementaire contraint de la FPH, problématiques statutaires…), tantôt encore sur le choix du matériel médical… Les situations conflictuelles en milieu hospitalier – et dans le secteur médico-social – sont en effet monnaie courante. Et cela n'est pas tout à fait un hasard. En effet, l’hôpital est le lieu où les conflits de logiques sont les plus forts, avec des attentes de coopération (entre patients/soignants) importantes. C’est aussi un lieu où les métiers sont nombreux et divers, où le corporatisme est influent
, et où, parallèlement, le pouvoir est relatif et mal régulé
, a observé Michel Thiriet, délégué régional de la Fédération hospitalière de France (FHF) pour la région Occitanie, en préambule d’une conférence-dédicace sur la médiation professionnelle1. Et d'ajouter : La sociologie de l’hôpital est percutée par des transformations profondes de l’offre de soins [virage ambulatoire, nouveaux besoins (transition démographique + épidémiologique/pays vieillissant, polypathologies, maladies chroniques), virage numérique, promotion de la dimension de prévention, essor de la démocratie sanitaire…]
. D’autres facteurs se surajoutent par ailleurs, tels les contraintes économiques ou les espaces de discussion qui se réduisent comme peau de chagrin. Et que dire encore de la relative retenue des personnels qui, n’ayant que peu l’habitude de verbaliser leurs conflits, ne fait au final que les enkyster ?
À retenir
Attention à ne pas confondre médiation professionnelle, conciliation et arbitrage. La médiation professionnelle est un processus d'accompagnement des individus leur permettant d'élaborer une sortie de crise et un projet relationnel pacifié
*. Son approche vise à réinstaurer le dialogue, non à suggérer des solutions. La démarche de conciliation aboutit, elle, à une certaine forme d’arbitrage. La posture est différente. La médiation ne s’improvise pas. Il est fondamental d’y être formé pour la pratiquer. En revanche, il n’est pas besoin d’être infirmier, médecin, kiné ou brancardier pour intervenir en tant que médiateur professionnel dans un établissement de santé ou médico-social. En France, la sphère familiale est l’un des premiers lieux où la médiation s’est développée. Mais il reste encore un vaste travail de terrain à faire pour la diffuser au milieu professionnel.
*Boyer O. (sous la dir. de) La médiation professionnelle dans le management hospitalier. Op cit note 4
Un processus d'accompagnement structuré pour sortir des conflits
Pour autant, les établissements de santé et médico-sociaux ne sont pas totalement démunis face aux conflits interpersonnels pouvant survenir en leur sein. Ils comptent effectivement dans leurs effectifs des espaces de régulation2 et/ou personnes ressources via des autorités par fonction (DRH, médecin du travail, représentants syndicaux, président de CME, direction des soins…) susceptibles de les résoudre. Toutefois, celles-ci ont davantage un rôle de conciliateur que de médiateur en tant que tel
a constaté Michel Thiriet. En outre, ces personnes ressources ne sont pas réellement formées à la médiation/résolution de conflits ni toujours dans une posture d’impartialité, de neutralité…
D'où l'intérêt de mobiliser – aussi – des médiateurs professionnels, pour leur part formés, dont le domaine de compétence est la relation et qui agissent toujours selon une charte de déontologie professionnelle axée sur l'indépendance, l'impartialité, la neutralité et la confidentialité. Des médiateurs professionnels dont la gestion RH peut tirer avantage, notamment en essayant d’avoir des solutions simples de proximité
a considéré le délégué régional FHF.
En pratique, un agent en situation de conflit3 peut soit saisir directement un médiateur si cette compétence est internalisée, soit formuler auprès de sa DRH une demande de médiation laquelle sera alors externalisée. […] La médiation professionnelle est en train de se structurer dans le secteur de la santé mais cela doit encore passer dans la culture
a indiqué Orianne Boyer, ex-infirmière, aujourd'hui médiateure professionnelle, co-gérante d'OBCD Groupe, et coordinatrice d’un ouvrage sur le sujet4. Et de poursuivre : Le médiateur professionnel est un facilitateur ; il va aider à structurer les choses. Mais il ne va pas suggérer de solution
laquelle émane des personnes en conflit qui exercent dans ce cadre leur libre arbitre.
En cas de crise, le processus de médiation professionnelle part du réel. Le médiateur va ainsi d’abord s’entretenir individuellement avec chacune des personnes impliquées dans le conflit, l’objectif étant à ce stade de clarifier leur posture et de préparer la réunion de médiation
1. Puis, il initie cette réunion durant laquelle les parties impliquées, en faisant un bilan et inventaire de leur relation, sont invitées à se projeter dans un projet relationnel de sortie de crise
. Trois issues théoriques sont alors possibles : une reprise de la relation telle qu’elle était avant la crise relationnelle, une rupture totale et définitive de la relation (via par exemple une mobilité interne ou un changement d’affectation) – il ne s’agit pas forcément d’un échec –, ou un aménagement de la relation (voir encadré). Notons que quelle que soit l’issue, la solution n’est pas toujours satisfaisante pour toutes les parties en présence. La médiation n’est pas une affaire de gagnant-gagnant. La médiation est un processus de clarification des attentes, de mise en œuvre d’un projet relationnel et d’une relation pacifiée
4.
Au-delà de la résolution des crises relationnelles, la médiation professionnelle peut également être déclinée dans une démarche de prévention et de renforcement des qualités relationnelles, notamment auprès de certains publics comme les cadres par exemple. Ce qui est fondamental, c’est de donner des outils aux personnes pour leur permettre d’être dans une bonne qualité de relation au travail
a poursuivi la médiateure professionnelle.
Le médiateur professionnel est un facilitateur ; il va aider à structurer les choses. Mais il ne va pas suggérer de solution
Un décret "médiation" en préparation
Enfin, il faut noter la mise en place prochaine d’un système de médiation articulé autour d’échelons nationaux et régionaux, lequel devrait permettre d’aller dans le sens d’une meilleure qualité relationnelle dans les établissements. Le projet de décret instituant ce système est en préparation
a précisé le délégué régional FHF. Il est prévu de nommer un médiateur par région auquel sera associé une dizaine de personnes pour gérer ces conflits interpersonnels au sein des établissements
. […] Et d’ajouter : Si cela n’aboutit pas localement, il y aura ensuite possibilité de faire appel au médiateur national à la qualité de vie au travail
, en l’occurrence Édouard Couty5. Reste qu’il convient de lever certaines ambiguïtés au texte en préparation
a concédé le délégué régional FHF, comme celles relatives au périmètre de l’action de la médiation, à ce jour mal défini
, à la manière dont vont être installées ces personnes ressources, à leur formation, leur indépendance, ou encore celles relatives à la confidentialité. Attention aux dispositifs de saisine
a de son côté mis en garde Orianne Boyer, le processus devant sans conteste rester simple
. À suivre.
Un exemple de médiation
Un conflit oppose un cadre de soins et un cadre supérieur, le premier portant plainte pour harcèlement moral à l’encontre de son supérieur. Le cadre de soins est en arrêt maladie depuis près d’un an avec un suivi psychologique. Lors de sa reprise d’activité, la DRH lui propose une médiation et ce, alors même que la décision a déjà été prise de le changer de service. L’objectif de la démarche est de clarifier les choses, les attentes de chacune des parties. Au cours de la réunion de médiation, les deux cadres impliqués sont capables de rediscuter du passé et faire l’inventaire de leur relation. Au final, elles s’accordent à une sortie de crise : la fin de leur collaboration directe (donc la rupture de la relation). Le cadre supérieur ne s’est pas senti gagnant dans ce processus mais il a parcouru un itinéraire de clarification avec son collaborateur, ce qui a permis de pacifier la relation.
Valérie HEDEF valerie.hedef@orange.fr
Notes
- Conférence-dédicace "Mal-être des professionnels de santé : les solutions de la médiation professionnelle" organisée par la Chambre professionnelle de la médiation professionnelle le 24 mai 2018 à Toulouse (31)
- Il existe par exemple pour les personnels médicaux des espaces de régulation extérieurs comme les conseils de l’Ordre et les commissions régionales paritaires (CRP) placées auprès des directeurs généraux des agences régionales de santé (ARS).
- La saisine du médiateur peut aussi émaner de la direction, de la direction des ressources humaines, des syndicats.
- Boyer O. (sous la dir. de) La médiation professionnelle dans le management hospitalier. Pratique de la qualité relationnelle à l’hôpital. Sauramps médical, oct. 2017
- Nommé dans le cadre de la Stratégie nationale d’amélioration de la qualité de vie au travail des hospitaliers publiée en décembre 2016
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