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GRANDS DOSSIERS

Un Plan rouge pour faire face aux situations de catastrophe

Publié le 24/11/2015
attentats de paris 13 novembre 2015

attentats de paris 13 novembre 2015

Henri Julien, médecin général (2S), ancien médecin chef de la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), a pris une part active dans la refonte historique du plan rouge. Actuellement président de la Société Française de Médecine de Catastrophe et co auteur, avec le Pr Larcan en 2010, d’un rapport pour l’académie de médecine sur le secourisme et son évolution, il répond aux questions d'Infirmiers.com.

Infirmiers.com - Mes devoirs1 mon2 Général. Vous avez participé, en 1978 alors que vous étiez médecin chef de la BSPP, à l’élaboration du Plan rouge. Dans quelles circonstances, dans quel état d’esprit et sur quelle base l’avez vous proposé ?

Faire face à des situations de plusieurs dizaines, voire centaines de victimes, tel est l'objectif du Plan rouge.

Henri Julien - Le Plan Rouge à la BSPP existait depuis 10 à 15 ans sous forme d’un plan de réponse à trois niveaux : bleu – blanc  – rouge, correspondant au déclenchement de moyens proportionnés pour faire face à des situations de 10 – 100 – 200 victimes environ. C’était un plan interne et sur le secteur BSPP.

À la suite à d’un Accident Catastrophique à Effet Limité (ACEL) survenu rue Raynouard dans le 16ème arrondissement de Paris, l’explosion d’une fuite de gaz ayant aussi endommagé notre (Poste Médical Avancé PMA) situé en face, nous nous sommes rendus compte que la quantité de victimes ne devait pas être le seul déterminant mais que les difficultés elles-mêmes de l’intervention et son mode d’organisation étaient à prendre en compte. Nous voulions également souligner que sur les interventions similaires, il y avait toujours du ramassage, toujours un rassemblement des victimes, leur tri et des soins sur place et toujours des évacuations. Et donc qu’une coordination était nécessaire. Il était donc primordial que le Plan Rouge englobe l’organisation d’un dispositif de secours pour le meilleur relevage des victimes placé sous l’autorité d’un médecin. Cette organisation a été étendue à l’ensemble de la France par une circulaire en 1986 confirmée en 1989.

Infirmiers.com - Quels grands changements avez-vous repéré au cours des années aussi bien au niveau des événements que de la réponse des secours ?

Henri Julien - Le premier Plan Rouge (dans sa stratégie) a été la conception de médecins anesthésistes réanimateurs de la BSPP, des SAMU qui intervenaient et prenaient en charge des blessés somatiques. La première évolution du Plan Rouge date des années  1985/1990 avec la prise en compte des blessures psychologique grâce à l’intervention des psychiatres. Puis, en 2000, c’est l’arrivée des risques Nucléaires, Radiologiques, Biologiques, Chimiques (NRBC) qui ont fait évoluer la réponse : le plan Jaune à la BSPP et toutes les mesures qui ont tourné autour de ces risques. Et là récemment, vendredi 13 novembre 2015, première application du plan Rouge ALPHA, multi site en France. Le concept recherche – développement – adaptation n’est pas nouveau puisqu’il a permis de faire évoluer les plans de secours, mais doit être observé pour l’avenir.

Infirmiers.com - Quelles difficultés avez-vous observé ?

Henri Julien - À ce jour nous ne pouvons qu’observer, rassembler des éléments d’information. Nous ne disposons pas suffisamment de recul, d’éléments retour, pour émettre d’autres commentaires.

Par contre, nous découvrons ici une évolution de notre société que j’appelle l'Uberisation du terrorisme. Uber, c’est avoir un véhicule pour aller au travail le lundi et mardi, et le mercredi vous le proposez à des passagers contre paiement. Vous faisiez appel à un plombier ou un garagiste, aujourd’hui vous êtes tous les corps de métiers grâce aux réseaux. Là c’est pareil. Apprendre à faire une bombe, se radicaliser se fait via Internet ou les réseaux. Il s’agit donc d’une nébuleuse en réseau social et un individu, un groupe peut décider de passer à l’action. La grande difficulté pour la police est de dépister des individus qui peuvent devenir n’importe qui (aussi des terroristes), n’importe quand. Il est donc nécessaire de répondre à l’Uberisation des terroristes par l’Uberisation des citoyens.  Puisque tout individu peut devenir terroriste, il faut que tout citoyen soit préparé à répondre. Donc, pour nous, être capable de se prendre en charge lorsqu’on est blessé, apprendre à se comporter, aider son voisin. Mettre le citoyen à nouveau au cœur du dispositif. Il doit être informé, formé, être en capacité de se protéger, de se donner les premiers secours et de les donner aux autres.

Infirmiers.com - Quels regards et quels commentaires avez-vous à faire concernant le Plan Rouge Alpha ?

Henri Julien - Le plan Rouge Alpha a tiré les leçons des attentats de Madrid et de Londres. C’est la première fois qu’il est mis en œuvre, juxtaposition de plusieurs Plans Rouge. Il est trop tôt pour tirer les leçons de ce premier déploiement  mais ce qu’on a pu observer, c’est qu’il semble avoir manqué une coordination entre les différents sites- plan Rouge et une coordination centralisée inter service  pour les moyens permettant la gestion des listes de victimes.

Infirmiers.com - Une coordination unique a-t-elle été mise en place dans un des centres opérationnels ?

Henri Julien - Je n’ai pas d’information là dessus.

Infirmiers.com - Vous sachant très attaché aux infirmiers, aux secouristes, aux ambulanciers avec qui vous collaborez et que vous mettez en avant depuis de nombreuses années, quels conseils pouvez-vous leur prodiguer lorsque, quelle que soit la couleur de leur uniforme, ils sont déclenchés sur une SMV à l’occasion d’un ACEL ou comme récemment sur des situations de guerre urbaine ?

Henri Julien - Les personnels de santé que vous avez cités sont des personnes ressources pour tous types de catastrophe, ils ont une compétence pour aider les populations. Leur grand nombre (5 infirmiers pour 1 médecin) est un ratio suffisamment éloquent pour ne pas les laisser de côté. Lorsque vous êtes professionnel de santé ou autre acteur des services de secours et de santé dans votre immeuble, et qu’il se produit un accident, vous êtes souvent le premier qu’on vient chercher pour de l’aide. Là c’est pareil. En cas de catastrophe, les infirmiers sont une ressource pour les premiers instants. Il suffit de voir la forte demande des infirmiers auprès des universités pour les formations touchant aux catastrophes. Il faut les former, renforcer leurs connaissances sur ce type d’événement et sur ce qu’ils peuvent faire même très localement (NDLA : lors de la catastrophe d’AZF en 2001, les infirmiers libéraux entre autres ont été parmi les premiers à ouvrir des centres de premiers secours pour les blessés).

Concernant la sécurité des intervenants, on a vu une juxtaposition de gilets par balle, pompiers en tenue de travail, infirmiers et équipes médicales en tenue soignante. Il est donc primordial que l’intervenant santé apprenne à se protéger, à mesurer son exposition au risque car comme on le sait un infirmier blessé ou mort est un double problème. Il ne peut plus soigner ou devient une victime supplémentaire.

Infirmiers.com - Merci Mon Général.

Notes

  1. Formule de politesse adaptée à l’adresse d’un Général de l’armée Française.
  2. Mon étant utilisé non à titre possessif mais en remplacement de « Monsieur le ».

Propos recueillis par James IACINO  Infirmier, DU gestion de crise et sécurité intérieure (Paris V)  Membre du comité de rédaction d'Infirmiers.com


Source : infirmiers.com