La crise sanitaire a révélé nombre de constats, notamment en ce qui concerne l'organisation du système de santé, sa capacité de mobilisation et la valeur donnée à ses principaux acteurs : les professionnels de santé. Alors que le Président de la République a promis un "plan massif d'investissement et de revalorisation de l'ensemble des carrières" et qu'Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sous l'impulsion du Premier Ministre, a inauguré le "Ségur de la Santé", faisons le point avec l'un des chefs de file de la représentation professionnelle d'un métier "de l'ombre" qui a gagné ses lettres de noblesse durant la crise COVID19 : les aides-soignants. Guillaume Gontard, président de la Fédération nationale des associations d'aides-soignants (FNAAS) nous livre son ressenti autour de la question suivante : l'aide-soignant invisible est-il devenu visible ou son invisibilité est-elle toujours visible ?
Infirmiers.com - Le Ségur de la Santé se veut être une grande concertation pluriprofessionnelle, pouvez-vous nous dire quelle est la place occupée par la représentation des aides-soignants au sein de cet ensemble ?
Guillaume Gontard - A travers la FNAAS, nous sommes les représentants des aides-soignants au niveau national. Pour autant, nous avons été surpris de ne pas être conviés aux réunions préparatoires du "Ségur de la santé". En effet, deux jours avant l'ouverture de la concertation, nous n'avions pas reçu d'invitation ! Cependant, grâce au soutien de la Direction Générale de l'Offre de Soins, nous avons pu être présent en visioconférence lors de son lancement le 25 mai dernier. Depuis, nos échanges se font à distance et nous pouvons uniquement faire des propositions par courriel. Au final, ce n'est pas tant la place que nous avons dans les réunions qui nous importe, mais la valeur et l'intérêt portés à nos propositions, même par mail. Nous attendons de voir ce que le Ministre des Solidarités et de la Santé en fera !
I. C. - Regrettez-vous ce manque de considération ? Qu'est-ce que cela témoigne pour le métier d'aide-soignant ?
G. G. - Nous sommes tellement éloignés des prises de décisions, c’est effrayant. Une profession tellement proche des patients et résidents, ayant une expertise soignante bien à elle, agissant en collaboration avec d'autres professionnels de santé, et si peu écoutée... En fait, cela est représentatif de la méconnaissance de notre profession de la part des décideurs, tout simplement. Du côté de nos collègues infirmiers, la déception est tout aussi grande . Alors, oui, Olivier Véran vient d'annoncer une enveloppe de 6 milliards pour la revalorisation des salaires des paramédicaux et donc parmi eux, des nôtres. Nous nous joignons aux revendications des syndicats plus compétents que nous pour traiter cette question et nous ne pouvons qu'espérer une augmentation substantielle de nos salaires de misère...
Nous ferons des propositions pour les aides-soignant.e.s au "Ségur de le santé" grâce à un e-mail. Nous ne sommes pas présent dans les comités. Nous sommes apparemment pas assez proche des problèmes rencontrés sur le terrain, pour pouvoir en parler.https://t.co/pFNJxivBnY pic.twitter.com/XwGkyUhk3T
— Guillaume Gontard (@GuillaumeGonta1) June 10, 2020
I. C. - Dans un communiqué publié le 15 Juin, la FNAAS par votre voix, porte des propositions concrètes pour l'avenir, notamment en ce qui concerne la place et le rôle de l'aide-soignant. Pour quelles raisons pensez-vous que le système de santé du "monde d'après" doit lui donner plus de place ?
G. G. - Nous devons faire un effort et globaliser encore plus les prises en soins. Les soins ne doivent pas être totalement médico-centrés. Et la place de chacun, notamment des aides-soignants dans cet ensemble est important. En effet, toutes les personnes qui gravitent autour et pour le patient et résident, ont un intérêt majeur. Nous voulons la place qui est la nôtre, celle d'un métier avec des compétences spécifiques et un rôle propre, mettant en oeuvre un raisonnement clinique de qualité et non plus comme une seule fonction "exécutante". Nous voulons être enfin reconnus "à part entière" dans le système de santé et y prendre part comme un acteur important.
Notre profession d'aide-soignant est en manque de reconnaissance identitaire et financière dans notre système de santé. Nous demandons que l'on nous donne la place qui est la nôtre !
I. C. - A la fin du communiqué, vous parlez de la publication d'un "livre blanc". Pouvez-vous nous en dire plus ? Qu'en attendez-vous concrètement ?
G. G. - Le livre blanc est un projet ambitieux. Il a pour objet de dresser le bilan des difficultés actuelles des aides-soignants et de chercher à y apporter des solutions ou des pistes de réflexion. Tout cela, une fois mis en perspective, apportera un dessin plus clair de la réalité mais aussi des attentes du terrain. Quand les décideurs reproduisent le schéma du terrain, nous on propose un papier calque plus clair et mieux défini afin d’y reproduire le contexte actuel, point par point. Nous avions laissé à Agnès Buzyn, lorsqu’elle était ministre, une lettre en main propre lui indiquant que le livre blanc lui serait remis. Puis il y a eu sa démission et la crise sanitaire…
I. C. - Il y a peu de temps, un échange de tweet entre la FNAAS et l'URPS ARA a fait l'objet d'un débat concernant la considération des aides-soignants. Est-ce finalement le problème de fond du métier ?
G. G. - Il s’agissait d’une réponse - jugée de l'avis de tous ceux qui ont réagi comme "méprisante et déplacée" de la part d'une organisation représentative d'infirmiers libéraux- à notre communiqué de presse posté sur twitter. Soyons clair, la FNAAS n’attaque personne ! Quand nous faisons des propositions, elles ont d'abord le souci de la qualité des soins apportée aux patients et aux résidents, en prenant en compte de la réalité du terrain. Je préfère imaginer que ce tweet fâcheux est celui d'une personne isolée, probablement en colère. A titre personnel, je n’ai jamais compris ces "gué-guerres" de clocher entre infirmiers et aides-soignants. Cela ne m’intéresse pas. De façon plus globale, en qualité de président de la FNAAS, je préfère dépasser ces clivages. Ce qui m’importe est d’expliquer et de porter le projet de vie professionnelle des aides-soignants dans une société complexe qui reconnait enfin l'essentialité du métier AS et, de fait, le considère et le valorise.
Nous sommes convaincus que les solutions se trouvent collectivement et qu'elles doivent émaner des professionnels de terrain, en s'appuyant sur leurs expériences concrètes.
Propos recueillis par Alexis Bataille pour Infirmiers.com
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