Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

HUMOUR

Amour, gloire et Bétadine - Pas de bras, pas de chocolat…

Publié le 06/03/2014
humour réveil

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Mes amis, réjouissons-nous, car ceux qui prédisent le déclin économique de la France se trompent lourdement. Grâce à une gestion technocratique hors-pair et une prolifération de contraintes administratives, le nombre d’usines à gaz est en effet en nette augmentation dans le pays, renforçant de-facto notre tissu industriel. Didier Morisot, notre infirmier "san antoniesque" nous livre, une fois de plus, sa vision très personnelle de la situation. Et on aime ça ! 

Réveiller l'administrateur de garde en pleine nuit, un cauchemar, oui mais pour qui ?

Il y a cependant un revers de la médaille à ce constat radieux du nombre d'usines à gaz, et nous devons le nuancer en soulignant les dégâts collatéraux induits par une réglementation trop foisonnante. En fait, le ventre de la bête (la bête procédurière) est vraiment trop fécond. 400 000 normes officielles, une jungle d’articles qui fixe la température des épinards mangées à la cantine, la taille des cure-dents ou le pourcentage de gélatine contenu dans le foie gras du Périgord fabriqué en Chine. Oui, l’heure est grave, mes amis. La législation en folie envahit tout, paralyse tout, et bloque les forces vives de la Nation. Et l’hôpital n’est pas épargné, hélas.

Il était pourtant beau mon hôpital...

Certes, le phénomène n’est pas spectaculaire car il est apparu lentement, tel un réchauffement climatique sournois : sous couvert d’efficacité, une montée des eaux insidieuse… une inondation administrative dont on ne prend conscience qu’une fois les pieds mouillés… Pourtant, il était beau mon hôpital avant la fonte de la banquise : un travail d’équipe, un cadre qui n’était pas un manager, des andouillettes au vin blanc et à la moutarde partagées entre camarades (minuit, l’intermède gastronomique…). Moi qui ai choisi ce métier pour soigner, c’est bien ce que je faisais : peut-être 20 % de paperasses, 10 % de cuisine, et le reste au service des « patients ».

Patients... un nom bizarre, entre nous, en fait, on appelle les gens comme ça pour ne pas qu’ils nous mordent : une sorte de méthode Coué, en quelque sorte. Bref, de bien belles années... Je me rappelle mes nuits aux urgences avec Fred, le roi de l’andouillette. Mon collègue, mon ami ambulancier, modèle de calme et de sang-froid : les accidents, les blessés, les oignons qui brûlent au fond de la poêle… quoiqu’il arrive, il remplissait sa mission avec la force du professionnel aguerri, contrôlant ses émotions de manière admirable. Une fois pourtant, je l’ai vu pleurer… un soir de match : l’Olympic-Lyonnais venait de se faire éliminer du championnat. Même les plus forts ont leur talon d’Achille, et là j’ai aperçu une larme - furtive - sur son visage impassible. Fredo, tu es un roc.

Mais ça c’était avant. Avant que nos plus nobles institutions se transforment donc en usines à gaz… Rappelez-vous, l’Institut de Veille Sanitaire en 2003, anesthésié sous la clim (« …une canicule, ah bon, où ça ? »). Plus récemment, l’AFSSAPS - rebaptisée Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) - avec le scandale du Médiator, aussi réactif qu’une palourde hémiplégique (« oh, les gentilles gélules… »). Des organismes pourtant sérieux, au service de la santé publique. Comme quoi…

Dis maman, c’est qui le gros monsieur qui fait des lois sans arrêt ? C’est l’énorme de Bruxelles, mon chéri…

... mais ça c'était avant !

Oui, mes amis, c’est mon opinion et je la partage : cette dérive est une menace terrible. Et le mal est très profond, aussi insondable que la capacité d’accueil de Linda Lovelace (« Deep Throat » - docufiction ORL de 1972). Epoque bizarre que la nôtre : lorsqu’un champion de F1 s'abîme aux sports d’hiver, c’est en effet la faute à la station qui ne lui a pas signalé les cailloux sous la poudreuse… A l’hôpital on ouvre donc le parapluie et on inverse joyeusement les priorités : avant de soigner les gens, on leur demande leur pedigree (« ah, vous saignez ! merci de ne pas en mettre sur le bureau »), on respecte de jolis protocoles pour faire plaisir à la hiérarchie, on remplit des « démarches-qualité » élaborées par des bac+12 effectuant des « missions transversales », on instaure un nouveau culte (celui de la traçabilité)… Sans oublier, bien sûr, les diagnostics infirmiers, ces formules alambiquées qui revalorisent la profession sans augmenter les salaires.  Exemple parlant :« désertion de la sphère relationnelle, en lien avec une perte de la vigilance, une baisse des capacités cognitives et une asthénie profonde et soudaine », ce qui veut dire en clair que le gars a sommeil ! 

Oui, pourquoi faire simple quand on peut faire son intéressant ? On écrit donc tout ça, et lorsqu’il nous reste un peu de temps, on va voir s’il y a des pansements à faire ou des perfusions à poser. On ne sait jamais. Et si vraiment il nous reste un moment à perdre, on va causer avec les patients. Mais ça, c’est presque devenu de la science-fiction… 

Les diagnostics infirmiers, ces formules alambiquées qui revalorisent la profession sans augmenter les salaires

Et c’est là que les athéniens s’atteignirent…

Un jour pourtant, comme tous les autres mais différent quand même, on ne supporte plus le machin. Je m’en souviens comme si c’était hier quoique, parfois, je ne me rappelle plus toujours ce que j’ai fait la veille. Mais bref, là n’est pas le problème : je m’en souviens, c’est l’essentiel. Je travaillais alors - pauvre infirmier, gagnant son misérable pain à la sueur de son front ridé - dans un hôpital au sud de la Loire. Et à l’ouest de la Berezina !  Un accident de voiture, donc : un mort, une blessée grave et une gamine de cinq ans qui se plaint du ventre. Un tableau d’ailleurs inquiétant : traumatisme vésical, rate hémorragie, rupture d’intestin grêle… allez savoir ? En attendant, perfusion, bilan avec groupe sanguin en urgence, échographie…

- "Stop, ça va pas être possible !… stupeur dans l’assistance."

- "C’est quoi le problème, madame du labo ?"

- "Le groupe sanguin, monsieur l’infirmier : sans le nom et la date de naissance de l’enfant, je ne peux pas faire l’examen. Nous avons des nouveaux protocoles : plus le droit de faire un groupe sans identifier la personne. Vous comprenez : la démarche-qualité…"   

En fait, je ne capte pas, je suis même hermétique. Un vrai coffre-fort suisse... et ta sœur, elle cherche des poux dans la barbe de Shrek ? 

- "Mais c’est un accident de voiture, on n’a pas retrouvé ses papiers, madame du labo…" 

- "Veux pas le savoir, j’applique les nouvelles consignes, monsieur l’infirmier..."

C’est la vie, Charly : pas de bras, pas de chocolat…et paf, je te raccroche le téléphone dans la tronche !

Nous avons des nouveaux protocoles : plus le droit de faire un groupe sans identifier la personne. Vous comprenez : la démarche-qualité…

La goutte d’eau qui met le feu aux poudres…

Moi qui ai pourtant vingt siècles de judéo-christianisme dans le rétroviseur, cinq ans de morale à l’école primaire, des parents qui m’ont appris à ne jamais faire de vagues (le surf ? Non, merci…), moi qui suis gentil et bien élevé, je pars en vrille. Brutalement. Furieux, je réveille l’ami Gérard, le standardiste, en coma dépassé devant les aventures de Caramel, l’ourson intrépide. Oui, les programmes télé, la nuit : une catastrophe ! Bref, je sors aussi du coma les autorités compétentes qui, elles, étaient au fond de leur lit  : "Gérard !!! Passe-moi le directeur !!!" J'ai encore jamais fait un truc pareil... D’habitude, je "pourris" la vie des gens uniquement lorsqu’ils sont réveillés. Le brave homme s’en ramasse donc une pleine tête, en se demandant ce qui lui arrive. Il passe sans transition du doux pays horizontal des songes au monde de brutes des gens à la verticale. Afin de lui faire comprendre que la sieste est bien finie, j’évoque le joyeux boulot qui est le mien, les jolis protocoles qui encadrent mon beau métier d’infirmier, ainsi que l’établissement où j’évolue au jour le jour. Endroit dont je parle en termes peu flatteurs comme vous l'imaginez ! Pour finir, je n’oublie pas les efforts déployés par le service afin d’obtenir « l’accréditation », le Saint-Graal hospitalier. Un label prestigieux, l’équivalent du Prix Nobel de cuisine pour un fast-food. Plus précisément, je l’informe que - à mon avis - un document pareil n’est bon qu’à servir de plan B lors d’une pénurie de papier hygiénique. Silence au bout de la ligne. Peut-être un peu de friture, en bruit de fond ? En fait, mon supérieur hiérarchique prend deux secondes pour faire le deuil de son sommeil paradoxal, trois autres pour se dire - punaise, il est une heure du matin et je me fais engueuler (euphémisme) au téléphone - avant de me demander qui je suis et quel est le but de ma démarche.

Je reformule donc, en parlant moins vite mais certaines heures sont peu propices à la modification d’un protocole de soins. Hésitant à convoquer le Conseil d’Administration en pleine nuit, mon directeur préfère téléphoner au labo… Et là, magie de l’autorité, mon interlocutrice qui était jusqu’alors accrochée à ses principes "comme un morpion sur un pubis en stade pré-épilatoire"… accepte de revoir sa copie. Merci à la rédaction d'Infirmiers.com de laisser passer mes figures de style ! Dix minutes après, j’ai ma carte de Groupe. 

Joie, bonheur, allégresse. D’autant plus que la gamine s’en sortira bien, finalement. Cerise sur le gâteau, sa maman aussi échappera au pire, malgré fractures et contusion pulmonaire. Par contre, le papa… mais ça on le savait déjà. La vie est une foutue loterie…

Une tranche de vie hospitalière comme une autre, donc. Et un boulot qui vous confronte aux grands mystères de l’Humanité : Pourquoi la souffrance ? Comment Dieu peut-il être si bon alors que le monde est si affreux ? Pourquoi la Star-Academy ? Pourquoi le prix du pain augmente-t-il lorsque celui de la farine diminue ? Le vertige existentiel, quoi… Et bien sûr - j’allais oublier - pourquoi ta sœur cherche-t-elle des poux dans la barbe de Shrek ?

Merci à la rédaction d'Infirmiers.com de laisser passer mes figures de style !

Merci aussi, les petites nabeilles…

Cela dit, tout n’est pas négatif à l’hôpital. Soyons objectifs : prenons garde de ne pas noircir le tableau. En effet, j’en connais au moins un qui est content de son sort : Caramel, l’ourson intrépide. Il a trouvé du miel et pendant que Gérard se rendort devant la télé, que le directeur se demande pourquoi il ne vend pas des gaufres à Etretat, que la fille du labo relit son protocole en se grattant le crâne avec la main gauche et le bas du dos avec la main droite… pendant ce temps, Caramel se tape sur la peau du ventre en sifflotant. Comme quoi il y a des gens heureux à l’hôpital.

Allez, courage, soyons effectivement un peu positifs. La prochaine fois, je vous raconterai plutôt comment je m’amuse avec mes petits camarades afin de relâcher la pression. Par exemple, en plâtrant les jambes du collègue endormi sur un brancard ou en mettant des moutons dans le bureau du directeur (si, si…). Ou bien en posant des toilettes sur la voie publique afin d’indiquer le changement d’adresse - de cabinet plutôt ! - d’un professionnel de santé... Communiquer avec l’usager, la base d’un Service Public de qualité…   
Bref, on l'aura bien compris, une fois encore, âmes sensibles s'abstenir !

Didier MORISOT Infirmier en Saône-et-Loire didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com