Anik Hoffmann, infirmière coordinatrice d’un SSIAD, membre du comité de rédaction d’Infirmiers.com, a souhaité partager une expérience d’accompagnement d’un patient en fin de vie. Son témoignage émouvant nous rappelle combien l’exercice est complexe, voire sensible, chacun devant trouver – et garder – place et retenue dans une situation où la dynamique familiale est omniprésente. Vos réactions seront les bienvenues.
Récemment, j’animais en binôme avec un intervenant extérieur1 une formation-action à destination des aides-soignantes et de l’infirmière coordinatrice du SSIAD.
Cette action s’inscrit dans notre plan de formation continue et permet aux salariées de se questionner, de réfléchir sur leurs pratiques et d’acquérir de nouvelles compétences. Elle s’appuie sur le programme MobiQual et ses outils (vidéos, cas concrets, diaporamas, exemples de supports de transmissions…) à notre disposition. Ce jour-là, nous souhaitions échanger autour des émotions des participantes, de leur savoir être auprès des patients en fin de vie à domicile et auprès de leur entourage, et des difficultés rencontrées par les unes et les autres.
En introduction à « l’inévitable » (sic) PowerPoint que j’avais préparé avec ma collègue, nous avons proposé à l’équipe d’écouter « La mamma » de Charles Aznavour. Nous avons vécu un moment très intense… Cette chanson représente pour moi tout ce qui peut se vivre auprès et autour d’une personne en fin de vie et de son entourage ; elle vient confirmer qu’il n’est pas toujours besoin de déployer techniques sophistiquées et actes invasifs... Ceux qui ont « moins de 20 ans » ne la connaissent peut être pas, les autres l’ont peut être oubliée ; cela vaut la peine de prendre quelques minutes pour l’écouter VRAIMENT.
« Le lien respectueux fait grandir l’humain »2
Ceci m’amène à relater l’histoire qui suit.
Un vieux monsieur de 95 ans est admis dans le service au printemps de cette année-là. Vivant tranquillement chez sa fille (ancienne institutrice qui a beaucoup hésité avant de faire appel à nous) depuis plusieurs années, son état s’est brutalement aggravé : il « ne peut plus se lever ». Nous n’en savons pas plus, et une première rencontre a lieu au domicile. Sa fille Marie semble méfiante et inquiète. Elle pose beaucoup de questions.
Elle nous donne quelques informations sur sa vie : divorcée, elle vit avec son père. Elle est « très très croyante ». Militante du Secours Catholique, elle va à Lourdes régulièrement et fait du bénévolat à la paroisse. Alité depuis deux jours, ce monsieur est lucide et d’emblée, le contact avec lui est facile. Un climat de confiance s’installe, doublé d’une impression de « gentillesse » qui émane de lui : un beau vieillard, au regard lumineux… Il s’exprime bien, se dit également très croyant et prêt à mourir. Il accepte cependant de se lever jusqu’à son fauteuil, sans grande difficulté.
Le lendemain, c’est la catastrophe : débâcle dans un lit bas de deux personnes, les sphincters ont lâché, le patient est désolé, il s’excuse, la fille est dépassée, et une heure et demie sont nécessaires pour réparer les dégâts en compagnie de l'aide-soignante, avec de grandes difficultés pour le mobiliser et le faire tenir debout. Il dit qu’il veut mourir et demande qu'on le laisse en paix, mais vil érifie qu'on ne lui met pas un pyjama avec le haut et le bas dépareillés. Il accepte encore d’aller jusqu’à son fauteuil. Le lit médicalisé est installé à notre demande, en fin d'après midi, en accord avec le patient et la fille. Heureusement, les pharmaciens de notre secteur sont toujours très réactifs, c’est précieux. Il est parfois difficile de négocier avec les patients et les familles, mais le matériel adapté est un pré requis pour assurer au mieux nos missions. Du matériel d’incontinence est à prévoir également. Le patient, très conciliant, accepte tout ce qu’on lui propose.
« Soins palliatifs : confort et communication »2
Deux jours plus tard, Marie nous appelle, affolée et insistante, parce que son père est « très souillé ». Elle demande avec énervement : « les aides-soignantes vont arriver quand ? ». Je temporise et lui propose de me rendre au domicile en attendant leur passage. Je la trouve tournant en rond « comme un lion en cage », très en colère. Les tentatives d’explications ne servent à rien. Je la sens très tendue, je la laisse dire et lui demande de nous laisser le temps de nous ajuster dans nos tournées. Pour l’instant, elle s’en moque. Nous effectuons ensemble les premiers soins de nursing. Elle se laisse un peu aller à pleurer (enfin) et explique qu’elle n'a pas beaucoup dormi cette nuit puis dit textuellement : « de toutes façons, ça ne va pas durer longtemps tout ça, je ne vais pas le laisser traîner comme ça, ça va aller vite, un oreiller et on n'en parle plus »
Bigre, on ne m'a pas dit ça souvent. Ma ajoute qu'elle est « pour l'euthanasie », pas dans une loi, mais au coup par coup. A ce moment-là, elle regarde le crucifix qui est sur le mur et dit : « lui, là, je lui en veux, j'ai vraiment trop subi, une sœur décédée de maladie de Charcot, l’autre atteinte aussi, et si ça m’arrive aussi, je saurai quoi faire ». Elle poursuit : « je vais retirer ce crucifix et démissionner du Secours Catholique » Comme sa souffrance doit être grande pour s’exprimer avec une telle violence… Son père la réclame, elle s'appelle Marie, mais elle ne veut pas aller dans sa chambre, parce qu’il va la voir pleurer. Enfin, les aides- soignantes arrivent, terminent ce qui reste à faire et le lever est effectué comme prévu. Le patient est toujours désolé de ce qu’il nous impose, mais il est très coopérant et fait de son mieux pour nous aider.
« Ce qui compte dans la vie, c’est d’aimer, et d’être aimé jusqu’au bout »2
Quelques jours après, son petit-fils et sa petite amie sont là, jeunes gens souriants et sympathiques. Le « vieux chêne » se sent faible, il est douloureux à la manipulation, mais dort à peu près bien la nuit. Il s’est recouché après le départ des aides-soignantes et n’avale plus que de l’eau et du jus de fruit. Les « alicaments » achetés par la fille ne passent pas. Elle-même a mieux dormi. Elle est plus détendue et souriante. La présence de son fils y contribue sans doute. Bien que sourd, le vieux monsieur est toujours dans la relation, accepte ce qui lui arrive et dit « qu'il sent bien que ses derniers jours sont arrivés. »
A la question de savoir ce qui lui ferait plaisir, il répond : « j’aimerais être comme il y a deux mois ». Il parle beaucoup de la Vierge Marie qu'il a beaucoup priée dans le temps et qui l'a empêché de « faire des bêtises ». Il n’en dit pas plus : laissons-lui ses secrets. Il ne veut plus rien avaler de solide. Il sourit beaucoup, son regard est vif, lucide et il se confie volontiers. Bien que cela le fatigue de parler, il évoque avec plaisir son métier de « planqué » à la Direction des Houillères. « Il n'allait pas au fond », on rit avec ça, il n'était pas un vrai mineur, donc ! Je le quitte en lui proposant de le revoir en fin de semaine et il me dit qu'il ne sera peut être plus là. Niché au fond de son lit, ses mains sont froides. J’observe qu’il y a trois oreillers dans son lit et je ne peux m’empêcher de penser à ce que la fille a exprimé récemment. Avant de partir, je dis au petit-fils que son grand père est très attachant et il répond qu'il a toujours beaucoup aimé parler avec lui : « mon grand- père était gentil et drôle ». Il l’est toujours.
Le vieux chêne décède le lendemain, à 4 heures 30 : il appelle sa fille Marie pour lui demander à boire, se plaint de douleurs et le temps qu'elle aille lui chercher un jus de fruit, il meurt. Quand nous nous rendons à son domicile, elle dit regretter de ne pas avoir pu lui donner la main à ce moment-là. Elle semble euphorique, riant souvent parce que soulagée que cela soit fini. « Il est détendu », « c'est bien comme ça », dit-elle. Dans le contexte, tout cela est bien dérangeant. Mais nous ne sommes pas là pour juger, seulement pour accompagner. Elle dit qu’elle va pouvoir reprendre ses activités mises en veilleuse le temps de s'occuper de lui, parce que dit-elle, « je suis une battante, vous m'avez vue écrasée mardi, mais je suis une battante »...
« On lui remonte ses oreillers, on la réchauffe de baisers, elle va mourir, la mamma… »
Et elle se met à raconter l’histoire de sa famille. La mère est décédée il y a vingt ans d'une leucémie. Le vieux chêne a vécu quatorze ans seul après le décès de sa femme, puis six ans avec sa fille. Il avait quatre enfants : un fils décédé en 2000 lors d'une intervention chirurgicale pour remplacement de pace maker, une fille décédée en 2000 d'une maladie de Charcot qui a « traîné », et une autre fille qui est aussi atteinte dont la maladie, apparue à la suite du décès de son mari évolue vite. Marie nous dit que sa sœur est « bloquée dans son corps », qu’elle subit une paralysie progressive, qu'elle commence à faire des fausses routes alimentaires, qu’elle demande à mourir (elle a 68 ans), et habite à environ 150 kilomètres de là. Elle raconte tout cela de façon «bizarrement» joyeuse », ce qui nous met mal à l’aise à nouveau. Nous quittons le domicile, notre mission s’arrête là. Elle a duré une semaine : le vieux chêne est tombé.
Il est d’usage dans notre service de proposer aux familles endeuillées de nous contacter ou de nous rencontrer si elles le souhaitent, après le décès de leur proche. Nous adressons également à chacune de ces familles un courrier en fin d’année. Certaines répondent, d’autres nous appellent ou nous rendent visite. Nous n’avons jamais eu de nouvelles de Marie.
Notes
- Jean Marie Gomas, médecin responsable de l’unité de soins palliatifs à l’hôpital Ste Périne Paris XVI, président du Centre d’Études et de Formation à l’Accompagnement des Malades Âgés ; il nous accompagne et nous supervise régulièrement www.cefama.org
- Jean Marie Gomas SSIAD Desvres mai 2011
Anik HOFFMANN
Infirmière coordonnatrice SSIAD
Desvres
anik.h@orange.fr
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