Depuis la réunion de concertation qui s'est tenue le 8 mars dernier au ministère des Solidarités et de la Santé autour des décrets et arrêtés concernant le rôle infirmier en pratique avancée, la presse pluri-professionnelle s'enflamme et les communiqués des différentes parties prenantes s'accumulent. Retour sur le déroulé précis de cette journée et sur tout ce qui a été dit, précisé, argumenté... et contre argumenté par les uns et les autres.
La matinée était dédiée aux représentants syndicaux et institutionnels des structures hospitalières et salariées et l’après-midi au secteur libéral. Les deux Ordres, infirmier et médical étaient également présents, ainsi que les représentants des étudiants en soins infirmiers (Fnesi). J’ai été conviée à la réunion du matin, en qualité de membre du comité de pilotage du gic Repasi/ANFIIDE, qui travaille et communique sur la pratique avancée en France depuis déjà de nombreuses années.
Les représentants de la DGOS ont, en préambule, resitué le contexte de développement de la pratique avancée en France, sur un fond de déserts médicaux et de besoins en santé croissants, en précisant que nous sommes dans un contexte dynamique avec un système de santé dans lequel les choses évoluent
. La démarche utilisée s’imprègne de tout ceci. Le contexte est ici prospectif. Ce jour et cette présentation se veulent un signal fort car la présentation du texte est une étape, mais pas la dernière. Nous sommes dans une plasticité et les choses sont appelées à évoluer encore
poursuit la DGOS.
Le décret est ensuite déroulé mot à mot (car chaque mot compte) pour poser les activités attendues d’un infirmier en pratique avancée (IPA). Il exercera au sein d’une équipe de soins primaires coordonnée par un médecin ou en assistance d’un médecin spécialiste. La notion d’équipe est capitale. Ainsi, s’il est libéral, l’activité de l’IPA sera reliée à une équipe au sein d’une Plateforme Territoriale d'Appui (PTA), d’une Communauté Professionnelle Territoriale de Santé (CPTS), ou une maison de santé pluridisciplinaire. Le mode de rémunération reste à définir, mais sera sans doute sous forme de missions et certainement pas sur des actes, ni forcément salarié.
Cette implication très forte au sein d’une équipe nécessite une communication renforcée sur son rôle et ses compétences : « Comment accompagner la pratique avancée infirmière pour en faire une réussite, un pari gagnant ? » est la dernière étape. Les trois points essentiels sont précisés, après avoir défini les domaines d’intervention : une durée d’exercice minimum, une université accréditée et un référentiel de formation (pour lequel le groupe de travail est déjà à l’œuvre).
Nous sommes dans un contexte dynamique avec un système de santé dans lequel les choses évoluent. La démarche utilisée s’imprègne de tout ceci. Le contexte est ici prospectif.
Un champ de compétences "bordé"
L’IPA interviendra, selon l’option choisie, dans le domaine des pathologies chroniques stabilisées*, notamment sur les personnes âgées, de l’oncologie, de la santé mentale et psychiatrie ou de la transplantation rénale. Les pathologies chroniques stabilisées sont listées dans un arrêté, car un arrêté est plus facile à modifier qu’un décret. La notion de « stabilité » fait référence à un renouvellement de traitement, sans nécessité de nouvelle prescription. Si une aggravation est constatée, le patient sera réadressé au médecin qui décidera de la conduite thérapeutique. Il est demandé à ce stade que le champ de « transplantation rénale » soit élargi à la néphrologie et dialyse, car les besoins en suivi et coordination sont présents dès l’insuffisance rénale installée, en non uniquement en fin de parcours.
Outre des activités d’orientation, d’éducation, de prévention, de dépistage et de coordination de parcours, le décret prévoit qu’un IPA pourra prescrire des examens complémentaires nécessaires au suivi, renouveler ou adapter des prescriptions médicales en cours, pratiquer certains actes techniques sans prescription médicale et prescrire des dispositifs médicaux. Là encore, une liste est fixée par arrêté, qui sera sans doute soumise à ajustements. Le patient sera informé de son suivi par un IPA, et le médecin définira la temporalité à laquelle il souhaite le revoir. Le patient reste libre d’accepter ou de refuser ce suivi, sans impact sur son parcours de soins.
Le décret prévoit également les dimensions de leadership, recherche et enseignement de l’IPA, par la diffusion de données probantes, l’analyse des pratiques au sein de l’équipe et l’évaluation des besoins en formation, qu’il pourra lui-même dispenser. La contribution à la production de connaissances en participant à des travaux de recherche figure dans le même article. Il est précisé que les diplômés actuels des deux masters de Marseille et Paris auront un dispositif VAE allégé, pour obtenir leur équivalence de titre IPA.
Selon la DGOS, "le principe même d’un exercice en pratique avancée est de permettre à des paramédicaux de faire certains actes médicaux, l’essentiel étant de savoir positionner le curseur".
La "prescription" pour les infirmiers ? C'est "non" pour les médecins
La deuxième partie de la réunion était consacrée aux questions ou remarques, la plupart des participants découvrant ce texte pour la première fois, ce qu’ils n’ont pas manqué de souligner. Il en est ressorti d’énormes craintes de la part du corps médical concernant la prescription. Les arguments étaient variés. Certains représentants syndicaux s’inquiètent du risque inflationnel des prescriptions, par manque d’expérience ou souhait de sécurisation. D’autres revendiquent une exclusivité médicale sur la prescription, voire même une perte de chance pour le patient.
Il est évoqué un possible conflit d’intérêt si l’IPA peut prescrire des actes qu’il réalisera (comme les bilans sanguins)… Un syndicat s’oppose formellement à la prescription d’examen radiologiques par un IPA : cette dérogation n’est pas entendable
. L’opposition médicale marquée pour la prescription accordée aux IPA prend comme origine un souci de faire ce qui est le mieux pour la santé du patient
avec une mise en garde les actes faits par un IPA ne doivent pas relever de la conquête sociale pour les infirmières
… D’autre part, il est évoqué de façon collégiale le manque de dispositif d’évaluation de ce nouveau rôle, afin de pouvoir, le cas échéant procéder à un « rétropédalage » si les résultats n’étaient pas concluants.
Face à toutes ces interrogations, la DGOS répond que le principe même d’un exercice en pratique avancée est de permettre à des paramédicaux de faire certains actes médicaux, l’essentiel étant de savoir positionner le curseur.
Elle souligne que la France n’innove pas dans ce domaine, des expériences étrangères étant déjà opérationnelles depuis longtemps.
On comprendra à la lecture de ces quelques lignes que ce projet inquiète les médecins (mais aussi les pharmaciens et médecins biologistes). C’est un changement de paradigme, un bouleversement dans le système de santé qu’il sera nécessaire d'accompagner et d’évaluer. J’ai toutefois tenu à repréciser que l’essentiel de la pratique avancée n’est pas l’activité de prescription. Un IPA est avant tout un infirmier qui accompagne le patient, ses proches, ses pairs, qui introduit de l’innovation dans les pratiques grâce aux résultats de la science, qui participe et contribue à la production de savoirs, qui enseigne en formation initiale ou continue… La prescription n’est que la partie émergée de l’iceberg, l’outil qui permet de fluidifier le parcours et d’en éviter les ruptures : c’est le moyen et non l’objectif. De plus j’ai réaffirmé qu’il existe déjà environ 240 infirmiers formés avec un master en sciences cliniques et qu’il faudra s’appuyer sur leur expertise pour enseigner, guider, mettre en place la pratique avancée au sein des organisations.
Il existe désormais "un texte plus ou moins acceptable", qui demande à vivre et évoluer et représente sans aucun doute une avancée pour la profession et pour les patients...
Ce texte déclenche des passions des deux bords… Là où les médecins trouvent que c’est trop
, différentes organisations infirmières trouvent que ce n’est pas assez
. Certes, il manque le terme « consultation » qui semble impossible à ajouter (il est remplacé par conduire un entretien
alors que dans sa première version il n’était mentionné qu’un suivi). Le terme de "sciences infirmières" fait cruellement défaut, la conduite diagnostique et thérapeutique concerne uniquement le champ médical et c’est le médecin qui « décide » de qui sera suivi par un IPA… Certes…
Mais en l’état, et grâce à la contribution et au soutien actif de l’Ordre national des infirmiers, il existe désormais un texte "plus ou moins acceptable", qui demande à vivre et évoluer et représente sans aucun doute une avancée pour la profession et pour les patients. II est important de pouvoir démarrer le déploiement en vie réelle (qui prendra encore deux ans, car les premières formations proposeront des diplômés en juillet 2020), ce projet datant déjà d’une quinzaine d’années (rapport Berland en 2003).
Alors, tempête dans un verre d’eau ou réel Tsunami ? L’avenir très proche nous le dira, en attendant restons vigilants pour ne pas se laisser enfermer !
Florence AMBROSINO
Master en sciences cliniques infirmières
Copil du Gic REPASI/ANFIIDE
Membre du comité de rédaction d'Infirmiers.com
fambrosino13@gmail.com
*Liste des pathologies chroniques stabilisées : accident vasculaire cérébral, artériopathies chroniques, cardiopathie, maladie coronaire, diabète de type 1 et diabète de type 2, insuffisance respiratoire chronique, maladie d'Alzheimer et autres démences, maladie de Parkinson et épilepsie.
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