La prise en charge de la douleur, quelle que soient son intensité, son origine et ses victimes, est une obligation légale pour les professionnels de santé.
Note de la rédaction : Ce texte est un compte-rendu de l’intervention de Nathalie Lelièvre, juriste, spécialiste en droit de la santé et rédactrice d’Infirmiers.com, pendant la journée de la SFETD (Société française d’étude et de traitement de la douleur) de décembre 2010. Il a été réalisé à partir du dossier de presse fourni et validé par Nathalie Lelièvre.
Les textes relatifs à la prise en charge de la douleur ne font pas de distinction selon les douleurs. En application du code de santé publique : « Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée » (article L1110-5).
Les règles médico-juridiques de la prise en charge de la douleur
Les pouvoirs publics l’ont dans un premier temps fixée comme une priorité nationale. Depuis, un long chemin a été parcouru via les réformes successives du code de santé publique, du code de déontologie médicale, de multiples circulaires, la loi du 4 mars 2002 et les trois plans de lutte contre la douleur.
La philosophie de ces textes est de soulager la douleur du patient pour mieux respecter sa dignité. La loi du 4 mars 2002 a défini le contenu de l’obligation de prise en charge de la douleur.
- Il résulte des dispositions de l’article L 1110-5 du CSP que les soignants doivent s’efforcer de prévenir la douleur, notamment lors des soins douloureux (pansements, biopsie, rééducation, etc.). Le plan de lutte contre la douleur 2002-2005 était, entre autres, ciblé sur la douleur provoquée par les soins et la chirurgie. A cette fin, ce deuxième plan rappelait l’importance de développer les protocoles définis dans la circulaire n°98/94 du 11 février 1999, dont l’intérêt est de pouvoir répondre rapidement à un besoin, en l’occurrence apaiser et prévenir la douleur.
- L’information du patient sur la prise en charge de la douleur, sur les risques de douleurs provoquées par un soin, trouve toute sa place dans la prévention. En effet, un patient bien informé est un patient qui sera en mesure de gérer sa douleur, l’évaluer et être actif à sa prise en charge avec les professionnels de santé. Il ne s’agit pas d’inquiéter son patient, mais de l’informer des apports des traitements mais aussi de leurs limites, en particulier pour prévenir toute angoisse lors de la survenue de douleur.
- Évaluation de la douleur : La prescription d’un antalgique n’est pas une fin en soi ; encore faut-il veiller à son efficacité ; pour cela, il convient d’évaluer la douleur à l’aide des dispositifs existants et de réévaluer le traitement mis en place.
Le suivi du patient douloureux nécessite un travail d’équipe nécessairement pluridisciplinaire.
Dans le cadre de son rôle propre, l’infirmier évalue la douleur du patient (article R4311-2, 5° du code de santé publique). Si l’infirmier constate que le traitement antalgique administré au patient n’est pas suffisant, il en informe le médecin qui pourra le changer ou l’adapter selon les besoins du patient. L’article L 1110-5 du CSP précise bien : « la douleur doit être en toute circonstance évaluée ».
Par ailleurs, il est important que l’évaluation apparaisse dans le dossier médical du patient. Sa gestion doit être réalisée avec la plus grande rigueur, avec mention des heures d’évaluation, de la cotation (cotation au repos et cotation lors des mobilisations) et du suivi. En cas de saisie du dossier par un expert judiciaire, l’absence de toute mention dans le dossier de soins laisserait à penser que l’évaluation n’a pas été faite et pourrait faire conclure à un manquement dans la prise en charge de la douleur.
- Le médecin n’est pas tenu à une obligation de guérison, en l’espèce, la disparition des douleurs.
En revanche, il doit s’efforcer de mettre en oeuvre les moyens antalgiques dont il dispose pour soulager au mieux son patient. En effet, la prise en charge de la douleur est un acte de soin à part entière et à ce titre, le professionnel de santé est tenu à une obligation de moyen. Cette obligation se définit comme une « prise en charge attentive, consciencieuse et conforme aux données actuelles et acquises de la science».
- Préalablement à la mise en place d’un traitement, le médecin doit prêter attention aux effets du traitement et notamment à ses effets iatrogènes. Il doit notamment tenir compte des traitements pris antérieurement par le patient et des effets du traitement antalgique prescrit.
Lors d’une prescription pour un patient travaillant sur des machines ou pour un professionnel de la route, il est important d’attirer son attention sur les risques de somnolence et lui recommander de prendre son traitement une fois sa journée terminée, voire lui préciser que son médicament doit être pris au moment du coucher.
La formation juridique des professionnels de santé
Quelle que soit la spécialité d’un médecin (médecin généraliste, cardiologue, chirurgien, etc.), la prise en charge de la douleur lui est une obligation. « …La formation continue constitue un élément essentiel pour assurer l’adhésion des personnels à la politique d’amélioration de la prise en charge de la douleur… » (Guide de mise en place du plan de lutte contre la douleur 2002-2005). D’autant plus que la loi du 4 mars 2002 précise bien que « la formation médicale continue a pour objectif l’entretien et le perfectionnement des connaissances, y compris dans le domaine des droits de la personne ainsi que l’amélioration de la prise en charge des priorités de santé publique […] […]
Elle constitue une obligation pour tout médecin […] » (Article L 4113-1 CSP).
La prise en charge de la douleur fait partie des priorités de santé publique, dès lors, le médecin est tenu de se former sur les traitements de la douleur eu égard à sa spécialité afin de prodiguer des soins consciencieux et conformes aux données actuelles et acquises de la science à la date des soins (Cour de Cassation, 6 juin 2000).
La jurisprudence sur la prise en charge de la douleur
Par décision du 13 juin 2006, la responsabilité administrative d’un centre hospitalier a été retenue pour absence de prise en charge de la douleur d’un patient admis aux urgences.
Il l’avait été aux alentours de 8h30. À la suite de deux tentatives infructueuses de sondage, une échographie a été réalisée à 11h. Dans l’attente d’un appel de l’urologue, l’interne a tenté un nouveau sondage à 15h30, cette fois-ci avec succès. À 17h30, le patient a été transféré au centre hospitalier départemental avec l’accord du chirurgien viscéral. Vers 1830, le patient est décédé.
La fille du défunt n’a pas contesté les conditions de prise en charge de son père (retard ou éventuelle inadaptation). En revanche, elle a mis en avant l’absence totale de prise en charge de la douleur. Le tribunal administratif comme la Cour d’appel lui ont donné raison : « Le centre hospitalier ne démontre ni l’impossibilité d’administrer à l’intéressé des antalgiques majeurs par voie veineuse ou sous-cutanée en raison de son âge et de sa tension artérielle, ni, dans cette hypothèse, l’absence d’utilité de l’administration par voie orale d’antalgiques mineurs ; que, compte tenu de l’état de souffrance et de la pathologie de Monsieur L, l’absence de tout traitement antalgique est constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ».
La faute retenue à la charge de l’établissement est bien l’absence de toute prise en charge de la douleur du patient. Cette faute a aggravé les souffrances physiques subies par Monsieur L. avant son décès. Dès lors les conditions de droit pour retenir la responsabilité de l’établissement sont bien réunies : une faute, un dommage et un lien de causalité.
C’est donc à bon droit que la demande de la fille du défunt a été retenue : « Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme L. est fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif a limité à 1 euro le montant de l’indemnité mise à la charge du centre hospitalier ; qu’il y a lieu de porter à 1 500 euros le montant de cette condamnation […] ».
Le troisième plan douleur mentionne les personnes âgées parmi les cibles de la prise en charge de la douleur et utilise même la notion de « bientraitance » à leur égard, allant jusqu’à préciser que chez elles, la douleur doit être anticipée. Cependant, des résistances semblent perdurer. En l’occurrence dans la présente affaire, il est mis en évidence que le centre hospitalier ne prouve pas l’impossibilité ou la présence de contre-indication à la mise en place d’un traitement antalgique. Dans ces conditions, l’absence de celui-ci constitue bien une faute (Cour administrative d’appel de Bordeaux, 13 juin 2006).
Conclusion
L’analyse des engagements (plans de lutte contre la douleur, textes juridiques, décisions de justice, formation des professionnels…) laisse à penser que la prise en charge de la douleur évolue dans le bon sens. Pourtant, entre l’engagement individuel des professionnels et l’accompagnement matériel de cette volonté, des difficultés persistent.
La bonne volonté, l’engagement contre la douleur sont encore trop souvent bloqués par des considérations économiques.
« La permanence et la durée ne sont promises à rien, pas même la douleur » (Proust). C’est de cela qu’il faut partir, en souhaitant que l’ensemble des textes relatifs à la prise en charge de la douleur permette à l’ensemble des soignants d’accomplir leur mission de soulager la douleur des patients.
Serge CANNASSE
Rédacteur en chef IZEOS
serge.cannasse@izeos.com
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