Huit ans après la loi Léonetti sur la fin de vie, force est de constater que ni les patients ni les équipes soignantes ne se sont appropriés l'outil législatif que constituent les directives anticipées comme un élément de soins.
Dans la loi du 22 avril 2005 dite « Loi Leonetti » relative aux droits des malades en fin de vie, les directives anticipées apparaissent comme une disposition permettant aux personnes d’exprimer leurs volontés par rapport à une éventuelle stratégie thérapeutique en cas de maladie grave déclarée. Ce principe novateur des directives anticipées intégrant la parole du patient dans la démarche réflexive d’une décision thérapeutique était, en 2005, une avancée considérable en ce qui concerne les droits du patient en fin de vie et la reconnaissance de sa considération pour des décisions le concernant. Cependant, huit ans après, force est de constater que ni les patients ni les équipes soignantes ne se sont appropriés cet outil législatif comme un élément de soins. Comment alors relire aujourd’hui l’intention première de ce dispositif pour le rendre plus applicable et l’intégrer au quotidien dans nos pratiques soignantes ?
Directives anticipées, législation et démarche qualité
Ayant fait l'objet d’un décret ministériel le 6 février 2006, les directives anticipées prévues par la loi n°2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie sont malheureusement trop peu souvent retrouvées en pratique dans les moments critiques des situations les plus complexes de fin de vie. Pour autant, la plupart des établissements de santé se sont emparés de cet aspect législatif à respecter dès l’accueil des patients hospitalisés en l’incluant dans leur livret d’accueil.
En effet, au regard de l’Arrêté du 15 Avril 2008 relatif au contenu du livret d’accueil de la personne hospitalisée, la Direction Générale de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins (DGOS) a édité un guide de recommandations pour aider les établissements à rédiger leur livret d’accueil.
Dans ce guide ont été annexées des fiches relatives à certaines questions juridiques en lien avec les droits des patients. L’une concerne notamment les directives anticipées (en page 22). Elle en précise le sens pratique, les conditions dans lesquelles elles peuvent être prises en compte, les possibilités de changer d’avis après les avoir rédigées, leur poids dans une décision médicale, et enfin l’importance de les confier à son médecin référent ou à une personne de confiance.
Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée "directives anticipées", afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté. » Ministère des Affaires sociales et de la Santé
Ainsi, dès l’accueil, les patients reçoivent une information écrite sur leur droit d’accepter ou de refuser un traitement et sur leur possibilité d’établir des directives anticipées sur le sujet. A travers cet outil législatif, les patients peuvent donc exprimer leurs souhaits par écrit et de façon anticipée sur toute décision à prendre les concernant en termes d’investigations, d’interventions ou de traitements. Il faut savoir également que la parole des patients prévaut sur tout autre avis non médical, y compris celui de la personne de confiance. Elle s’ajoute alors comme un élément complémentaire à prendre en compte au même titre que ceux reliés au « savoir-métier médical » lors des décisions de fin de vie complexes. Pour autant, compte tenu de la situation concrète, le médecin référent de la stratégie médicale reste au final « décideur » et libre d’apprécier les conditions dans lesquelles il convient d’appliquer les souhaits exprimés des patients.
Parallèlement à la législation, c’est également au cœur de la démarche qualité préconisée par la Haute Autorité de Santé (HAS) que les directives anticipées apparaissent. Le critère 13a intitulé « Prise en charge et droit des patients en fin de vie » du manuel de certification est référencé comme une Pratique Exigible Prioritaire (PEP) pour tous les établissements de santé. Ce critère, incluant l’obligation de la recherche des directives anticipées des patients, a pour but de promouvoir les principes de la loi du 22 Avril 2005 dite Loi Leonetti dont l’orientation principale est d’anticiper au mieux possible les problématiques potentielles des situations de fin de vie.
Les directives anticipées, sous l’angle purement rhétorique, donnent au patient le droit d’indiquer au médecin la « direction » à suivre pour le soigner s’il ne peut plus échanger verbalement avec lui
Directives anticipées, principes éthiques, et responsabilité médicale
Malgré ces aspects juridiques dictés par la volonté de protéger le droit des personnes les plus vulnérables et ces obligations certificatives de qualité pour les établissements, les directives anticipées devraient néanmoins être appréhendées par les professionnels de santé comme un outil de travail au cœur d’une éthique clinique quotidienne. Utilisées comme un support de médiation au décours d’un entretien identifié comme tel et conduit par un personnel formé, ces directives anticipées devraient pouvoir permettre d’aborder des questions le plus souvent mises à distance, et ceci dans un climat de bienveillance, d’authenticité et de confiance.
Cependant dans les éléments rapportés par le rapport Sicard « Penser solidairement la fin de vie » rendu le 18 décembre 2012 au président de la République, force est de constater le faible nombre de directives anticipées rédigées par les patients arrivant au terme de leur existence. Il devient donc urgent de relire cette question des directives anticipées autrement que par le prisme réglementaire qui n’a montré que peu de réponses appropriées, assorties d’un taux de méconnaissance non négligeable de cette possibilité d’actions par la population.
L’évolution législative de ces dix dernières années autour du droit des patients a réalisé un changement de paradigme impactant largement l’exercice des professionnels de santé. La transparence et le partage des informations, la recherche du consentement éclairé, l’annonce d’un diagnostic selon un certain dispositif, la place de la personne de confiance dans les prises en charge et le recueil de directives anticipées font partie des schèmes de pensées auxquels doit se référer aujourd’hui tout médecin dans l’exercice de ses fonctions.
De tous ces éléments, ce sont les directives anticipées qui, littéralement, sous l’angle purement rhétorique, donnent au patient le droit d’indiquer au médecin la « direction » à suivre pour le soigner s’il ne peut plus échanger verbalement avec lui. Elles ont donc pour vocation à guider le médecin dans sa conduite thérapeutique le moment venu. Cependant la loi ne contraint pas à ce jour le médecin à respecter scrupuleusement les consignes du patient, même écrites préalablement, puisque celui-ci reste l’unique pilote de la stratégie avec ou sans contre-argument, selon sa propre responsabilité médicale.
La parole lucide et éclairé du patient se doit d’être recueillie et retranscrite au cours d’un entretien afin d’être connue et reconnue de son médecin référent et de sa personne de confiance s’il en a désigné une.
Directives anticipées et évolution législative : quelques pistes de réflexions
Les situations dramatiques qui ont défrayé les chroniques médiatiques sur le sujet de la fin de vie ces dernières années avaient toutes en commun le caractère exceptionnel et unique d’une parole de patient non respecté. Il convient alors de penser un mode d’action concret pour les équipes soignantes qui s’appuierait sur les souhaits du patient, afin de lui proposer un accompagnement adapté à son autonomie de penser sa fin de vie.
Une première piste serait alors de pourvoir aborder cette question et recueillir sa parole avec un professionnalisme doué d’empathie, de tact et de bienveillance. Il semble donc indispensable de former les différents protagonistes susceptibles d’être confrontés à cette réalité en technique de communication dite « palliative ». Par le biais du développement professionnel continu (DPC), il pourrait alors s’agir d’une démarche pédagogique ciblée intéressant tout professionnel de santé, exerçant ou non en soins palliatifs.
Une seconde piste serait d’élaborer un cadre de conduite d’entretien ciblé sur le recueil de directives anticipées (entretien DA). Tel le dispositif d’annonce d’une maladie grave, l’arrêt de thérapeutiques actives au décours d’une maladie grave évolutive devrait se réaliser dans un cadre bien défini, bienveillant et bénéficiant possiblement d’un regard de plusieurs disciplines. L’intérêt visé est celui d’anticiper ou de prévenir une « crise aigue » au moment où le patient n’aurait plus la capacité d’émettre son avis. C’est donc en mettant en place des conditions spécifiques d’entretien au moment de l’annonce d’une maladie grave (association au dispositif d’annonce), ou au moment de l’annonce de l’arrêt de traitement curatifs (consultation avec le médecin référent), statuant un pacte de confiance entre le malade et le corps médical, que le patient pourra s’autoriser à penser l’impensable et évoquer peut-être ce qui risquerait pour lui d’être le pire et l’insupportable. Ce même entretien « DA » pourrait être renouvelé régulièrement selon la même procédure à chaque demande du patient ou à chaque palier d’évolution de sa maladie.
Une troisième piste serait celle de la traçabilité de ces paroles recueillies et de leur accessibilité immédiate en cas de besoin. Celle-ci tiendrait compte de la formation « DPC en communication palliative » suivie par le professionnel ayant conduit l’entretien, des conditions d’espace et de temps inhérentes à l’entretien, et bien sûr du contenu du dit-entretien rassemblant les directives anticipées dictées ou rédigées par le patient. Telle la démarche de déclaration et d’enregistrement du médecin traitant, sur un formulaire spécifique, les différents entretiens DA pourraient faire l’objet d’un suivi à part entière enregistré sur la carte vitale du patient. Plus que des directives anticipées, il s’agirait plutôt de « volontés particulières » réfléchies à un moment donné (date mentionnée) pour une conduite à tenir devant telle ou telle situation imaginée au regard des complications éventuelles de sa maladie.
Enfin, une quatrième et dernière piste concernerait l’obligation d’une argumentation écrite de la part du médecin référent invoquant sa démarche décisionnelle en cas de non suivi des directives anticipées.
Les directives anticipées, en respectant l’avis du patient, respectent sa vie...
Pour conclure
C’est aujourd’hui un défi important d’ordre éthique et soignant que les professionnels du soin ont à relever dans leur pratique pour relayer la parole des patients en fin de vie concernant leur avis sur les traitements et investigations à poursuivre. Outre l’obligation légale de prendre connaissance de la rédaction ou non de leurs directives anticipées, le personnel soignant a à s’approprier ce dispositif comme un réel outil de soins, de médiation et de support pour oser entrer dans une relation d’accompagnement authentique et respectueuse des dernières volontés des patients. Parmi les partenaires de soins, le soigné lui-même est à considérer comme un expert de la maladie dont il est porteur, au même titre qu’un confrère spécialiste. Sa parole lucide et éclairé se doit d’être recueillie et retranscrite au cours d’un entretien afin d’être connue et reconnue de son médecin référent et de sa personne de confiance s’il en a désigné une. Savoir que ses directives anticipées seront respectées de façon obligatoire apaisera peut-être, si possible il est, ses légitimes inquiétudes en l’assurant d’un accompagnement de fin de vie digne et fidèle à ses souhaits exprimés. Respecter l’avis du patient reviendrait alors à respecter la vie du patient à travers l’élaboration d’un projet de soin créatif et personnalisé.
Nathalie FAVRE Cadre de santé, vice-présidente de la SFAP Responsable du Centre de Soins Palliatifs de la Croix-Rouge Française favrenat@gmail.com
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