Je suis enseignant infirmier dans une université du nord de l'Angleterre. J'enseigne à des infirmières qui se spécialisent dans la gestion de patients souffrant d’insuffisance cardiaque, un problème important de santé publique. Comme la population vieillit suite aux changements démographiques et que de plus en plus de personnes survivent aux infarctus du myocarde grâce aux innovations thérapeutiques, le nombre de personnes avec des insuffisances cardiaques augmente. Cela produit une pression de plus en plus grande sur la santé et les services hospitaliers qui seront forcés de s'occuper de personnes âgées souffrant de maladies chroniques dont celle-ci.
En Grande Bretagne de nombreuses initiatives sont en cours pour encourager le traitement de ces patients à domicile. Cependant peu d'attention est apportée aux expériences de nos voisins. En Grande Bretagne, nous ne savons pas comment fonctionnent les services de santé dans les pays les plus proches de nous. C'est dommage car nos services de santé ont beaucoup à apprendre les uns des autres. Pour étudier l'approche française sur la gestion des insuffisances cardiaques j'ai reçu une subvention de mon université pour aller visiter deux centres en France afin d'étudier leurs services. Les centres que j'ai choisis sont le réseau RESPECTICŒUR à Nantes et le réseau RESICARD à Paris. Ils ont été choisis car ils ont une très bonne réputation en France. Pour organiser cette visite dans les services appropriés j'ai demandé de l'aide sur le forum d'Infirmiers.com. J'ai très vite eu des suggestions sur comment je pouvais prendre contact. J'ai aussi contacté le professeur Alain Cohen Solal, un auteur français sur les insuffisances cardiaque renommé qui m'a lui aussi fait des suggestions.
Ce n'était pas ma première visite dans un service hospitalier français. J'ai déjà visité des services de soins intensifs à Paris et Bordeaux. Chaque visite en France m'a impressionnée par la qualité des services accessibles aux français. Il n'y a aucune surprise dans le fait que le service de santé français ait été déclaré être le meilleur dans le monde par l'Organisation Mondiale de la Santé en 2000. D'un point de vue britannique, un des aspects les plus frappants du service de santé français est son degré et sa facilité d'accès pour les patients français. Recherches, rendez-vous avec des spécialistes et traitements semblent disponibles instantanément. J'ai vu à deux occasions à la fois à Nantes et à Paris des rendez-vous non urgents pris avec des cardiologues avec une attente de 24 heures. Un rendez-vous similaire pourrait prendre trois mois en Angleterre. Les rendez-vous pour des échocardiographies sont aussi faciles à prendre avec un temps d'attente quasiment inexistant. Une des raisons pour la « courte » durée des temps d'attente est le nombre de cardiologues en France. Il y a 88 cardiologues par million de personne en France, alors qu'en Angleterre ce chiffre est de 8 millions. En France il y a aussi de nombreux cardiologues communautaires (cardiologues de ville) ce qui donne aux patients beaucoup de choix sur quand et où rencontrer leurs médecins. J'ai aussi été frappé par le nombre de patients connaissant leur taux de BNP (peptide cérébral natriurétique ou peptide natriurétique de type B), un test sanguin moderne dont le résultat est lié à la sévérité de leur insuffisance cardiaque. La mesure du BNP n'est en aucun cas universelle au Royaume-Uni.
Au niveau de l’aspect non médical du soin des patients, il y avait aussi des aspects frappant en France. À la fois à Nantes et à Paris, il y a un effort énorme sur l'éducation du patient dans la gestion de leur propre insuffisance cardiaque. Le patient est invité à suivre un programme d'éducation centré sur l'état du patient, la médication utilisée pour traiter son état et les altérations du mode de vie du patient causées par la maladie. Cette éducation thérapeutique occupe une part importante des soins hors hôpital des patients atteints d’insuffisance cardiaque. C'est dans ce domaine que les infirmières sont les plus impliquées. Bien qu'il y ait de gros efforts sur l'éducation du patient au Royaume-Uni, ce n'est pas une part aussi importante qu'en France. J'ai accompagné à plusieurs occasions un diététicien au domicile d'un patient pour un entretien éducatif. La visite à domicile de diététiciens au Royaume-Unis est quelque chose de presque inconnu. Ce n'est pas parce que le régime alimentaire n'est pas vu comme important. C'est juste qu'il n'y ait pas assez de diététiciens pour y arriver. À la fois à Nantes et Paris, la qualité des services pour aider les patients dans leur vie à domicile est en effet très bonne, et cela depuis la qualité des conseils donnés jusqu'aux sites web fournis par chaque service. Le réseau de Nantes propose des recettes basses en sodium et celui de Paris propose des films courts sur ce à quoi le patient peut s'attendre à l'hôpital.
Cependant cela ne veut pas dire que je pense que les services au Royaume-Uni étaient inférieurs à ceux de France. Nos collègues français ont aussi des choses à apprendre des services au Royaume-Uni. Par exemple, au Royaume-Uni le service de santé est plus unifié qu'en France. Les services des hôpitaux, les infirmières s'occupant des patients à domicile et les médecins généralistes sont membre d'une organisation : la National Health Service (NHS - Service National de Santé). Il y a une planification nationale des services. Il y a des standards minimaux sur ce à quoi peut s'attendre le patient. Tous les services sont évalués régulièrement très strictement, et sont comparés avec d'autres services similaires à la fois localement et dans d'autres endroits du pays. Cela permet de s'assurer que les patients ont un traitement similaire dans tout le pays. En France la structure des services de santé semble "atomique" avec beaucoup d'importance apportée à l'indépendance des médecins et hôpitaux. Un cardiologue m'a expliqué que les médecins généralistes n'ont aucun contrat avec un service de santé central, et donc ne peuvent pas être encouragés par un tel contrat à donner le traitement recommandé pour les insuffisances cardiaques. C'est un des principaux moyens au Royaume- Uni pour s'assurer que les patients reçoivent le traitement médicamenteux recommandé.
Pour les infirmières il m'a semblé qu'au Royaume-Uni il y a une plus grande reconnaissance des compétences cliniques des infirmières et une plus grande facilité à faire confiance aux infirmières dans les décisions cliniques. Les services d’insuffisance cardiaque au Royaume- Uni sont souvent "menés par les infirmières", avec les infirmières effectuant des examens cliniques, prélevant du sang pour examens cliniques et modifiant le régime médicamenteux des patients, tout ceci en respectant un protocole strict. Cette responsabilité clinique supplémentaire est reflétée par les salaires auxquels une infirmière peut s'attendre. Une infirmière dirigeant un service "mené par les infirmières" et qui est employée en tant qu'"infirmière consultante" peut s'attendre à recevoir plus de £40000 (56000€) par an. J'ai rencontré de nombreuses infirmières en France qui avaient l'expérience clinique pour effectuer ces tâches, mais les structures des carrières en France semblent trop conservatrices pour permettre cette innovation.
D'un autre côté on pourrait affirmer qu'en France il y a peu de nécessité pour une planification à l'échelle britannique. Si l'accès au traitement médical est si simple en France, il n'est pas nécessaire de planifier pour s'assurer des standards minimaux. De même, avec autant de cardiologues, pourquoi un service "mené par les infirmières" serait-il nécessaire ? On pourrait dire que les carrières infirmières en France sont conservatrices, mais on pourrait aussi affirmer quand les infirmières anglaises doivent compenser pour la faible quantité d'expertise médicale. Cependant il y a pour moi un domaine dans lequel le Royaume-Uni excelle. En France j'ai été frappé encore et encore par le peu de mention des soins de fin de vie. Même si de nombreuses personnes m'ont informé que le palliatif était un domaine qui se développait en France, il n'était pas clair que ce domaine soit peu développé pour les patients atteints d’insuffisances cardiaques. Cela m'a surprit. L’insuffisance cardiaque est souvent une condition terminale, et c'est dans ce domaine que les soins infirmiers peuvent entrainer une contribution importante dans la qualité de vie pour un patient et sa famille, surtout dans les tout derniers mois. Cependant après avoir lu le contenu du Diplôme Interuniversitaire de prise en charge de l'insuffisance cardiaque, il semble y avoir peu d'importance apportée au sujet. Au Royaume-Uni c'est un domaine qui suscite beaucoup d'intérêt, avec des infirmières dédiées spécialisées et un nombre en constante augmentation de lieu à part dans les hôpitaux pour les soins de patients mourant d'insuffisance cardiaque.
Globalement, ma visite dans les services de Nantes et Paris ont été éducatifs dans le vrai sens du terme. J'ai ressenti la plus grande estime envers les professionnels de tous postes que j'ai rencontrés dans chaque service pour leurs compétences et dévouement. Si j'étais citoyen français je serais vraiment fier du service de santé de mon pays, que le monde regarde avec justesse en tant qu'exemple et inspiration pour le reste du monde.
Article traduit en Français par Vincent et Guy ISAMBART
Chris Jones RGN, MSc
Edgehill University, Ormskirk England
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