Même si les dispositifs MARTHE et ANGELIQUE1 sont venues et à juste titre renforcer le professionnalisme des établissements pour personnes âgées il n’en reste que ces institutions se doivent avant tout de créer un environnement de confiance et de chaleur humaine. Qu’ils soient publics, privés ou associatifs les EHPAD (Etablissements d'Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes) ont tous des points communs dans leur fonctionnement et leur organisation.
Monique et Aurélie, infirmières, nous conduisent dans les locaux d’un EHPAD d’une ville de moyenne montagne.
Des observations effectuées à différents moments de la journée nous permettent de percevoir les lieux et les gens de manière différente.
Monique et Aurélie, qu’est ce qui vous motive pour travailler auprès de personnes âgées ?
Plusieurs raisons nous poussent à travailler ici. Tout d’abord, il faut être intéressé par la vieillesse, sinon ce n’est pas la peine de travailler dans un EHPAD.
Les personnes âgées sont très souvent des laissées pour compte, nous, nous avons envie de leur apporter quelque chose de plus.
C’est pour cela que nous sommes ici.
Ce n’est ni l’argent, ni la proximité de notre domicile qui nous font rester dans l’institution, mais c’est bel et bien les personnes âgées et les relations que cela engendre.
Notre visite a lieu un après midi, c’est au moment de la relève que nous faisons connaissance.
La maison semble limpide et, elle sent « le propre », c’est un indice important dans un établissement accueillant des personnes âgées.
La relève, le rapport, les consignes, des synonymes pour rappeler à tous que c’est le moment d’échanger, de communiquer.
C’est l’heure de la relève, là où tout se dit, enfin, presque, mais aussi, c’est là où l’on essaie de reconstituer la matinée ou l’après midi qui vient se s’écouler.
Tout y passe : monsieur untel, repos strict au lit, madame untelle, pleure car sa famille vient lui rendre visite que tous les quinze jours, monsieur Y, sera perfusé à partir d’aujourd’hui, c’est une réhydratation par voie sous cutanée confie l’infirmière avec de l’émotion dans la voix…
Dans un EHPAD, la relève, c’est la pierre angulaire de l’organisation des soins, c’est un moment où les décisions se prennent, où les choses se verbalisent, c’est la ponctuation de l’activité réalisée.
Nous sommes dans le bureau des infirmières, tout le monde est présent, assis en rond, infirmiers, aide-soignants, auxiliaires de vie, agents de service, aide-hôtelières, prêts à s’investir à propos de leurs activités quotidiennes.
Il n’y a plus de cadre de santé, ce sont les infirmières qui « font fonction de » comme elles disent.
Les missions de coordination sont assurées par les infirmières en plus de leur activité soignante, ce n’est pas inintéressant nous confie l’une d’entre elle. Cela me donne envie de me présenter à la sélection pour entrer en Institut de Formation des Cadres de Santé. Mais c’est une autre démarche pour obtenir un financement, même si nous sommes dans le secteur para public, le financement d’un congé individuel de formation peut aller jusqu’à trois ans.
Comment est organisé le temps de travail au sein de l’établissement ?
Nous avons l’avantage de travailler dans une petite ville et, en règle générale, le personnel est plutôt fidèle.
C’est un véritable casse tête que de rechercher et éventuellement de trouver du personnel qui veuille travailler en gériatrie.
Il faut vraiment de fortes motivations pour fidéliser les gens, mais une fois que c’est fait, les soignants se sentent en confiance et « se donnent à fond ». En quelque sorte, c’est un peu comme une récompense.
Nous sommes jeudi, pour certains c’est le week-end qui approche, pour d’autres, c’est le début d’un roulement.
C’est important que les soignants puissent avoir des temps de récupération relativement longs. C’est vital de pouvoir se régénérer car, le burn out met du temps à s’installer mais, lorsqu’il est là, il faut de l’énergie pour s’en débarrasser et si on y arrive…
Nous avons opté pour des semaines de travail de longue durée en alternance de semaines de travail de courte durée.
Cette organisation a une double objectif, d’une part, permettre aux résidents d’être pris en charge durant plusieurs jours par la même personne et, pour le personnel de « couvrir une journée de travail complète » mais aussi d’avoir des temps de repos plus long d’autre part.
Sans entrer dans la politique, nous jouons gagnants/gagnants.
Puisque nous sommes dans « le temps », quelle est sa notion en gériatrie ?
En gériatrie il faut donner du temps au temps car tout se passe sur la durée, il n’y a pas d’urgence, la vie s’articule autour de plusieurs paramètres que l’on se doit de respecter.
Il s’agit, des habitudes de vie, des familles, du respect de l’intimité.
Lorsqu’un résident intègre « la maison » c’est en règle générale pour « un certain temps » dont personne ne peut évaluer.
Donc, nous travaillons sur la durée, avec un ou deux objectifs. L’essentiel étant d’être dans le confort.
La plupart du temps les résidents n’ont plus rien à perdre, ils viennent parfois de leur propre grès, mais bien souvent ils ont été placés ici car leur situation ne pouvait plus se gérer à leur domicile, c’est souvent un drame qui se vit quotidiennement.
Nous voudrions dire aux personnes qui n’ont jamais travaillé auprès des personnes âgées qu’elles ont souvent des idées galvaudées, voire périmées. Ce n’est pas parce que l’on est âgé que l’on est forcément malade, c’est le discours que l’on entend très souvent. Sans minimiser l’aspect médical véhiculé par la vieillesse, il y a des situations où, la dépendance est minime et où les résidents peuvent encore prendre du plaisir dans le cadre de vie que nous leur offrons.
Au-delà de la notion de temps, comment s’articulent les unes aux autres, les activités quotidiennes ?
Les repères de la journée se situent dans les activités que nous réalisons, nous et les autres membres du personnel – aide-soignants, agents hôteliers, animateurs, cuisiniers et administratifs.
C’est un travail « de chaine » et pas à la chaine. La distribution et l’aide au petit déjeuner vont conditionner le bon déroulement des soins d’hygiène.
Il faut être réaliste, nous n’allons pas attendre que les résidents les plus dépendants soient « propres » pour leur servir leur premier repas.
Nous sommes obligés de commencer par les alimenter, de plus, leur dernier repas date de plus de 10 heures, l’hypo glycémie peut survenir très rapidement.
Même si le temps n’a pas la même signification en gériatrie, celui-ci demeure tout de même précieux.
Nous sommes conscients qu’il y a des glissements de fonction, voire la distribution de taches aux aides soignantes qui ne relèvent pas de leur champ professionnel, c’est le prix pour « boucler la journée ».
En matière de priorité, comment s’organise la journée des résidents ?
Il y a un principe de base que l’on se doit de respecter avant tout, les résidents sont chez eux. A partir de ça, nous devrions normalement individualiser nos prestations, mais dans la réalité c’est difficile à mettre en place.
Par exemple, l’activité repas débute à 11 heures 15 et se termine aux environs de 13 heures 15.
Il faut prendre en compte que plus de 50% des résidents se rendent à la salle à manger en fauteuil roulant et nous n’avons que deux ascenseurs. Cela laisse imaginer le nombre de transferts que les aide-soignants et agents hôteliers doivent effectuer.
Pour une personne âgée, le repas dépasse tout ce que l’on peut imaginer, même si sa composition est souvent critiquée.
Mais nous ne prenons pas ces critiques au premier degré, le repas symbolise tellement de choses, en l’occurrence, la rencontre, pas toujours désirée avec d’autres résidents, la difficulté à mastiquer, mais aussi du plaisir, même s’il est difficile à avouer. Nous savons décoder tous ces indicateurs, c’est notre métier. Etre infirmier en EHPAD, c’est encore une manière différente de concevoir son métier.
Il faut vraiment aimer l’autre pour garder ses convictions et surtout de pas perdre sa patience.
C’est une des qualités essentielle en gériatrie.
S’il y a des résidents, il y a aussi des familles, comment les rapports s’installent ?
C’est un domaine qui mérite toute une réflexion car c’est là que beaucoup de choses se jouent, se vivent, se règlent.
La famille, c’est à la fois une ressource mais aussi une contrainte de « taille ».
Très souvent, les relations que les familles entretiennent avec les équipes sont un peu le reflet des relations intra familiales – tensions, règlement de compte, harcèlement – en amont et/ou en aval de l’entrée en institution.
L’entrée en institution pour personnes âgées marque un tournant dans la vie d’une famille, que celui-ci soit voulu ou pas.
Il est d’autant plus douloureux qu’il n’est pas voulu, voir contraint.
A partir de là, les relations s’installent, en règle générale dans la confusion des genres.
Les familles nous demandent de jouer plusieurs rôles en même temps. Certains considèrent que nous devons nous substituer à leur propre mission. Vous imaginez la charge que l’on veut nous faire porter.
Nous sommes avant tout des professionnels, même si des relations « affectives » s’instaurent avec les résidents, parfois nous ne pouvons pas faire autrement, nous sommes avant tout humains.
Le discours récurrent des familles s’articule autour de plusieurs composantes, la première concerne la reconnaissance du travail que nous accomplissons, il est souvent non reconnu et critiqué, les familles ne nous « voient pas toujours travailler ». Leur imagination est fertile lorsqu’il faut « charger » le personnel.
Ensuite, viennent se greffer d’autres problèmes, tels que de la sexualité, la fin de vie. La sexualité des séniors est une question épineuse pour les familles, ce n’est pas simple à gérer. Là encore, les familles voudraient que nous gérions cette délicate question, le problème reste entier.
Le regard des familles pose un problème - le refus que son proche parent puisse encore avoir du désir, se faire plaisir - plus développé en institution du fait que celles-ci ne sont pas toujours présentes, que leur contrôle ne s’effectue que de façon parcellaire.
D’où, un jugement souvent plus sévère lorsque « papa », mais surtout « maman » pose indirectement ou directement la question de sa sexualité dans le contexte de son âge, de l’institution qui l’accueille, qu’il soit ou non veuf ou veuve.
En théorie, nous n’avons pas à intervenir dans ce contexte, les résidents sont maître de leur vie sexuelle jusqu’au bout, à condition que les effets de celle-ci n’altèrent pas la quiétude des autres résidents.
Monique et Aurélie, j’espère que les rapports avec les familles ne s’arrêtent pas qu’à cette question.
Malheureusement, les rapports avec certaines familles s’améliorent avec la fin vie de leur ascendant et c’est regrettable.
C’est un phénomène que l’on observe dans la plupart des cas, c’est comme ça. Nous avons l’impression que l’attention, plus soutenue que l’on apporte lors de la fin de vie, adoucit les relations, les rend tout d’un coup plus faciles. La fin de vie, c’est toujours un moment de remise en question pour les familles, c’est un espace où il y a des enjeux, des regrets, des remords.
Et si nous devions conclure….
Ce n’est pas facile de conclure un travail qui s’effectue sur du long terme.
Mais nous voulons surtout transmettre un message clair à ceux qui souhaitent s’engager auprès des personnes âgées, c’est un travail « de fond » et non pas « du sprint ». Cela signifie qu’avant de vouloir travailler en gériatrie, il faut longuement réfléchir, savoir si on est capable de soutenir un tel engagement, c’est pas donné à tout le monde.
Enfin, nous ne sommes ni psychologues, ni assistantes de service social même si parfois les limites et les contours ne sont pas toujours bien définis. Nous voulons avant tout défendre et préserver notre identité, être soignant en gériatrie a la même valeur que le travail infirmier dans les autres secteurs, mais par contre il a une autre signification, celle de la persévérance et de l’humilité.
Notes
1. MARTHE : Mission d'Appui de la Réforme de la Tarification d'Hébergement en Établissement
ANGELIQUE : Application Nationale pour Guider une Evaluation Labélisée Interne de la Qualité pour les Usagers des Etablissements
Bibliographie
La sexualité des personnes âgées, les Editons du Cleirppa cahier n° 28 – 10/2007
« La sexualité de nos séniors : des barrières encore bien relevées » – Lucien Aubert
Propos recueillis par Lucien AUBERT
Rédacteur Infirmiers.com
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