Le 4 septembre 2008, après plusieurs mois de négociation avec l’UNCAM (Union nationale des caisses d’Assurance Maladie), les 4 syndicats représentatifs des infirmiers libéraux (Convergence Infirmière, FNI, ONSIL, et SNIIL) ont enfin signé un premier avenant à la convention nationale à paraitre au JO.
Comme prévu dans le protocole d’accord signé en Juin 2007, cet avenant prévoit des mesures de régulation démographique sous forme de régulation du conventionnement en fonction des zones d’exercice ( voir actualité du 5 septembre ), cela en contre partie d’une augmentation des tarifs conventionnels (tarifs remboursables par l’assurance maladie) au 15 avril 2009.
On se souvient que cette notion de régulation démographique des professionnels de santé libéraux avait fait grand bruit à l’automne dernier, particulièrement chez les étudiants en médecine, suscitant de vives réactions et une grève des internes. Introduite dans le PLFSS 2008 (projet de Loi de financement de la Sécurité Sociale) par le gouvernement, elle avait été votée par le parlement après quelques modifications et prévoyait, en ce qui concerne exclusivement les Infirmiers, d’introduire dans la convention nationale destinée à régir les rapports entre les infirmières et les infirmiers libéraux et les organismes d’assurance maladie, des conditions de conventionnement en fonction des zones d’exercice. C’est donc aujourd’hui chose faite.
Ce nouvel avenant prévoit pour les demandes de conventionnements, des dispositions différentes suivant la zone d’installation. Ainsi un infirmier ou une infirmière qui souhaite s’installer dans une zone décrétée « sur-dotée » ne pourra être conventionné que si un infirmier ou une infirmière, déjà installé dans cette zone, cesse définitivement son activité sur ce secteur. Dans ce cas, il ou elle devra alors faire une demande de conventionnement auprès du directeur de la CPAM dont dépend la zone considérée, demande qui sera transmise alors à la commission paritaire départementale (CPD) pour avis. Puis le directeur prendra une décision en fonction :
- « de l’offre de soin, compte tenu de la notification de la cessation définitive d’activité d’un infirmier ou d’une infirmière
Et - Des conditions d’installation projetées (reprise d’un cabinet, intégration dans un cabinet de groupe) dans un objectif de continuité de la prise en charge de l’activité assurée par l’infirmier cessant sont activité et d’intégration avec les autres professionnels dans la zone considérée »
Ces nouvelles contraintes ne laissent pas indifférents les professionnels et futurs professionnels et, une fois de plus, la profession se divise en deux camps : les « pour » et les « contre ». Sans vouloir prendre parti, nous vous proposons donc de faire un petit tour des arguments de chacun afin que vous puissiez vous faire votre propre opinion. Pour ce faire, nous avons joint l’ensemble des syndicats signataires, ainsi que la FNESI et des représentants d’associations locales d’infirmiers libéraux. Tous n’ont pas souhaité répondre à nos questions, mais nous vous livrons là les réponses obtenues.
Du côté des syndicats signataires (CI, FNI, ONSIL et SNIIL) il y a consensus sur un point : « on a évité le pire ». Le secrétaire général adjoint de l’ONSIL, Eric Basilana, que nous avons joint téléphoniquement, va même plus loin dans ses explications :
« De toute façon, dès le début des négociations, on nous a clairement fait comprendre que la régulation démographique passerait d’une façon ou d’une autre. Si nous avions refusé la négociation, elle serait certainement passée par voie législative, donc là, au moins, nous avons limité les dégâts. Je ne dis pas que sacrifier la liberté d’installation fut chose facile car nous y sommes, bien sûr, très attachés, mais entre deux maux il nous a fallu choisir le moindre. Donc nous avons préféré négocier pour pouvoir mettre des garde-fous à cette mesure. »
Mais quels sont donc ces « garde-fous » ?
Tout d’abord, il y a le passage obligé par la CPD (commissions paritaires départementales) pour les demandes de conventionnements en zone sur-dotée, CPD où sont présents les syndicats libéraux. Ensuite, si l’avis pris au final par le directeur n’est pas en accord avec celui rendu par la CPD, la décision sera renvoyée à la CPN (commission paritaire nationale) pour avis, CPN où, là aussi, les syndicats des infirmiers libéraux sont présents. Cela limite donc la « toute puissance » des CPAM locales et permet aux syndicats de « garder un œil » sur le nouveau dispositif.
Ensuite, il faut savoir que ces zones « sur-dotées » ne sont pas encore délimitées. « Nous commençons juste à travailler avec certaines URCAM sur les critères à retenir afin de créer une méthode de classification. Mais de ce qu’il se dessine, cette classification en zone « sur-dotée » ne devrait toucher qu’un tout petit pourcentage de bassins de vie [1]. Et sur les mêmes régions, il existe souvent à quelques kilomètres des « déserts infirmiers » ajoute E. Basilana. Donc ceux qui veulent s’installer sur une région ou un département pourront toujours le faire, même si cela doit leur coûter quelques kilomètres supplémentaires.
« En plus, nous avons pu négocier des aides à l’installation dans les zones « très sous-dotées », au travers d’un contrat optionnel qui prévoit une aide financière à l’investissement pendant 3 ans et une participation des caisses d’Assurance Maladie aux cotisations sociales dues au titre des allocation familiales [2]. Ces aides seront directement versées par l’Assurance Maladie, alors que le premier projet prévoyait un financement partagé à parts égales entre l’Assurance Maladie et les collectivités locales, ce qui aurait été plus aléatoire.
Nous avons pu aussi obtenir ces aides pour les infirmier(e)s déjà installé(e)s sur ces zones, afin de les inciter à rester sur place, ce qui n’avait pas été prévu dans la proposition initiale de l’UNCAM.
Et puis, il ne faut pas oublier que ces mesures ne sont qu’un essai pour deux ans, soumis à plusieurs conditions dont la limitation de la création ou de l’extension des SSIAD (services de soins infirmiers à domicile) dans les zones sur-dotées. Si un SSIAD s’installe ou se crée sur un de ces secteurs, la limitation du conventionnement ne s’appliquera pas. Et autre garantie : les répercutions de ces mesures sur la couverture des besoins en soins seront suivies de près par les commissions paritaires régionales, afin de les adapter au fur et à mesure. Or nous sommes présents dans ces CPR et nous serons vigilants. » Conclut le Secrétaire National Adjoint de l’ONSIL.
Malgré toutes ces garanties, la FNESI [3] ne voit pas d’un bon œil cette régulation démographique. Dans un communiqué daté du 25 septembre 2008, elle reproche aux syndicats signataires de la Convention Nationale liant les infirmiers libéraux et l’UNCAM « l'absence totale d'une solidarité intergénérationnelle». Elle souligne en particulier l’absence de consultation des étudiants infirmiers lors de ces négociations, or, la Loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2008, en modifiant l’article L. 162-12-2 du Code de la Sécurité Sociale, avait introduit cette obligation de « concertation avec les organisations les plus représentatives des étudiants et jeunes infirmiers ». Pour la FNESI, invitée à ces négociations pour la première fois le 17 juillet, cette concertation s’est réduite à une « une parodie de concertation à deux semaines des décisions finales». Elle appelle alors « les pouvoirs publics à faire preuve d’écoute envers les étudiants en soins infirmiers et à enfin respecter la démocratie » [4]
D’autre part, elle craint que « ces mesures coercitives » entrainent « une désaffection progressive de la profession et de l'exercice libéral, et ce, bien au-delà de la profession infirmière ». Sachant que la profession infirmière est en constat de pénurie et que l’âge moyen des IDE libéraux est déjà élevé (autour de 45 ans, ce qui n’est pas sans poser problème pour les années à venir), il nous a semblé important d’interroger sur le sujet des infirmiers libéraux déjà en exercice.
Pour Eric Basilana, secrétaire général adjoint de l’ONSIL et infirmier libéral travaillant en région Languedoc Roussillon (région visée par ces mesures de régulation), c’est un faux problème : « Pour les jeunes infirmiers souhaitant faire du libéral, ne vaut-il pas mieux s’installer là où l’on est certain d’avoir du travail plutôt que dans un secteur déjà saturé, où l’on va galérer pour créer une clientèle, où l’on aura des revenus très aléatoires voire franchement insuffisants comme cela se voit déjà, et où une nouvelle installation n’aura comme seul effet que de fragiliser les cabinets déjà existants ? Nous voyons tous les jours dans certains secteurs côtiers et touristiques des infirmiers qui s’installent, pensant trouver dans le libéral l’Eldorado et qui « ferment boutique » au bout d’un an voire moins, faute de revenus suffisants. Est-ce une solution « attirante » pour les futurs professionnels ? » Cet argument est repris par David Guillon, infirmier libéral d’une autre région visée par cette régulation démographique : la région PACA, et président de la Coordination ARGIL06 [5].
Pour lui, même si ces nouvelles mesures sont dans la droite ligne des mesures prises depuis les 15 dernières années (quotas d’actes, obligation de cabinet, etc.), et donc, dans la continuité d’une logique de maitrise économique des soins infirmiers, il n’en reste pas moins qu’elles répondent aujourd’hui à une demande des infirmiers de certains secteurs particulièrement exposés à une montée en puissance des installations. Il lui parait alors logique de favoriser les installations dans les secteurs où il manque réellement des cabinets, comme il en existe aussi en région PACA, car il est bien forcé de constater que, sur certains quartiers où l’offre de soins est déjà largement suffisante (zones de taille nettement inférieures aux zones qui seront probablement définies), de nouvelles installations ne sont souvent pas viables, à moins qu’elles ne se fassent au détriment des cabinets déjà existants. Même s’il lui parait évident que ce n’est pas en limitant les installations dans le Sud de la France qu’on verra les infirmiers migrer pour le Nord, pour lui, cette régulation offre aux futurs professionnels la garantie d’avoir du travail et des revenus corrects rapidement, ce qui n’était plus toujours le cas aujourd’hui.
Sur ce point, E. Basilana ajoute : « Certaines CPAM, sur des régions du Sud, ont même enregistré jusqu’à 4/5 installations par mois sur certains secteurs. Cela n’est pas sans poser problème pour les cabinets existants car nous savons tous qu’il faut au moins 3 ans pour créer une clientèle correcte et la pérenniser. Or ces nouveaux installés, sortant souvent des hôpitaux, ne veulent pas perdre de revenus. Ils veulent gagner de l’argent vite, font tout pour et cela se fait généralement au détriment des cabinets déjà présents. Du coup, beaucoup de cabinets déjà installés sur ces secteurs sont pour cette régulation.»
A la question posée du prix des clientèles qui risque d’augmenter par le fait même d’un conventionnement « 1 contre 1 » en zone sur-dotée (un nouveau conventionnement contre une cessation d’activité), prix qui pourrait faire peur aux jeunes professionnels, nos deux interlocuteurs sont d’accord. « Oui ! Il est clair que les mesures prises auront certainement comme effet de redonner une valeur marchande aux cabinets déjà existants. Mais c’était aussi le souhait de beaucoup de professionnels déjà en exercice. Les cabinets infirmiers avaient perdus complètement leur valeur depuis une quinzaine d’année alors que ce sont des entreprises libérales comme les autres. Ils étaient devenus invendables. Et qui souhaite s’investir pendant des années dans une entreprise, pérenniser sa clientèle, la développer, etc., pour ne rien pouvoir transmettre à son départ ? Donc c’est vrai, le fait de devoir investir financièrement dans une clientèle peut freiner peut-être certains futurs professionnels. Mais en même temps, ceux qui ont vraiment comme projet professionnel d’exercer en libéral ne s’arrêteront pas à ça, d’autant plus qu’acheter une clientèle est une garantie de revenus suffisants dès le début de l’activité. En plus, si c’est un investissement de départ, cela redevient de fait un patrimoine professionnel, donc une source de revenu potentiel, lors de la cessation d’activité par exemple. »
D. Guillon ajoute « de toute façon, le secteur libéral représente moins de 20% de l’exercice infirmier, et combien de futurs étudiants pensent réellement s’orienter vers le libéral en entrant en IFSI ? bien peu. Donc ce ne sont pas ces mesures qui risquent vraiment d’entrainer une désaffection de la profession et de l’exercice libéral. »
Pour E. Basilana et D. Guillon, cette régulation aura certainement aussi un autre effet positif. Elle permettra de limiter la création et l’extension d’un nouveau type de structure qui tend à se développer, particulièrement dans le sud de la France : les « cabinets infirmiers géants», regroupant plusieurs dizaines d’infirmiers, souvent sous forme associative mais chapeautés par une équipe « dirigeante » et qui, dans les faits, ressemblent plus à une structure commerciale qu’à une vraie entreprise libérale. Ayant souvent une politique « agressive » de recherche de clientèle, ces structures se développent généralement au détriment des cabinets libéraux déjà en place. « Nous avons ainsi vu sur notre région un tel système se créer et faire installer pas moins de 13 infirmiers sur l’année. Ce qui n’est pas ce qu’on fait de mieux pour la confraternité et l’éthique de notre profession » précise Eric, dont les propos trouvent échos chez David, qui ajoute « chez nous, certaines structures font installer des dizaines d’IDEL sur un même cabinet de groupe, donc sur un même secteur, un même bassin de vie, alors que dans les faits, ils ou elles travaillent sur des secteurs totalement différents, ce qui fausse complètement la répartition géographique, l’offre de soins, et, vient en concurrence des cabinets de proximité. Donc un frein à ce « business » sera un bon point pour la profession car il permettra de redonner de la valeur à l’exercice de proximité. »
Bien sur, tout n’est pas tout rose dans ces nouvelles mesures, chaque médaille ayant son revers.
La FNESI, quant à elle, s’inquiète, du fait que cette convention puisse faire jurisprudence pour d'autres professions de santé libérales. Et E. Basilana n’est pas forcement rassurant sur ce point quand il admet que les nouvelles mesures prises pour les infirmiers libéraux sont certainement un test qui pourra être étendu à l’ensemble des professions de santé libérales, s’il s’avère efficace.
Quant à D. Guillon, il craint que les critères de classification des différentes zones ne se limitent qu’à un rapport entre le nombre d’infirmiers et le nombre d’habitants, sans prendre en compte le type de population, les pathologies rencontrées, l’isolement des patients, les situations familiales, etc.…
D’autre part, se pose pour lui la question des remplaçants. « Je suis en relation avec des infirmières italiennes, pays où il existe déjà une régulation démographique et c’est leur principal souci : depuis cette régulation, elles ont beaucoup de mal à se faire remplacer. Or il n’est déjà pas toujours facile de trouver des remplaçants ou des collaborateurs en France. Est-ce que cela ne va pas empirer ? Ce serait alors un frein à la qualité des conditions de travail en libéral et une possible cause de cessations d'activité ».
Et dernier point abordé : le rôle de l’Ordre infirmier dans la démographie infirmière. Le nouvel avenant prévoit, à ce sujet, l‘intégration dans les commissions paritaires d’un représentant de l’Ordre Infirmier, à titre consultatif, et cela, pour les trois niveaux : départementaux, régionaux et national. Mais pour D. Guillon, vice-président du CDOI des Alpes Maritimes et suppléant à l’Ordre infirmier inter-régional PACA-Corse, passer par le système conventionnel pour réguler la démographie infirmière n’est pas innocent, puisque l’Ordre Infirmier n’est pas consulté lors des négociations conventionnelles. Quel rôle restera-t-il alors à l’Ordre Infirmier dans sa mission « démographie » ?
Le temps nous le dira, puisque l’ordre infirmier est encore en cours de création et ces nouvelles mesures ne sont, pour l’instant, qu’un test de 2 ans, donc encore modifiables. Gageons que, sur cette période, nos représentants, tant syndicaux qu’ordinaux, resteront vigilants et sauront travailler de concert pour adapter au mieux la démographie infirmière aux besoins en soins de la population française, sans pour autant nuire à l’exercice libéral, exercice auquel sont attachés les professionnels tout comme la population, car garant d’une liberté : la liberté de choix du praticien par le patient.
Avec tous nos remerciements à E. Basilana et D. Guillon
Le 30 sept. 08
Le débat n’est bien entendu pas clos et vous pouvez réagir à ces nouvelles mesures sur notre forum : /frm/ftopic82595.php
Notes
- « le bassin de vie est le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès à la fois aux équipements et à l’emploi » (définition INSEE )
- L'Assurance Maladie participe actuellement à la cotisation sociale d'Assurance Maladie de tous les Infirmiers libéraux conventionnés, mais ne participe pas à la cotisation Allocations Familiales. Le nouveau contrat optionnel "santé-solidarité" prévoit cette participation. L'assurance maladie prendra à sa charge la cotisation Allocations Familiales des signataires du contrat, du moins en ce qui concerne la cotisation calculée sur leurs revenus conventionnels. Par contre, il restera éventuellement à leur charge la part de cette cotisation calculée sur les revenus non-conventionnels (honoraires provenant des SSIAD, HAD, EHPAD, etc) et sur les dépassements d'honoraires
- Fédération Nationale des Etudiants en Soins Infirmiers
- communiqué de la FNESI du 27 juillet 2008
- la coordination ARGIL 06 est une association d’infirmiers libéraux des Alpes Maritimes participant à l'organisation d'un réseau généraliste, pluridisciplinaire et poly-pathologique autour du patient à domicile ; Elle est membre du forum national des associations et réseaux poly thématiques et pluridisciplinaires initiés par des infirmiers libéraux. IDEARGIL06@aol.com
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