Le récent décès de Vincent Humbert a relancé le débat sur l'euthanasie, dépénalisation ou répression ?
La réflexion contemporaine conduit fréquemment sur l'antagonisme entre le désir individuel de liberté admis comme légitime et les exigences de la collectivité.
Les questions de légalité ont souvent une place importante dans l'examen des problèmes ou dilemme éthique. Le principe d'autonomie entre alors parfois en conflit avec le principe de bienfaisance et le principe de légalité.
Qui n'a pas été sensibilisé par la garde à vue de la mère de Vincent ? Qui n'a pas été sensibilisé voire choqué pour certains du placement en réanimation de Vincent Humbert après l'administration d'une dose massive dans la sonde gastrique de barbituriques afin mettre un terme à sa vie comme il le demandait ?
Pour mieux comprendre cette longue semaine douloureuse pour la famille Humbert et le jeune Vincent, il convient semble t-il de faire le point mais d'un point de vue strictement juridique.
Prendre la décision « d'abréger les souffrances » d'une personne entraîne ipso facto la notion de responsabilité. Mais, sous le terme de responsabilité se cache deux notions qui parfois se confrontent :
- La responsabilité morale : la capacité de prendre des décisions, de poser des actes et d'en répondre devant sa conscience, en se basant sur des règles morales que sont les lois, les normes, croyances religieuses etc.
- La responsabilité juridique : civile, pénale, administrative où il s'agit de répondre de ses actes devant la société.
C'est le concept même de la qualité de vie qui induit ce débat sur « mourir, un droit ou une liberté », au travers de la notion de vie authentiquement humaine chère à Hans Jonas qui s'est posé la question du juste milieu entre le meilleur et le pire. La dignité de la personne malade en fin de vie est remise en question à travers la mise en ouvre de techniques médicales pour un maintien de la vie d'une personne qui est arrivée à son terme.
Soins palliatifs et euthanasie sont très souvent des notions mises en parallèles avec cette nuance fondamentale, l'accès aux soins palliatifs est un droit pour tout malade dont l'état le requiert et est défini et encadré par la loi de 1999. En revanche, l'euthanasie reste un geste prohibé au regard de la loi et cela quelque soit les motivations du geste. Un précédent article paru sur le site précisait les qualifications pénales de ce geste
A ce titre, les termes de « meurtre », « empoisonnement », utilisés pour qualifier juridiquement la notion d'euthanasie peuvent paraître graves voire choquantes. Cependant, il ne s'agit pas de faire une analyse éthique et / ou philosophique du sujet. L'objectif est de qualifier des faits (en l'espèce le geste communément appelé euthanasie) au regard du droit et notamment des dispositions du code pénal puisqu'il s'agit d'un acte prohibé par la loi française.
- La qualification juridique des faits
Mercredi soir, en accord, avec son fils, Madame Humbert, la maman de Vincent administre une dose massive de barbiturique dans le but de mettre fin à ses souffrances. Vincent victime d'un accident de la circulation est devenu prisonnier de son corps et a réitéré maintes fois sa demande. Conscient qu'il s'agit là d'un acte interdit et ne souhaitant pas causer de soucis à sa mère, il a donc fait appel au Président de la République pour lui demander « le droit de mourir ».
En réponse, le Président de la République, sensibilisé par la situation et la douleur de Vincent lui a précisé qu'il ne pouvait pas lui accorder un tel droit. Monsieur CHIRAC a fait savoir qu'il ne pouvait lui accorder ce droit au motif que provoquer le décès d'une personne et, cela quelque soit les convictions de la personne, reste une transgression de la loi.
En effet, « [.] Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. [.] » Article 16-1 du code civil. Par ailleurs, « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne. [.] » Article 16-3 du code civil.
Dans l'affaire Diane Pretty qui revendiquait un droit de mourir, les juges de la Cour Européenne des Droits de l'homme s'étaient prononcé sur ce sujet et avaient mentionné qu'il n'était "pas possible de déduire de (...) la convention européenne des droits de l'homme un droit à mourir, que ce soit de la main d'un tiers ou avec l'assistance d'une autorité publique" et qu'on ne peut "obliger l'État à cautionner des actes visant à interrompre la vie".
Il lui était en fait refuser l'assistance au suicide. Le suicide n'est pas pénalement répréhensible, on est en droit de se donner la mort. En revanche, le droit français refuse l'aide d'une tierce personne pour aider une personne à mettre un terme à sa vie.
Le fait d'aider une personne à se donner la mort est une infraction pénale qualifiée de meurtre au regard du code pénal (article 221-1 du code pénal).
Le livre de Vincent Humbert peut il alors être pris en considération et considéré comme un testament de vie ?
- Quelle valeur juridique le droit français accorde t-il au testament de vie ?
L'association pour le droit à mourir dans la dignité (ADMD) cherche à accorder une valeur juridique à la volonté d'une personne qui demande à bénéficier de l'euthanasie.
Cette revendication repose sur le principe de l'autonomie de la volonté c'est à dire c'est le malade et lui seul qui prend cette décision sans intervention d'une tierce personne. A cette fin, le patient rédigerait un testament de vie où il décrirait à quel moment il souhaite que les soins cessent et de respecter son choix de mourir.
Une patiente, connaissant l'évolution de son état vers une perte d'autonomie totale, avait rédigé dans ce sens « un testament de vie » où elle précisait entre autre le recours à une mort douce dès que ses douleurs deviendront « totalement insupportables ». « La mort est pour moi une forme de liberté ». C'est la raison pour laquelle elle a rédigé « un testament de vie » où il est précisé « 1) Je refuse d'être maintenue en vie par des médicaments, techniques ou moyens artificiels, 2) Je demande que l'on ait recours à l'euthanasie, mort douce. ».
Cependant, au regard de la législation on ne peut pas solliciter dans un document écrit l'intervention d'une tierce personne pour provoquer le décès. Le consentement de la personne ou sa demande ne peut justifier l'infraction. Le testament de vie n'a aucune valeur juridique au regard du droit français.
Cependant, le décès et notamment ces circonstances, contexte difficile pour la famille relance l'idée de ce testament de vie.
Faut il alors instaurer « un testament de vie » légal et contraignant pour le médecin dans lequel chacun exprimerait ses dernières volontés avant de sombrer dans l'inconscience.
Légiférer sur le sujet de l'euthanasie n'est pas chose aisée, nombreuses questions se posent : quelles personnes peuvent en bénéficier ? A partir de quel moment peut on dire ou décider qu'une personne doit mourir et donc provoquer son décès ? Comment être certain que s'est toujours le souhait du patient et pas tout simplement un appel au secours, de détresse ?
- L'euthanasie, une geste réprimé par le code pénal
En application de la législation actuelle, le fait de provoquer le décès d'une personne quelque soit les motifs (compassion à la douleur, consentement de la personne etc.) reste une infraction pénale et relève de la qualification de meurtre en application du code Pénal. C'est la raison pour laquelle lorsque l'équipe médicale a été informée du geste de la mère, les services de police ont dû intervenir et placer la maman de Vincent en garde à vue.
En effet, au regard du droit la notion de d'euthanasie n'existe pas. Le dictionnaire juridique le définit de la façon suivante : l'euthanasie se définit comme le « fait de donner sciemment la mort à une personne atteinte d'une maladie incurable et souffrant de manière insupportable, en général poursuivi pénalement en France sous la qualification d'assassinat, mais qui peut donner lieu à la prise en compte par la juridiction de jugement de la raison qui a poussé le délinquant à agir afin de diminuer la peine prononcée ». Dictionnaire du vocabulaire juridique, Litec.
S'agissant d'une infraction pénale se composant d'un élément matériel : provoquer le décès d'une personne et d'un élément intentionnel : la volonté délibérée de la personne de provoquer la mort ; les élément étant réalisés, l'infraction est dès lors constituée. Les services de police puis la justice sont alors saisis de l'affaire. C'est la raison pour laquelle la maman de Vincent a été placée en garde à vue pour s'expliquer sur les circonstances de son geste.
Le placement en garde à vue de la maman a relancé de façon plus importante le débat. Pourquoi cette garde à vue ? Pourquoi lui infliger des souffrances supplémentaires ? Pour les services de police, il s'agissait d'appliquer la loi en réponse à la réalisation d'une infraction pénale.
- Un débat s'en est suivi sur l'opportunité de dépénaliser l'euthanasie
Les pouvoirs publics ont très vite répondu et freiné le débat. A ce jour, la dépénalisation n'est pas d'actualité. Il n'est pas question de voter une loi sous la pression de faits de société. Cependant, si le décès de Vincent Humbert entraîne un tel malaise, n'est ce pas en raison d'un décalage entre la réalité des faits et les dispositions légales ?
En 1998, le CCNE donnait un début de réponse avec « l'exception d'euthanasie ». Dans un premier temps en 1991, le CCNE avait précisé que légiférer sur ce sujet était beaucoup trop complexe et serait source de difficultés, d'interprétations abusives.
Le CCNE justifiait son refus, d'une part, par le fait que le geste d'euthanasie reste au regard de la loi un meurtre répréhensible par le code pénal. D'autre part, la fonction de la médecine est de soigner et non de faire mourir ces patients.
Dans un second temps en 1998 dans un rapport « consentement éclairé et information des personnes qui se prêtent à des actes de recherche » le CCNE s'est déclaré favorable à relancer une discussion publique sur le sujet de l'accompagnement des malades en fin de vie y compris la question de l'euthanasie.
Ce sont dans ces circonstances et en réponse aux divers rapports rendus sur ce sujet que le CCNE a publié un rapport en janvier 2000 où est soulevé la question de l'exception d'euthanasie (pour plus de détail se reporter à l'article « euthanasie et droit » sur le site).
Il est important de noter que « l'exception d'euthanasie » ne conduit pas à une dépénalisation du geste. En revanche, elle permettrait aux juges de prendre en considération les mobiles. Il s'agit d'apprécier le bien fondé des prétentions des intéressés au regard non pas de la culpabilité en fait et en droit mais des mobiles qui les ont animés que le CCNE qualifie « d'ouvertures exceptionnelles » : souci d'abréger des souffrances, respect d'une demande formulée par le patient, compassion face à l'inéluctable.
Actuellement, au regard de la législation pénale l'exception d'euthanasie présentée par le CCNE suppose l'introduction par le législateur d'une éventuelle réforme du code pénal et du code de procédure pénale et de précisions complémentaires du CCNE.
A ce jour, l'euthanasie reste un geste interdit et prohibé par le code pénal. C'est la raison pour laquelle, les circonstances du décès de Vincent HUMBERT a relancé le sujet non pas de dépénaliser le geste d'euthanasie mais de s'interroger, d'une part, sur les conditions d'application éventuelles de « l'exception d'euthanasie » et, d'autre part, sur la notion d'acharnement thérapeutique sans oublier la place importante et la nécessité de développer l'accès aux soins palliatifs.
D'ailleurs, les pays qui ont légalisé l'euthanasie rappel en corollaire l'importance de développer les soins palliatifs.
- Les soins palliatifs en réponse au respect de la dignité de la personne
Les soins palliatifs ont pour fonction de contrôler la douleur et les autres symptômes d'inconfort en préservant la relation du patient avec son entourage.
L'article L 1er A de la loi du 9 juin 1999 relative à la garantie d'accès aux soins palliatifs mentionne bien que les soins palliatifs s'adressent à "toute personne dont l'état le requiert".
La notion de soins palliatifs doit être dissociée de cette image de mouroir. Les soins palliatifs sont un service qui accueille des patients dont leur état requiert des soins spécifiques et notamment une prise en charge plus lourde (médicale, psychologique et soutien des proches).
L'expression "malade dont l'état le requiert" est assez vague et imprécise mais peut être traduit elle la volonté du législateur d'effacer cette image mortuaire et angoissante des services de soins palliatifs. Un groupe de travail de l'Académie Nationale de Médecine (Bull-Acad Nale, 2000, 184, n°8, séance du 28 novembre 2000) rappelle que le" soulagement des douleurs a initialement été mis en ouvre en faveur des malades atteints de cancer, l'accompagnement de fin de vie doit tout autant concerner les insuffisances cardiaques, respiratoires, neurologiques, les démences, le SIDA et toutes autres formes d'affections chroniques."
Cette définition large des bénéficiaires des soins palliatifs a suivi l'évolution des mentalités. On ne fait plus de distinction, toute personne qui a besoin d'être accompagnée soulagée doit pouvoir bénéficier des soins palliatifs. Le législateur n'a pas souhaité poser des conditions trop restrictives qui auraient pu conduire à une certaine forme de discrimination entre les malades.
La prise en charge de la douleur commence à la vie et jusqu'à la fin de vie. L'idée étant que l'on doit respecter la dignité de la personne de son plus jeune âge à un âge très avancé.
Une approche globale de la personne malade dans la phase palliative implique en même temps disponibilité, continuité des soins, pluridisciplinarité, coopération et coordination dans la prise en charge à domicile ou en institution. La notion de projet de soins et d'équipe autour du malade s'impose donc et implique de nombreux acteurs. Ils s'efforcent de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu'au décès et proposent un soutien un accompagnement tant au patient qu'à ses proches.
- Une prise en charge du malade sans obstination déraisonnable
« Il faut savoir respecter la vie qui prend fin et conserver à celui qui s'en va toute sa dignité » B.GLORION
L'arrêt des traitements curatifs ne doit pas être perçu comme un échec mais comme un respect du patient. La décision de cesser les traitements et de passer à la phase palliative et d'accompagnement du patient doit être le fruit d'une discussion entre l'équipe soignante, la famille et surtout le patient pour éviter tout sentiment de solitude tant pour les soignants que les patients.
Le contenu des obligations du médecin des articles 37 et 38 du code déontologie médicale rappelle bien ces notions de prise en charge globale du patient "le médecin doit s'efforcer de soulager ces souffrances" "il doit accompagner son patient".
Les soins palliatifs visent à diminuer ou à supprimer les symptômes d'une maladie lorsqu'il est permis d'affirmer que les diverses thérapeutiques possibles à visée curative sont devenus raisonnablement inefficaces pour obtenir la guérison de l'affection en cause (Charte des soins palliatifs élaborée par l'ASP).
Les soins palliatifs ont pour fonction de contrôler la douleur et les autres symptômes d'inconfort en préservant la relation du patient avec son entourage.
- Soins palliatifs et respect de la vie
L'intention première est de faciliter le passage à la vie à la mort en soulageant le patient. Mais soulager ne signifie pas ipso facto de lui donner la mort. Les soins palliatifs ne hâtent ni ne retardent le décès. Leur but est de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu'à la mort (définition de la société française d'accompagnement et de soins palliatifs 1992).
- Soins palliatifs et décisions de justice
- Un médecin peut il délibérément provoquer la mort de son patient ?
Il a été jugé par la cour de cassation, chambre criminelle (1997), la décision d'arrêter la réanimation de la patiente qui a rendu inévitable et irréversible le processus mortel constituent un homicide involontaire.
La cour de cassation condamne la décision d'arrêter précipitamment les soins. Habituellement, l'arrêt des soins ou de la réanimation d'un patient est décidé en accord avec toute l'équipe médicale et soignante et la famille. Or en l'espèce, la décision était prise unilatéralement par l'anesthésiste. Cette décision avait d'ailleurs choquée les infirmières qui ont porté les faits à la connaissance de la direction de l'hôpital qui a alors informé le parquet. L'homicide involontaire est caractérisé parce que le médecin anesthésiste s'est arrogé unilatéralement le droit de précipiter une mort inéluctable.
- L'état du patient peut il justifier l'abandon des soins palliatifs ?
Un médecin justifiait sa décision de provoquer délibérément le décès de son patient au motif qu'il était atteint de graves pathologies. Le conseil national de l'ordre des médecins a écarté cette excuse « Le médecin qui avait commencé les soins palliatifs, ne saurait invoquer à titre d'excuse absolutoire, les souffrances de sa patiente auxquelles les soins palliatifs ont précisément pour objet de remédier ».
Conclusion :
« Il existe bien une déontologie de l'accompagnement des personnes en fin de vie, qui exprime la volonté d'assister dans la dignité, la solidarité et le respect, ceux dont la vie prend fin. ».
Les circonstances, le contexte dramatique du décès de Vincent HUMBERT relance pas seulement le débat de l'euthanasie mais va bien au-delà. Une réflexion sur la souffrance, la prise en charge de la douleur du patient mais aussi de l'entourage est à mener.
Par crainte de dérive, les pouvoirs publics préfèrent développer les soins palliatifs en soulageant les douleurs apportant ainsi une réponse au respect de la dignité de la personne tout en s'interrogeant semble t-il sur la notion voire la limite entre soins et acharnement thérapeutique.
Bibliographie
- Loi du 9 juin 1999 visant à garantir le droit d'accès aux soins palliatifs (JO du 10 juin 1999),
- Code de déontologie médicale,
- Cahier pratique TISSOT : « Les soins palliatifs ».
- Rapport n°63 du CCNE « fin de vie, arrêt de vie, euthanasie » janvier 2000, l'exception d'euthanasie,
- Articles du Monde de janvier 2003,
- Le quotidien des médecins, articles du 11 décembre 2002, du 18 décembre 2002, du 19 décembre 2002,
- Etats généraux de la santé, douleur et soins palliatifs, Didier SICARD.
Juriste spécialisée en droit de la santé
AEU droit médical, DESS droit de la santé
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