Qui dit extension des responsabilités, dit augmentation des risques. Des risques médico-légaux, s’entend. C’est ainsi que l’on pourrait résumer une des conséquences de la loi Rist, votée en mai 2023, qui ouvre non seulement l’accès direct aux infirmiers de pratique avancée (IPA), mais étend également les missions des infirmiers relatives aux prises en charge des plaies. La question, en tout cas, préoccupe la Mutuelle d'assurance des professionnels de la santé (MACSF) qui, dans le cadre de la présentation annuelle de son bilan sur la responsabilité médicale, a tenu à faire un focus sur les risques que pourraient courir à l’avenir les IPA.
Les infirmiers, une profession à la sinistralité limitée
De manière générale, a noté Thierry Houselstein, directeur médical de la MACSF, la sinistralité chez les infirmiers – soit le pourcentage d’infirmiers mis en cause pour erreur ou faute dans le cadre d’une prise en charge – demeure très faible : de l’ordre de 0,04% pour 2022, en comptant les 131 907 infirmiers sociétaires de la MACSF. Les motifs de réclamation concernent souvent des erreurs ou des maladresses dans la réalisation des actes techniques, des défauts d’information des patients, des erreurs médicamenteuses, que ce soit dans le dosage ou la délivrance du traitement, et des infections liées aux soins. Pour autant, si « le risque est faible, les dossiers peuvent s’avérer coûteux » pour les patients. Plusieurs exemples peuvent d’ailleurs l’étayer : retard de diagnostic pour une infection en post-opératoire, décès d’un patient infecté par un staphylocoque à la suite d’une opération du genou, ou encore surdosage de morphine qui a conduit à la mort d’un patient dans le cadre d’une hospitalisation à domicile (HAD) dû à un manque de communication entre cette dernière et les infirmiers libéraux.
De nouveaux risques spécifiques pour les IPA
Pour les IPA, la problématique est plus complexe. « La question qui se pose pour nous, c’est est-ce que la montée en puissance des IPA, de ces nouveaux métiers, et l’élargissement de leur périmètre d’action, notamment l’accès direct, vont conduire à modifier un peu le risque médico-légal ? », a poursuivi Thierry Houselstein. Car, parce qu’ils sont investis de nouvelles missions, dont certaines se rapprochent de l’exercice médical, les IPA sont de facto exposés à des risques médico-légaux plus spécifiques, avec des erreurs qui pourraient s’avérer plus lourdes encore pour les patients.
Nous avons affaire à une nouvelle profession qui est consciente de son nouveau positionnement, qui sera très précautionneuse.
A priori, les conduites d’entretiens et d’anamnèse du patient impliquent des risques moindres, à la différence des activités d’évaluation, d’orientation, de surveillance clinique ou encore d’adaptation du suivi, a relevé Thierry Houselstein, citant à titre d’exemple le suivi insuffisant d’une plaie inflammatoire. Viennent ensuite la réalisation d’actes techniques et de suivi sans prescription médicale, la prescription de dispositifs médicaux, de médicaments et d’examens cliniques, et les renouvellements et adaptations des prescriptions médicales qui présentent des « risques majorés ». « Nous sommes très clairement sur une activité médicale de prise en charge d’un patient », a-t-il commenté, y voyant des activités « empreintes d’un certain risque médico-légal ». Mais « c’est surtout au sujet de l’accès direct qu’il faudra être très vigilant, à l’avenir », insiste-t-il. Celui-ci pourrait en effet entraîner des erreurs de diagnostic ou de prescription. Thierry Houselstein met également en lumière la possible absence de compte-rendu de prise en charge, pourtant prévu dans le protocole de collaboration. « On peut aussi avoir des défauts de suivi des résultats d’examens, puisque l’IPA va prescrire des examens complémentaires », qu’elle pourrait ensuite ne pas être en mesure d’interpréter, provoquant ainsi des retards dans le diagnostic, et donc une perte de chance pour le patient. L’IPA étant au centre de la prise en charge du patient, plane aussi la menace d’un défaut de transmission d’information ou du non-respect d’un protocole. « S’il y a un défaut de collaboration, que ce soit avec le médecin ou avec un autre professionnel de santé, il peut être à l’origine d’une perte de chance. » Enfin, il alerte sur de possibles dépassements de compétences, «d’autant qu’il va falloir quelques années pour que les choses se cadrent sur le plan des bonnes pratiques.»
Pour autant, même en accès direct, l’exercice des IPA demeure encadré par un protocole, qui définit leurs champs d’intervention, les modalités de prise en charge des patients et celles d’échanges d’information avec les médecins. Et ces professionnels, souligne-t-il, connaissent l’étendue de leurs nouvelles responsabilités : «Nous avons affaire à une nouvelle profession qui est consciente de son nouveau positionnement, qui sera très précautionneuse».
Thierry Houselstein et Nicolas Gombault l’ont promis : il n’est actuellement pas prévu d’augmenter les cotisations demandées aux IPA. « La tarification pour les IPA demeure inchangée par rapport à celles des infirmiers », a ainsi expliqué Thierry Houselstein, qui a néanmoins précisé que les infirmiers qui auront obtenu leur diplôme d’IPA devront le notifier à la MACSF. La mutuelle se donne toutefois le droit de faire évoluer ses tarifs si une trop grande « distorsion » devait apparaître à l’avenir entre les coûts imputés à la responsabilité des IPA et ceux relatifs aux infirmiers.
Des professionnels exposés aux plaintes au civil et au pénal
Le sujet des nouvelles responsabilités des IPA vient s’inscrire dans un contexte sociétal marqué par une judiciarisation de plus en plus importante des contentieux entre professionnels de santé et patients, poursuit Nicolas Gombault, le directeur général délégué de la MACSF. « Les décisions de justice sont en hausse », avec 413 décisions rendues en 2022 en justice civile, soit une hausse de 4% par rapport à 2021, et elles se caractérisent par «une très grande sévérité des magistrats au civil ». 72% de ces décisions se terminent par des condamnations (contre 30 à 35% dans les années 1980). Au pénal, 77% des 13 décisions prononcées contre des professionnels de santé se sont soldées par des condamnations lourdes, dont 9 avec des peines d’emprisonnement.
« Les professionnels de santé ne commettent pas plus de fautes qu’auparavant », observe-t-il cependant. « C’est la traduction d’exigences sociétales à travers la jurisprudence», avec, pour les professionnels de santé et les établissements dans lesquels ils exercent, des obligations de plus en plus nombreuses à remplir. « Quand les affaires sont portées devant la justice », c’est aussi parce que retenir la responsabilité du professionnel lorsqu’il n’y a pas d’aléa médical ou thérapeutique représente « la seule façon, pour les magistrats d’indemniser un préjudice subi », conclut-il.
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