La gestion du Dossier Patient est une activité intégrée dans le quotidien des soignants souvent vécue comme une charge de travail importante.
Quel sens donner à cette activité pour qu’elle devienne motivante et source de richesse pour les professionnels de santé ?
Comment faire pour que le dossier du patient devienne un outil de travail et ne reste pas qu’un outil d’archivage d’informations ?
I- Le dossier du patient
Le premier levier à activer est celui d’une centralisation des multiples dossiers (médical, infirmier, kiné…) vers un dossier unique du patient qui sera le reflet de la prise en charge globale des problèmes des malades par l’ensemble des professionnels de santé ; une seule catégorie professionnelle ne peut prétendre maîtriser cette approche systémique des problèmes du patient. Les raisonnements cliniques collectifs et les soins coordonnés seront les fondements d’une qualité des soins pour les patients avec des résultats probants.
Les redondances et les pertes d’informations qui sont actuellement relevées lors des évaluations de pratique professionnelle centrées sur les différents dossiers de soins ouverts lors d’un parcours de patient sont suffisamment nombreuses pour que nous réfléchissions sur des mesures correctrices ayant un impact positif.
II- Une définition de la transmission ciblée
La transmission ciblée n’est qu’un outil et sans le fondement du raisonnement clinique comme support de l’écriture, la structure « cibles, données, actions, résultats » n’a pas de sens.
Notre définition de la transmission ciblée est la suivante :
C’est l’écriture structurée résultant d’un raisonnement clinique individuel et collectif qui permet de visualiser la cohérence entre un problème de santé (la cible) et ses caractéristiques personnalisées (données). La pertinence de cette première écriture oriente le choix des interventions de soins personnalisés (actions) et l’évaluation de l’efficacité des interventions de soins (résultats).
III- Le système ciblé
Notre expérience depuis quinze ans sur l’intégration du raisonnement clinique dans la gestion d’un système ciblé pluridisciplinaire nous amène à proposer aux équipes un outil transmission ciblé non seulement pour les infirmiers et les aides soignants mais également pour les autres professionnels de santé (médecins, kinésithérapeutes, psychologues, assistantes sociales, ergothérapeutes, diététicienne…).
Nous parlons alors plus précisément du système ciblé composé de la feuille transmission ciblée et du (ou des) diagramme. La partie transmission ciblée est disposée en « paysage » afin de permettre la structure en colonnes mais surtout la continuité du suivi des problèmes entre matin, après midi et nuit. Le système des couleurs est souvent adopté par les équipes.
Date et heure |
cibles |
données |
actions |
résultats |
Date et heure |
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Le diagramme de soin et de surveillance peut être unique et correspond ainsi au chemin clinique qui est un outil de gestion prévisionnelle des soins. Ce chemin clinique est une planification du parcours du patient lors d’une séquence d’hospitalisation ou lors du parcours complet dans un établissement. Tous les actes de soins et de surveillance sont tracés sur ce document avec l’identification de la personne qui a effectué l’acte. Le chemin clinique recommandé par la Haute autorité de santé en fonction des groupes homogènes de séjour est pluridisciplinaire et de ce fait remplace les documents existants tels que « feuille de température », diagramme de soins de nursing …
Dans certaines situations les diagrammes « surveillance rapprochée » sont mis en route pendant une phase intensive de l‘hospitalisation.
La feuille transmission ciblée et le diagramme sont complémentaires et non répétitifs. Ce sont des documents de transmission et le recopiage des soins répétitifs ou des paramètres normaux sont inutiles car ces redondances « encombrent » la feuille transmission ciblée qui est réservée à l’écriture des raisonnements cliniques individuels et collectifs.
L’enregistrement des actes des soins et de surveillance sur le diagramme (ou chemin clinique) est réalisé le plus tôt possible après l’acte afin d’éviter d’utiliser un papier intermédiaire et un recopiage qui est source d’erreurs. L’organisation des soins par patients et la répartition des dossiers de patients par secteur sont des contextes favorables pour la gestion en temps réel des diagrammes.
IV- Le raisonnement clinique et l’écriture en transmissions ciblées
Par contre l’écriture sur la feuille transmissions ciblées est la résultante d’un raisonnement clinique et il ne faut pas écrire trop tôt les indices de problèmes perçus chez le patient sans en avoir fait une analyse.
1er exemple : un patient se plaint d’une douleur non connue ; la recherche des caractéristiques précises, par exemple à partir du TILT : type de douleur, intensité, localisation exacte et le temps (permanent ou à quel moment ?) va orienter les hypothèses étiologiques dans le raisonnement diagnostique médical. L’infirmière qui perçoit cette douleur écrira la cible « douleur» et précisera les données du TILT dans la colonne « données ». Suite à la prescription médicale complétée souvent par des actions sur décisions infirmières, l’évaluation de l’efficacité est faite à partir des données précises en notant leur évolution dans la colonne « résultat », soit par la personne qui a écrit la cible, les données et les actions soit par l’infirmière du poste de travail suivant.
2ème exemple : dans un service de pédiatrie un enfant pleure, le soignant active son raisonnement : pourquoi pleure t’il ? A-t-il faim ? A-t-il mal ? S’ennuie t’il ?.... dans ce raisonnement inducto-hypothético-déductif, l’infirmière, la puéricultrice ou l’auxiliaire de puériculture ne se contente pas de consoler l’enfant mais surtout recherche l’origine des pleurs afin d’agir sur le vrai problème et l’écriture en transmission ciblée ne se fera qu’après avoir infirmer les fausses hypothèses et confirmer la bonne et bien entendu après avoir mis en œuvre des interventions adaptées au problème identifié. Dans ce processus la cible n’est pas « ce que je vois » c'est-à-dire les pleurs mais la conclusion clinique après le raisonnement : douleur ou peur ou ennui…. Et les pleurs sont dans les données avec les données complémentaires recueillies lors du recueil de données cliniques.
L’actualisation des connaissances en sciences médicales et en sciences humaines est un fondement essentiel pour l’évolution de la qualité de la démarche clinique mentale et de la démarche clinique écrite. Nous constatons très souvent des écritures imprécises telle que rougeur +++ dans les données avec une cible atteinte à l’intégrité de la peau et en action : PE (prévention escarre).
Le signe validant l’escarre stade 1 est la rougeur fixée qui ne disparaît pas à la levée de la pression et l’intervention est un hydrocolloïde et n’est pas un massage effleurage. Lorsque le raisonnement clinique est pertinent en fonction de ces connaissances, l’écriture est également pertinente :
La cible est « escarre stade1 » les données sont « rougeur fixée et sensation de picotements » l’intervention est « un hydrocolloïde et les actions de prévention adaptées » et l’évaluation portera sur la disparition du symptôme « picotements » et de la rougeur fixée ».
Dans cette situation certains patients ont également une réaction comportementale par exemple perte de moral qu’il faut identifier, écouter et écrire. La cible est perte de moral, les données sont centrées sur ce que dit la personne et l’action est une relation d’aide « soutien émotionnel » et le résultat est centré sur ce que dit le patient après la relation d’aide. Dans une approche systémique le soignant perçoit tout de suite que l’efficacité de la prise en charge de l’escarre avec un résultat de guérison va redonner le moral au patient. La compétence technique est obligatoirement intégrée à la compétence relationnelle. Lorsque l’escarre disparaît le soignant écrit le risque de récidive et négocie avec ses collègues lors de la réunion clinique le programme personnalisé de soins pour éviter cette récidive. L’écriture est alors la résultante d’un choix d’équipe et est centrée sur la gestion des risques.
La cible « comportement » trop générale est cependant notée fréquemment car les professionnels de santé ont parfois des difficultés à identifier précisément ce que ressent le patient. Les connaissances sur les concepts de représentation de la maladie…, des émotions et des stratégies d’adaptation nous apportent des compétences pour comprendre les réactions des patients dans les situations vécues lors d’un épisode de maladie. Les écritures sont alors plus précises et sont ciblées sur des émotions : inquiétude, crainte, peur ou des contre émotions : anxiété, angoisse ou des sentiments : de honte, de culpabilité.
La relation de confiance et l’écoute sont essentielles pour entendre, comprendre ce que dit le patient et pour avoir une attitude adaptée à ce qu’il vit.
L’écriture des réactions comportementales est souvent difficile et les professionnels demandent un accompagnement pour ne pas écrire des jugements de valeur ou des détails confidentiels sur la vie privée. Nous conseillons très souvent que l’écriture des réactions comportementales très « fortes » soit la résultante d’un échange dans l’équipe et d’un consensus.
V- La synthèse d’entrée
La feuille transmission ciblée en 4 colonnes va permettre d’alterner l’écriture linéaire et l’écriture en structure cible, données, actions, résultats afin de montrer le lien entre une présentation synthétique de différentes informations à un moment donné de l’hospitalisation et le raisonnement clinique qui se déduit de cette présentation synthétique. Nous parlons alors de la macro cible et de la synthèse clinique.
La synthèse d’entrée comprend deux parties : une macro cible d’entrée écrite en linéaire et une synthèse clinique initiale écrite en transmissions ciblées.
La macro cible est la présentation des informations médicales, personnelles, familiales du patient, écrite de manière synthétique pour qu’elle soit lue rapidement par des personnes ne connaissant pas le patient. Elle est rédigée après avoir recueilli les premières informations sur le patient et en respectant les points suivants :
« Mr X, âgé de… entré à (heure).pour (motif d’entrée) vient de ….et accompagné par (contexte d’hospitalisation) (histoire de la maladie)…. (ATCD pertinents actifs et passifs)…contexte familial, social et professionnel (si utile et si informations disponibles)….observations référantes à l’entrée »
La macro cible est très souvent écrite par l’infirmière d’accueil et doit être lue par chaque nouveau professionnel concerné par les soins à ce malade. La lecture d’une écriture structurée est rapide. Les informations médicales d’entrée sont contextualisées, ce qui nous permet de faire des liens lors de la lecture entre maladie, antécédents, contexte familial social et professionnel. Le soignant peut alors anticiper les hypothèses de problèmes prévalents qui vont orienter son recueil de données cliniques.
Au cours de son recueil de données, le soignant enclenche son raisonnement clinique qui lui permet de se poser les bonnes questions à partir des indices, de faire des liens entre les signes et les symptômes et de poser des conclusions cliniques : ce temps très important s’appelle l’analyse clinique initiale. Lorsque l’infirmière d’accueil rédige, ce temps s’appelle synthèse clinique initiale.
VI- Le modèle clinique tri focal
Ce modèle développé par Marchal et Psiuk est un modèle qui oriente les jugements cliniques autorisés par chaque catégorie professionnelle dans la pathologie, les complications potentielles liées à la pathologie et aux effets secondaires de traitement, et les réactions humaines physiques et psychologiques.
Dans le 1er domaine clinique, les cibles sont dans la symptomatologie de la pathologie : dyspnée, vomissements, douleur, délire….La conclusion clinique peut être une suspicion de… avant la validation par le médecin ; si le problème est validé par le médecin, l’infirmière note le problème réel « infection urinaire »
Dans le 2ème domaine clinique, les cibles sont exprimées en termes de risque :
Risque hémorragique, risque infectieux, risque d’hypotension orthostatique, risque d’escarre, risque de peur… si des signes précurseurs apparaissent le problème est réel, par exemple hypotension orthostatique en cible, le chiffre de la TA assis et debout en données ainsi que les symptômes associés ressentis par le patient (sueurs, vertiges…)
Dans le 3ème domaine clinique, les cibles sont les réactions humaines réelles: escarre stade 1, constipation, capacité partielle à se laver, crainte, inquiétude, peur, anxiété…..
Ce sont les données recueillies personnalisées qui orientent la conclusion clinique soit en problème réel, soit en problème potentiel (risque de…) soit en problème hypothétique (par exemple peur ? (ce qui signifie suspicion de…) si le patient a un comportement qui nous oriente vers l’hypothèse de peur sans avoir exprimé verbalement cette peur)
La cible doit donc être considérée comme la conclusion clinique d’un raisonnement clinique en fonction des données qui ont pu être observées ou recueillies auprès du patient.
Dans la gestion de la transmission ciblée les données sont essentielles car elles sont le témoin des compétences acquises par le professionnel de santé qui a écrit : l’observation, l’écoute, les connaissances, la combinaison de cet ensemble à partir du raisonnement clinique et la capacité à synthétiser le tout pour que l’écriture soit structurée afin qu’elle soit lisible, enrichissante pour celui qui la lit.
En conclusion de cet article, nous souhaitons ouvrir un débat sur ce thème du raisonnement clinique et de la qualité de l‘écriture dans un contexte de soins interdisciplinaire. Nous espérons que les lecteurs seront nombreux à réagir et à envoyer leurs commentaires, ce qui nous permettra d’en faire régulièrement une synthèse que nous nous engageons à diffuser par l’intermédiaire d'infirmiers.com.
Aller plus loin :
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Document Césiform « Du Raisonnement clinique aux transmissions ciblées », non publié.
La démarche clinique infirmière, de la singularité vers l’interdisciplinarité, in recherche en soins infirmiers Mars 2006.
A. MARCHAL, Th. PSIUK,le paradigme de la discipline infirmière en France Séli Arslan 2002.
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