Depuis plusieurs mois une polémique s’est développée au sein de la communauté infirmière. Le feu a été mis aux poudres lors de l’annonce officieuse et fortuite via Internet de l’utilisation par certains services de secours de masques laryngés par des personnes manifestement non autorisées. Cet arbre cache une forêt où la réalisation d’un certain nombre d’actes de secouristes semble relever de l’exercice illégal de la profession d’infirmier. Qu’en est-il ?
I- Le cas du masque laryngé
Il convient tout d’abord de replacer le dispositif dans son contexte. Le masque laryngé est un matériel destiné à la ventilation de patient en anesthésie. Son indication comprend les interventions de courte durée (
Le ML est contre-indiqué chez les patients à risque de régurgitation ou d'inhalation, que la cause en soit chirurgicale ou médicale. [1]
De ce fait, les interventions sous cœlioscopie, ou chez le patient obèse sont formellement contre indiquées. Ce dispositif ne permet pas d’isoler les voies aériennes des voies digestives. Le risque majeur est donc l’inhalation du contenu gastrique (syndrome de Mendelson).
Son utilisation est donc relativement restreinte et obéit à des règles connues. Nous avons cependant entendu parler de son utilisation en pré-hospitalier dans le contexte de l’arrêt cardio respiratoire. Une telle utilisation est abusive. D’une part le patient concerné est considéré comme un patient à estomac plein jusqu’à preuve du contraire (donc ML contre indiqué), d’autre part l’utilisation du matériel impose une formation spécifique et une utilisation régulière dans un contexte classique et un environnement sécurisé. La courbe d’apprentissage du ML est lente. On estime qu’un opérateur doit réaliser plus de 750 poses pour être expérimenté [1]. Il est vrai que la technique semble facile à appréhender, mais le ML pose régulièrement et souvent des problèmes (fuites, déplacements) que seul un opérateur averti peut gérer et détecter correctement en milieu sécurisé et spécialisé.
Cette dérive s’explique peut être avec l’utilisation du ML comme dispositif de sauvetage dans le cadre des intubations difficiles non prévues. En effet chez le patient impossible à ventiler et à intuber (deux échecs d’intubation avec un opérateur expérimenté) le ML est utilisé en attendant qu’une mesure définitive soit mise en œuvre. De plus, il est utilisé dans ce cadre par un personnel formé spécifiquement (médecin urgentiste, médecin anesthésiste, infirmier anesthésiste). Et il n’est pas recommandé si le patient est ventilable au masque (cf. arbre décisionnel ci-dessous).
Figure 1. Algorithme en cas d’intubation difficile en situation d’urgence [2]
II- Analyse juridique
D’un point de vue réglementaire, actuellement la mise en place d’un masque laryngé par les sapeurs pompiers est tout à fait interdite. Aucun manuel de secourisme, aucune formation de secourisme même les formations complémentaires professionnelles type SAP II, pas plus que le nouveau référentiel de la Sécurité Civile concernant le nouveau programme de secourisme issu de la circulaire du 14 février 2007 autorisent les sapeurs pompiers à poser un masque laryngé. Il en va de même pour les ambulanciers titulaires ou non du CCA et ce, conformément à l’arrêté du 26 janvier 2006 relatif aux conditions de formations des auxiliaires ambulanciers et au diplôme d’ambulancier et plus particulièrement l’annexe III module 1 et 2.
Le sapeur pompier ou l’ambulancier qui poserait un masque laryngé, en quelques circonstances que ce soient, engerait sa responsabilité professionnelle et pénale pour exercice illégal de la médecine défini aux articles. L.4161-1 et L.4161-5 du code de la santé publique.
Article L.4161-1
« Exerce illégalement la médecine :
1º Toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d'un médecin, à l'établissement d'un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu'ils soient, ou pratique l'un des actes professionnels prévus dans une nomenclature sans être titulaire d'un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l'article L. 4131-1 et exigé pour l'exercice de la profession de médecin… »
Article L.4161-5
« L'exercice illégal de la profession de médecin, de chirurgien-dentiste ou de sage-femme est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Les personnes physiques encourent également les peines complémentaires suivantes :
- L'affichage ou la diffusion de la décision prononcée, dans les conditions prévues par l'article 131-35 du code pénal ;
- La confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l'infraction ou de la chose qui en est le produit, conformément à l'article 131-21 du code pénal ;
- L'interdiction définitive ou pour une durée de cinq ans au plus d'exercer une ou plusieurs professions régies par le présent code ou toute autre activité professionnelle ou sociale à l'occasion de l'exercice de laquelle l'infraction a été commise, suivant les modalités prévues par l'article 131-27 du code pénal.
Le fait d'exercer l'une de ces activités malgré une décision judiciaire d'interdiction définitive ou temporaire est puni des mêmes peines. »
Cependant, malgré les contraintes du terrain que peuvent rencontrer les équipes d’urgence pré hospitalières, cette législation s’applique également aux Infirmiers (es) DE.
Les Infirmiers de sapeurs pompiers peuvent être rapidement confrontés à transgresser ces textes, surtout s’ils travaillent seuls et se retrouvent dans une situation réclamant une RCP.
N’oublions pas que la réponse graduée qui consiste, entre autre, à envoyer une VLI sur les lieux d’une intervention, n’exonère en aucune façon le personnel qui l’arme à respecter la législation et la réglementation professionnelle.
En matière d’actes professionnels :
- Les sapeurs pompiers doivent se conformer aux référentiels de secourisme.
- Les Infirmiers aux articles R.4311-1 à R.4311-15 du CSP
Actuellement, aucune exception n’est tolérée et ce malgré les expériences de transferts de tâches réalisées dans un cadre extrêmement réglementé (arrêtés du 13 décembre 2004 et du 30 mars 2006 relatifs à la coopération entre professionnels de santé) faisant suite au rapport BERLAND d’octobre 2003 .
Il est important de replacer le masque laryngé dans son contexte d’origine.
Comme cela a été développé plus haut, le masque laryngé reste une alternative à l’intubation difficile dans le cadre d’une intervention chirurgicale réglée dont le patient a été parfaitement évalué par les équipes d’anesthésie.
Car il s’agit bien d’un acte anesthésique avec toute la réglementation que cela comporte.
Dans son article D.6144-91 le Code de la santé publique précise :
« Pour tout patient dont l'état nécessite une anesthésie générale ou loco-régionale, les établissements de santé, y compris les structures de soins alternatives à l'hospitalisation, assurent les garanties suivantes :
1º Une consultation préanesthésique, lorsqu'il s'agit d'une intervention programmée ;
2º Les moyens nécessaires à la réalisation de cette anesthésie ;
3º Une surveillance continue après l'intervention ;
4º Une organisation permettant de faire face à tout moment à une complication liée à l'intervention ou à l'anesthésie effectuées »
Il n’est pas toujours aisé, en situation pré hospitalière, de faire face aux complications.
Une des complications les plus redoutées lors de la pose d’un masque laryngé est la régurgitation sans accès aux voies aériennes. En l’absence d’un « expert » en intubation orotrachéale immédiatement disponible, voilà une situation difficilement gérable sur le terrain et pouvant être préjudiciable aux intervenants.
Cette alternative à l’intubation qu’est le masque laryngé s’adresse à des patients dont l’intubation a été considérée comme difficile, non pas à des intervenants qui considéreraient la pose du masque laryngé plus simple que l’intubation….
Un rapport d’experts de la SFAR de 1996 (Intubation Difficile.- Expertise collective-1996 texte publié dans les Annales Françaises d’Anesthésie-Réanimation 1996 ; 15 : 204-214) insiste sur les risques potentiels et réels de la pose du ML surtout en situation pré hospitalière, insiste également sur la compétence et la formation des praticiens par rapport à ce matériel.
Un autre texte de 1999 (Quel accès de voies aériennes en cas d’intubation difficile du patient dans le cadre de la réanimation pré hospitalière. – Médecine d’Urgence 1999 ; p 49-62. Elsevier, Paris, et SFAR) complète le rapport d’expertise de 1996 et conclu en ces termes :
« Le masque laryngé ne remplace donc pas et ne peut pas remplacer l'intubation endotrachéale, mais peut-être permet-il en situation d'urgence pré hospitalière de l'attendre. Il doit encore rester dans ce type de circonstances d'un strict usage médical après une formation hospitalière conséquente ».
La formation est également un élément déterminant dans la mise en place d’un masque laryngé.
Les médecins urgentistes participant à l’Aide Médicale Urgente doivent valider une formation spécifique (CAMU) pour continuer à travailler dans ce domaine médical.
Ainsi l’article D.6124-1 de CSP dispose que :
« Les médecins d'une structure de médecine d'urgence sont titulaires du diplôme d'études spécialisées complémentaires en médecine d'urgence ou sont praticiens hospitaliers de médecine polyvalente d'urgence.
Les médecins titulaires d'un diplôme sanctionnant une formation universitaire en médecine d'urgence ou les médecins justifiant d'une expérience professionnelle équivalente à au moins trois ans dans un service ou une structure de médecine d'urgence peuvent également exercer leur fonction dans une structure de médecine d'urgence.
D'autres médecins peuvent également exercer leurs fonctions au sein de cette structure, dès lors qu'ils s'engagent corrélativement dans une formation universitaire en médecine d'urgence. Cette dernière condition n'est pas exigée des personnels enseignants et hospitaliers qui participent à l'enseignement en médecine d'urgence.
En outre, tout médecin peut participer à la continuité des soins de la structure de médecine d'urgence après inscription au tableau de service validé par le responsable ou le coordonnateur de la structure.
Des dispositions spécifiques, précisées à l'article D. 6124-26-3, sont applicables aux structures des urgences pédiatriques mentionnées au 3° de l'article R. 6123-1. »
Au cours de cette formation universitaire ces praticiens sont tenus, afin de valider leurs modules, de réaliser un stage au Bloc Opératoire. C’est durant cette période, encadrés par des équipes d’anesthésistes, ils apprendront, entre autre, la pose du masque laryngé, ses contres indications et difficultés de mise en place.
En ce qui concerne le personnel paramédical, seuls les Infirmiers anesthésistes peuvent être autoriser à poser ces dispositifs car ils en ont reçu la formation durant leurs cursus (arrêté du 17 janvier 2002 relatif aux études conduisant au diplôme d’état d’infirmier anesthésiste.- Annexe II-1.3 techniques.-oxygénation normobare.- ventilation peranesthésique : le masque laryngé et autre ;).
Cette autorisation est assujettie à un protocole établi par un médecin anesthésiste réanimateur en conformité avec les articles D 6124-94 et R 4311-12 du CSP.
Quant aux infirmiers DE, ils ne peuvent aucun cas prétendre à la pose de ce matériel quelque soit le contexte dans lequel ils se trouvent.
L’arrêté du 23 mars 1992 relatif aux études conduisant au diplôme d’état d’infirmier ne prévoit aucunement cet enseignement.
Il est certes, possible, que durant leur cursus, le masque laryngé soit présenté aux étudiants infirmiers dans le cadre du module « réanimation ». Cependant aucun apprentissage pratique n’est envisagé.
En conclusion, la pose du masque laryngé, hors du contexte anesthésique, reste un acte médical placé sous la stricte responsabilité du praticien qui décide de sa pose. Il en connaît les contres indications, les risques et réalisera cet acte en toute connaissance de cause.
Il convient d’attirer toute l’attention sur les risques pour un infirmier DE ou un Sapeur Pompier acceptent de les prendre. Ils s’exposeraient, en cas de dommage à la victime, à des poursuites judiciaires qui engageront inévitablement leur responsabilité pénale au titre des articles 222.19 « coups et blessures involontaires » et 223.1 « mise en danger d’autrui » du code pénal :
Article 222.19 du code pénal : « le fait de causer à autrui, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, une incapacité totale de travail pendant plus de trois mois est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30000€ d'amende. »
Article 223-1 du code pénal : « Le fait d'exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement est puni d'un an d'emprisonnement et de 15000€ d'amende. »
Outre passer ces compétences présente toujours le risque de mettre en danger une victime. Tout professionnel doit toutes les fois évaluer les bénéfices et risques de son intervention. Dès lors que la victime est en danger face à une pratique, un geste, il est fortement recommander de s’abstenir.
A défaut, des poursuites judiciaires pourraient être engagées pour réparation du préjudice subi par la victime.
Bibliographie
- F Adnet, Contrôle des voies aériennes en urgence, Arnette 2002.
Notes
- [1] JL Bourgain, Complications du masque laryngé, Conférences d'actualisation 1998, p. 205-216 © 1998 Elsevier, Paris, et SFAR.
- [2] F Adnet, M Galinski, F Lapostolle, Intubation difficile en urgence, Conférences d'actualisation 2003, p. 443-456. © 2003 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Vincent ELMER HAERRIG
vincent.elmer@infirmiers.com
Infirmier anesthésiste D.E.
Pierre LEMAIRE
Pierre.lemaire@infirmiers.com
Infirmier anesthésiste D.E.
Consultant en Droit de Santé
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