« Aujourd’hui, l’alternance est une activité émergente au sein de nos secteurs. Mais le potentiel de croissance reste encore très important », indique en préambule Jean-Pierre Delfino, directeur général de l’OPCO Santé*, lors du “Grand live de l’alternance dans le secteur privé de la santé” qui restituait une synthèse des débats ayant eu lieu en région sur cette thématique en 2022. En effet, en 2018, préalablement à la création de l’OPCO Santé, le périmètre de l’alternance était quasi anecdotique dans le secteur privé de la santé ; on y comptait seulement quelque 2 500 contrats (contrats d’apprentissage et de professionnalisation confondus) la plupart dans le secteur santé privé commercial, et ce « alors même qu’historiquement la volonté des partenaires sociaux avait été de développer l’apprentissage en réservant une partie de leurs ressources pour financer ce dispositif ».
+91 % de progression entre 2020 et 2022 du nombre de contrats d’apprentissage et près de 17 500 contrats signés en 2022
Mais en 2018, la loi “Avenir professionnel” est venue quelque peu changer la donne. Résultat : +91 % de progression entre 2020 et 2022 du nombre de contrats d’apprentissage et près de 17 500 contrats signés en 2022 tous dispositifs confondus (d’apprentissage et de professionnalisation, sachant que les premiers sont de très loin majoritaires).
Dans la branche de l’hospitalisation privée et du thermalisme, la certification d’aide-soignant est celle la plus obtenue par l’apprentissage, suivie de celle de management des organisations et d’infirmier. À noter : « Les deux niveaux de certification les plus plébiscités par l’apprentissage sont le niveau 4 (36% – du fait notamment de la réingénierie du diplôme d’aide-soignant passé du niveau 5 au niveau 4) ainsi que le niveau 6 et plus (infirmier, éducateur spécialisé, masseur-kiné…) », détaille Sylviane Leclercq, responsable Alternance et partenariats de l’opérateur de compétences des professionnels de la santé.
Des freins d’abord d’ordre financier
Reste que si progression il y a, des freins sont encore largement à lever pour faire en sorte que cette voie d’excellence se pérennise dans le champ de l’OPCO Santé. Et d’abord des freins d’ordre financier. D’une part, certaines formations, comme celle d’IDE, sont réglementées. Ce qui impose la nécessité de tuteurs et empêche la réalisation de missions de soins puisque les apprentis ne sont pas encore diplômés. D’autre part, certaines sont longues (36 mois pour celle d’infirmier, 18 mois pour les aides-soignants) et coûteuses. On ne sait pas non plus à ce jour si l’aide exceptionnelle pour le recrutement d’un alternant (6 000 euros depuis janvier), conditionnée pour les entreprises de plus de 250 salariés, sera reconduite ou non après le bilan qui en sera fait. Une deuxième baisse coût/contrat est également attendue en juillet prochain. À noter : pour le diplôme d’IBODE, éligible à l’apprentissage depuis près d’un an et demi, le niveau de prise en charge ne sera défini qu’en janvier 2024.
Autre problématique : la Pro-A, un dispositif de promotion ou de reconversion par l’alternance – limité à deux ans, réservé aux détenteurs d’une certification de niveau bac+2 maximum – qui monte réellement en puissance mais qui n’est pas suffisamment doté. Alors même que bon nombre de formations sont, comme déjà mentionné, longues et coûteuses (péréquation à 3000 € alors que le coût moyen d’un parcours est de 25 000 € ; jusqu’à 120 000 € pour la formation IDE dans le champ sanitaire). Et Fabienne Séguenot, secrétaire de la commission Alternance de l’OPCO Santé, d’enfoncer le clou : « On a un budget de 18 millions d’euros sur le périmètre de l’OPCO Santé en 2023 pour couvrir les besoins d’évolution professionnelle de plus d’un million de salariés. Il faut revoir a minima les règles de péréquation simplement pour tenir compte des spécificités du secteur où l’on est sur des professions réglementées, donc longues et coûteuses ».
Quid également de la pérennisation du financement d’autres postes de frais tels l’aide à l’exercice de la fonction tutorale, la formation aux tuteurs et maîtres d’apprentissage, des subventions à l’investissement des centres de formation d’apprentis (CFA), ou encore de la prise en charge des frais de transport qui varient d’un territoire à un autre selon le type de contrat?
Des limitations règlementaires
Les freins sont également réglementaires. Tout d’abord, les référentiels existants, à quelques exceptions près, ne sont pas pensés pour l’alternance. Pour Lydia Cousinet, directrice développement, qualité et partenariats au sein de l’ADAFORSS, cela induit « deux difficultés majeures : les calendriers de formation ne prévoient pas l’alternance, ce sont donc des quotas d’heures et non une alternance. Par exemple pour la formation infirmière, c’est 305 heures/an et 10 semaines de stage obligatoires le tout devant être calé dans un cadre déjà contraint et figé avec les éléments théoriques et les stages ». Du coup, « les “temps employeur” sont “bricolés” et parfois calés pendant les vacances scolaires et/ou les week-ends, ce qui n’est optimal ni pour les apprentis ni pour les employeurs. »
« Un IFSI de la région PACA a innové en proposant une présence de l’apprenti tous les jeudis ou vendredis chez l’employeur, ce qui est profitable pour les deux. Cela suppose néanmoins une réingénierie dans l’organisation de l’IFSI pour caler tous ces “temps employeur” dans la théorie et dans les stages prévus », relève Lydia CousinetIfas/Ifsi à Bordeaux
D’un inconvénient en faire un atout, telle est la volonté affichée par l’équipe pédagogique du Centre de formation professionnelle de Bordeaux-Nord Aquitaine (CFPBNA) au sein duquel le parcours IDE s’effectue depuis septembre 2022 en apprentissage dès la première année (avec dix places financées par la région) : «Faute de pouvoir réaliser des soins ou d’exercer la fonction d’aide-soignant, l’objectif est de revenir sur certains fondamentaux ; les apprentis IDE se concentrent [au sein des établissements employeurs accueillant ces alternants, Ndlr] sur les parcours patients (admissions, accueil, identitovigilance, brancardage, accompagnement à l’imagerie médicale…)», explicite Raphaëlle Beaumont, coordinatrice administrative, pédagogique et financière du Centre. Un accompagnement apprécié par les équipes en poste.
Des agendas de certification retardés
Autre difficulté avec les agendas de certification et de jury. Les délais de diplomation restent en effet longs, faute de jurys suffisants même s’il l’on peut pointer çà et là les efforts faits l’an passé pour une délivrance rapide des diplômes pour certaines formations ou encore des sorties différenciées pour quelques écoles. « Sur notre territoire, nous savons des sorties d’IFSI au 10 juillet, donc a priori disponibles pour les remplacements d’été mais dans la réalité certains jeunes diplômés aspirent à des congés après leur parcours de formation et ne sont donc pas toujours disponibles après l’obtention de leur diplôme », a constaté Jean-Marc Le Ravallec, directeur délégué du centre mutualiste de Kerpape. Dès lors, s’est-il interrogé, « Pourquoi ne pas avancer les sorties d’écoles au printemps par exemple de sorte que les jeunes diplômés soient davantage disponibles pour les remplacements d’été ? ».
Relever la limite d’âge au-delà de 29 ans serait un un levier d’attractivité et un moyen de gestion de carrière pour les employeurs
La limite d’âge (29 ans depuis 2018 contre 25 ans précédemment) est une autre problématique réglementaire. Pour L. Cousinet, « Autoriser l’apprentissage au-delà de cet âge permettrait d’attirer des profils différents avec des opportunités pour des professionnels bloqués en interne (par exemple un aide-soignant avec plus de dix ans d’exercice). Cela serait un levier d’attractivité et un moyen de gestion de carrière pour les employeurs ».
Quid encore du manque de souplesse du contrat de professionnalisation (dispositif difficile à mobiliser car assez restrictif avec des critères d’âge – de 26 ans, une durée maximale de deux ans…) ou de la variété du nombre de terrains de stages parfois très limité sur certains territoires ? À ce propos, notons l’initiative de l’ARS Grand-Est qui a mis en place un dispositif de coordinateurs de stages, lequel avait « dans un premier temps pour objectif de faire face aux augmentations de capacités d’accueil et de quotas dans les formations sanitaires » indique Valérie Nurdin, chargée de mission au sein de l’agence. Les missions des douze coordinateurs (pour douze groupements hospitaliers de territoires – GHT) déjà recrutés depuis 2020 consistent « à effectuer une cartographie des offres de stages par GHT (état des lieux pour les alternants et les étudiants) à les mutualiser, à identifier de potentiels nouveaux terrains de stage (maisons de santé, cabinets infirmiers…) mais aussi à travailler à l’attractivité de ces terrains de stage (en matière d’accueil et de formation des maîtres d’apprentissage et tuteurs de stages ». Et d’ajouter : « En attendant l’évaluation du dispositif, la plus-value apportée a été exprimée par l’ensemble des partenaires (+25% de places sur le parcours IDE, 100% sur le parcours AS). Mais un relais de financement est nécessaire pour pérenniser ces postes (après 2024) dans les établissements sanitaires ».
Certains parcours de formation pourraient être adaptés et raccourcis. C’est le cas du parcours de formation IDE qui pourrait l’être pour les aides-soignants en poste et dont les discussions entre branches, OPCO concernées, fédérations d’employeurs sont engagées depuis plus d’un an : « Ce projet, porté par la DGOS, concernerait des aides-soignants en poste depuis au moins trois ans et qui bénéficieraient d’une expérience sur plusieurs secteurs d’activité (sanitaire, personnes âgées/handicapées…). […] On leur permettrait de bénéficier d’un parcours allégé avec sur la première année un temps de formation de six semaines (séquencé pour faciliter le remplacement des stagiaires : un jour tous les x/semaines ou une semaine tous les deux mois) et qui serait suivi de deux années de formation classique dans le parcours d’IDE (les années 2 et 3 seraient financées par le biais du dispositif Pro-A voire du contrat d’apprentissage avec suspension du CDI). La mise en place d’une phase pilote est attendue dans les meilleurs délais », précise Catherine Pageaux, directrice appui aux branches, OPCO Santé.
Un appel à « plus de simplicité » et des perspectives d’évolution de carrière
Finalement, ces divers freins relevés témoignent de la complexité de l’écosystème dans lequel évoluent les acteurs de l’OPCO Santé. D’où « l’appel à plus de simplicité » lancé par son directeur général, un appel « nécessaire » afin de réussir à […] « changer d’échelle » au vu des perspectives de recrutement à l’horizon 2025 (100 000 emplois versus 17 500 alternants aujourd’hui). Et Jean-Pierre Delfino de poursuivre : « Je suis convaincu que l’alternance va prendre une part de plus en plus importante comme voie d’accès privilégiée aux métiers de nos secteurs. Pour autant, les enjeux de massification reposent sur des enjeux de simplification, lesquels permettent de rendre le système plus lisible, plus simple pour les acteurs ». Autre enjeu évoqué en perspectives : la proposition de « solutions de progression professionnelle pour les salariés déjà en poste ».
Tout au long du mois d’avril, l’OPCO Santé promeut l’alternance dans les métiers du soin et de l’accompagnement.
Parmi les trois webinaires à destination des jeunes et de leurs familles, l’un a été consacré à “L’alternance dans les métiers du soin : aide-soignant et infirmier”
https://www.opco-sante.fr/alternance-grandpublic
D’autres actions envers des publics plus âgés et en reconversion seront organisées. Au second semestre notamment, l’OPCO Santé va intégrer sur son site internet des contenus dédiés à cette cible. À noter également sa participation au Salon “Nouvelle vie pro” qui aura lieu le 21 novembre prochain à Paris (Espace Champerret).
Pour en savoir plus : https://www.opco-sante.fr/
*L’OPCO Santé englobe quatre secteurs : sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif ; services de santé au travail interentreprises (SSTI) ; hospitalisation privée et thermalisme
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