C'est au début de l'année 2006 que fut lancé dans mon institution hospitalière l'idée d'un dossier informatisé. En tant qu'infirmière coordinatrice de projets pour le département infirmier, ma mission est d'organiser la réflexion et la mise en place d'un contenu structuré. Le dossier sera développé en partenariat avec une société d'informatique, ce qui nous apportera une très grande souplesse en matière de fonctionnalités.
Les points essentiels à cette réflexion sont :
- faciliter la saisie des données d'observation,
- éviter autant que possible le texte libre,
- amener les soignants à utiliser un langage commun, tout en décrivant leur raisonnement clinique.
Le point de départ du projet a été la recherche des besoins et des outils qui seront intégrés dans un logiciel informatique dont les informations sont structurées dans une base de données. Les besoins définis sont conséquents car la démarche en soins est une succession d'étapes qui engage le soignant dans un processus de résolution de problèmes, processus dynamique où les étapes tributaires les unes des autres se succèdent en fonction de l'évolution de l'état de santé de la personne soignée.
1. Choisir un modèle
Le modèle conceptuel de Virginia Henderson étant largement répandu au sein de l’enseignement belge, notre choix c’est naturellement porté vers celui-ci. Nos données de bilan sont structurées selon les 14 besoins fondamentaux de l’individu et des zones de dépendances consécutives à la maladie que présente la personne. La complétion et l’introduction des données ont été réalisées selon des schémas bien précis, tirés d’une littérature diverses et sur base de l’expertise du terrain. C’est dans un même raisonnement que nous avons documenté l’ensemble des fenêtres de saisie contenues dans le dossier.
2. Choisir les outils de démarche
Le choix des outils nécessaire à la démarche a fait l’objet d’une longue réflexion [1]. Le choix des problèmes infirmiers s’est tout naturellement tourné vers la classification de la NANDA, auxquels nous avons ajoutés des problèmes à traiter en collaboration [2]. Le choix d’utiliser ces deux concepts dans un même écran, rend la vue globalisée plus pratique pour l’infirmière. En ce qui concerne l’activité infirmière, les classifications NIC et NOC [3] de l’Iowa Intervention Project nous sont rapidement apparues comme un maître choix, par leur structuration et les liens créés avec les diagnostics infirmiers. On y retrouve l’essentiel de l’activité infirmière, elles sont codifiées et elles permettent une utilisation aisée en base de données. Les interventions classées selon une taxonomie validée, englobent aussi bien l’activité infirmière autonome que celle sur prescription médicale, elles couvrent tous les domaines des soins et concerne la personne, la famille, la collectivité.
Malheureusement l’utilisation tel quel de la classification nous est apparue impossible, car si la formulation est proche du langage habituel des infirmières, le contenu des interventions a une approche procédurière, formative. Certaines interventions sont non-conformes à la profession et la législation de notre pays. Utiliser l’ensemble du contenu des interventions tel quel est impossible pour l’utilisateur du dossier de soin qui doit avoir une vue rapide et globale sous forme de diagramme de soins. Dans notre dossier les NIC se présentent sous l’aspect d’actes à prester qui découlent des interventions et alimentent le planning de soins du patient. C'est-à-dire que nous avons relevé dans l’ensemble de chaque intervention les activités que l’infirmière à besoin de planifier dans son dossier et nous leurs avons donné un libellé court. Toutes les activités à prester possèdent un contenu structuré qui permet aux soignants de décrire ses observations et ses actions non planifiables. Ce qui donne une vue plus synthétique qui convient mieux aux professionnels. Les contenus des interventions restent bien entendu une référence pour les procédures et l’aspect formation.
Exemple :
- Intervention : 1E_1400 Conduite à tenir devant la douleur
- Apaisement de la douleur ou diminution de la douleur à un seuil tolérable par le patient.
- Activités à prester (en vert les libellés courts utilisés):
- Réaliser une évaluation globale de la douleur localisation, caractéristiques, début, durée, fréquence, qualité, intensité/sévérité de la douleur et de ses facteurs déclenchants. => suivre douleur
- Donner des informations concernant la douleur, ses causes, sa durée escomptée ainsi que sur la douleur liée aux procédures réalisées. => éduquer sur la douleur
- Mettre en oeuvre un système d'analgésie contrôlée par le patient (PCA) si besoin. => suivre PCA
- S'assurer que le patient a reçu des antalgiques et/ou des stratégies non-pharmacologiques avant de réaliser des procédures douloureuses. => donner antidouleur avant le soin
Copie d’écran reprenant le contenu de l’activité « suivre la douleur »
3. Créer les règles de déduction
Afin d’aider l’infirmière dans la retranscription de sa démarche en soins, nous avons créé des règles de déduction entre données et diagnostics. Le logiciel est de ce fait capable de proposer des hypothèses diagnostiques qui seront analysées par l’infirmière et validées ou non en fonction du degré de pertinence. Il est un guide pour la réalisation d’un plan de soins individualisé. Ces plans de soins, permettent l’orchestration et la mise en œuvre des actions infirmières qui alimentent le planning de soins. L’évaluation des résultats et des actions permettent le réajustement des soins.
4. Créer les plans de soins de référence et plans de soins guide
Dans un but qualitatif de soins et de contenu de dossier, on ne peut pas se limiter aux outils précités. La réalisation de plans de soins de référence [4] et de plans de soins guide [5] est apparue comme incontournable. Avec l’ensemble des équipes, nous avons réalisé des plans de soins de référence basés sur les différentes populations rencontrées au sein de l’établissement. Les critères définissants la population sont la discipline, le motif d’hospitalisation, l’âge et le sexe du patient. Ces plans de soins nous ont permis d’écrire nos pratiques et d’établir des consensus de base au sein du personnel des soins. Par l’écriture de ses pratiques l’infirmière professionnalise son dossier et entre dans une démarche qualitative par l’analyse, la recherche des bonnes pratiques et l’évaluation de celle-ci.
Pour la mise en pratique, la difficulté majeure de ce projet résidait dans le fait que le personnel de l’institution était peu enclin et peu formé à l’utilisation de la démarche en soins. La mise en pratique dans le dossier informatisé a certainement été un élément de réussite. L’utilisation de ces outils d’aide au raisonnement que sont les propositions d’hypothèses diagnostics, les différents plans de soins ainsi que les interventions et résultats, ont permis aux utilisateurs du dossier une approche très didactique. L’apprentissage se fait progressivement avec en tout premier lieu l’appropriation du langage, l’approche des différents concepts, l’analyse du raisonnement clinique et la restitution de celui-ci dans le dossier. L’infirmière peut ensuite utiliser les informations contenues dans le dossier pour les analyser de manière objective, revoir qualitativement ses pratiques et entrer dans une spirale d’amélioration. La formation, l’accompagnement à la rédaction et à l’utilisation de cette démarche en soins sont un enjeu important pour l’appropriation et l’acceptation.
Quelles sont les conclusions après 18 mois d’utilisation du dossier de soins ? Nous pouvons observer une nette évolution dans l’utilisation et la connaissance des outils. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le personnel s’est rapidement approprié le langage et l’utilise actuellement de manière courante. L’analyse et l’évaluation des contenus s’effectuent au jour le jour, les utilisateurs sont entrés dans un système de dialogue et de concertation concernant le choix et la pertinence des diagnostics ainsi que des interventions qui en découlent. Si le dossier de soins guide l’utilisateur dans le choix et l’expression de son raisonnement clinique, la formation continue sur le fond de la démarche reste néanmoins très importante et doit-être adaptée de manière progressive en parallèle aux différents degrés d’acquisition.
Notes
[1] L’utilisation de J. Carpénito est très largement répandue dans les écoles belges.
[2] Les problèmes traités en collaboration sont « certaines » complications physiologiques que les infirmiers surveillent pour en détecter l’apparition ou le changement d’état. Les infirmiers gèrent ces problèmes en utilisant des interventions prescrites par le médecin ou dépendant du domaine des soins infirmiers pour minimiser les complications des situations rencontrées.
[3] La classification des interventions de soins infirmiers permet par un langage commun de décrire la pratique dans les différents champs d’exercices de la profession. Composée de 433 interventions en liens avec les diagnostics infirmiers. Chacune comprenant une codification, une définition et la liste des activités de soins qui peuvent également servir de trame à la rédaction de procédures.
La classification des résultats de soins infirmiers constitue un cadre de référence, non exhaustif de données observables et quantifiables. Ils permettent de confirmer ou d’infirmer les choix de diagnostics et d’interventions et favorisent le suivi pertinent. Composé de 190 intitulés de résultats centrés sur le patient et en liens avec les diagnostics infirmiers.
[4] Le plan de soins de référence ou plan de soins standard est un document de référence et un outil de travail dans lequel l’infirmière trouve des listes d’objectifs et d’interventions s’appliquant aux problèmes de soins infirmiers que peuvent présenter un groupe particulier de personnes. Il permet d’aborder et de soigner systématiquement le patient atteint d’une affection déterminée, ils sont un guide mais jamais un plan de soins tout fait et sont spécifiques aux institutions où sont repris dans des publications. Le plan de soins de référence reprend les problèmes (diagnostics infirmiers et problèmes en collaboration) fréquemment rencontrés pour un patient.
[5] Le plan de soins guide est un support de transmissions d’informations qui regroupe les mêmes éléments que le plan de soins, mais ces données sont préétablies au regard d’un diagnostic infirmier, d’un profil type de patient et d’une pratique de soins donnés déterminée. Il permet la formalisation des différentes étapes de la démarche en soins, ciblées autour d’un diagnostic infirmier prédéfini. Il reprend le titre du diagnostic dans un contexte précis, la définition de ce diagnostic, les facteurs de risque, les résultats et les interventions habituelles dans l’unité pour gérer ce type de problème. Le plan de soins guide est élaboré après le consensus d’équipe, à partir de l’analyse d’une problématique de soins liée à un diagnostic infirmier le plus souvent rencontré dans le secteur d’activités. Il assure la traçabilité des différentes étapes de la démarche en soins infirmiers, permet l’évaluation qualitative des soins infirmiers dispensés, facilité l’évaluation quantitative de la charge en soins infirmiers et constitue une part importante des bases de données pour l’informatisation du dossier.
Bibliographie
- Le plan de soins guide Charrier Joëlle et Ritter Brigitte Masson Edition 1999.
- Diagnostics infirmiers Lynda Juall Carpénito Masson Edition 1995.
- Classification des interventions de soins infirmiers JC Mc Closkey GM Bulecheck Masson Edition 2000
- Classification des résultats de soins infirmiers M. Johnson & M Maas Masson Edition 1999
Webographie Infirmiers.com
Carole QUINTENS
Coordinatrice de projets au Département Infirmier
Coordinatrice itinéraires cliniques
ICAN
Clinique & Maternité Sainte Elisabeth
Place Louise Godin, 15
5000 NAMUR
carole.quintens@cmsenamur.be
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