Tu as commencé comme infirmier. Pendant combien de temps ?
Jusqu’à l’âge de 19 ans, j’ai vécu à Marly-Gomont, où mon père était médecin. Après le bac, j’ai d’abord été en fac de médecine à Lille, mais je n’allais pas aux cours… puis j’ai fait mes études d’infirmier à Calais (j’ai un diplôme d’État d’infirmier général). Je suis reparti à Lille pour bosser, mais pas longtemps, un an et demi, parce que le succès artistique est arrivé très rapidement. J’ai fait plein de missions intérimaires, en chirurgie cardiaque, aux urgences, puis surtout en psychiatrie. J’étais titulaire en maison d’accueil spécialisée.
Pourquoi la psychiatrie ?
J’aime bien le rapport avec les gens, les patients et les équipes. Les professionnels de santé ont un rapport plus simple, plus détendu que dans les autres services. Par exemple, aux urgences, personne ne te répond quand tu dis bonjour. Je ne leur en veux pas, je crois que c’est leur travail qui les rend comme ça. En psychiatrie, on rigole plus, les équipes sont plus chaleureuses, même si la fatigue émotionnelle est plus lourde. J’ai beaucoup bossé la nuit pour cette raison aussi : quels que soient les services, les équipes de nuit sont plus cool que les équipes de jour, on est moins surveillé, il y a moins de pression.
Ton clip Psychostar Show a été très critiqué. Certains y ont vu une attaque contre la psychiatrie.
Ils n’ont rien compris. Le clip démarrait très bien, mais un type a téléphoné aux chaînes musicales en les menaçant de porter plainte : il trouvait honteux ce que je faisais. Les chaînes n’ont pas voulu prendre de risque et ont arrêté la diffusion. Mais en fait, le clip, c’est l’histoire d’un patient parano qui a dû trop regarder la télé. Il s’imagine que les caméras du service hospitalier retransmettent ce qu’il fait dans le monde entier, que ça fait partie d’une émission où on vote pour éliminer des gens. Tout se passe dans la tête de ce type, c’est quand l’infirmier tape sur la table qu’il se réveille. Il y a des images violentes parce qu’un paranoïaque est vraiment oppressé et croit vraiment à son délire. Mais en regardant bien les images, on s’aperçoit que le service est bien tenu, les gens se comportent bien. Je voulais juste montrer que la pathologie, c’est dur à vivre et que la psychiatrie, c’est dur à exercer. Je voulais montrer la souffrance, mais ça a été mal interprété, tant pis !
C’est comme J’suis blanc : il y a des gens qui disent que je suis raciste. Alors que je veux juste montrer la stupidité absolue des préjugés, aussi bien des Blancs sur les Noirs, que des Noirs sur les Blancs, des Blancs sur les Blancs et des Noirs sur les Noirs ! ou comme Marly-Gomont : certains m’ont dit que c’était honteux de se moquer de la Picardie. Ce sont les mêmes qui viennent me féliciter 6 mois plus tard, parce que Marly-Gomont est connu même aux Etats-Unis et au Japon !
L’art, ça réveille les gens, ça les perturbe, ça les dérange. Mais c’est ce qui est bien.
L’art, c’est montrer les choses comme elles sont ?
C’est aussi ça. Marly-Gomont, c’est aussi parler de gens dont on ne parle jamais, des gens simples, authentiques, qui vivent dans des petits villages. Si je devais refaire le clip aujourd’hui, je le tournerais de la même façon, avec peut-être une lumière de meilleure qualité, mais pas de plans en hélicoptère ou en soucoupe volante, je n’en vois pas l’utilité. C’est une histoire simple tournée simplement, dans un village où les gens me connaissent bien, ils m’ont vu grandir, je suis le fils du médecin. J’ai demandé aux gens de faire des mouvements de danse devant la caméra, certains ont accepté, d’autres non, dommage ! Mais c’est marrant qu’un papy dise « pas de problème » avec son cœur, naturellement, avec un geste qui, même s’il est maladroit, au final est beau. Ça a un côté décalé, mais ce que tu es, être soi-même, à un moment c’est toujours décalé.
Quand je fais un clip ou que j’écris une chanson, je ne me dis pas que je vais montrer ça, ça et ça. Je suis d’abord un auteur-compositeur qui a en plus la chance de savoir faire des images.
Qu’est-ce que c’est le racisme en France, aujourd’hui ?
Il y a plusieurs type de racismes, il y a une échelle de violence dans le racisme et plus il est violent plus il est destructeur.
C’est d’être emmerdé de la maternelle au lycée parce que tu es Black par des gens que tu connais bien et qui te traitent de singe, de noiraud, de ce que tu voudras, et tout le monde se marre. Ça fait mal quand on est petit, parce que tu n’as rien demandé à personne, t’es pas relou, tu ne bavardes pas en cours, tu bosses bien, tu fais tout ce que ton père te dit pour ne pas avoir de problème, tu joues au foot avec les autres, tu danses aux fêtes de fin d’année, mais non ! ça n’est pas suffisant, il y a toujours des gens pour venir t’emmerder. C’est un racisme primaire, ça n’a rien d’idéologique, à la Le Pen.
L’être humain a du mal à évoluer psychiquement et psychologiquement car même les enfants se montrent machiavéliques lorsqu’ils s’amusent à écarteler une fourmi, à écraser une mouche, ou autre insecte au lieu d’être tout simplement émerveillés par la vie ; par toutes formes de vie. Nous avons du mauvais en nous. Mais tout est possible, il y a des gens très méchants, mais aussi des gens très gentils. Pour qu’on ait de bonnes pensées les uns envers les autres, ça prendra encore quelques siècles.
Un jour, je suis aussi tombé sur une cassette vidéo « De Nuremberg à Nuremberg » qui montre les horreurs de la guerre 39-45 ! J’ai compris qu’heureusement, je ne vivais pas toutes ces horreurs et que le racisme que je subissai n’était pas aussi virulent ! Avec les films américains aussi, je me suis rendu compte de ce qu’est la véritable haine, le racisme du Ku Klux Klan. On n’en est pas là en France. Il y a une grande majorité de choses absurdes dans la vie, ça en fait partie. C’est comme de dire que la colonisation, ça a été bénéfique, en oubliant les millions de morts. C’est absurde. Mais on ne peut pas lutter contre l’absurdité.
Est-ce que tu pourrais redevenir infirmier ?
Non. Ce qui m’intéresse, c’est l’être humain, sa manière de penser, d’agir, de ne pas supporter les frustrations. Aujourd’hui, si je devais arrêter la musique, j’aurais plutôt envie d’approfondir mes connaissances en recommençant des études. Faire psychiatre, par exemple. Avec l’argent que j’ai gagné, ça ne serait pas un problème. C’est un truc que j’aime bien dire : on a la chance d’être en France, dans un beau pays, où même si tout le monde ne peut pas faire d’études, on peut les faire à n’importe quel âge, ce que les jeunes ne savent pas forcément. C’est stupide de ne pas le faire si on veut le faire. Il suffit de bien bosser.
Au début de Marly-Gomont, j’ai continué à bosser comme infirmier parce que je ne gagnais pas d’argent. Mais même après j’ai continué longtemps, parce que le succès m’était tombé dessus d’un seul coup et que je ne voulais pas décrocher du réel.
Décrocher du réel ?
Comme tous les artistes, je croyais dans mon projet, mais je pensais que les étapes avant un succès national seraient plus longues. Je me disais qu’il faudrait d’abord faire de la scène et être connu au niveau régional. D’un seul coup, quand tu sors en ville, les gens te montrent : « c’est lui ! c’est lui ! » et les collègues de travail viennent avec leurs enfants, alors que ça fait un an qu’on bosse ensemble. Je me suis dit : « Pas question de prendre la grosse tête ! » Mais tout change autour de toi, ça n’est pas que toi qui changes. Pendant un an, j’ai bossé la nuit comme infirmier et la journée, j’avais des rendez-vous à Paris. Mais je voulais confirmer mon parcours artistique.
Si tu commences à te prendre pour un artiste parce que tu as fait un tube, t’as rien compris. Artiste, c’est un travail, ça n’est pas seulement avoir du talent, c’est l’entretenir. Comme Zizou au foot : il peut avoir la meilleure vision du jeu, la meilleure frappe, le meilleur dribble, s’il ne coure pas ses 15 kms par jour, il ne fait rien sur un terrain. Je me suis entraîné pendant 10 ans avant d’avoir du succès. J’ai confirmé mon parcours, aujourd’hui, j’ai un « statut » d’artiste.
Je ne suis pas décroché du réel. Je sais ce que c’est l’argent, combien coûte une grosse production et pourquoi, ce qu’est le succès, sa fragilité, parce que le public, c’est le paramètre que tu ne maitrises pas. J’ai eu la chance d’arriver dans une conjoncture particulière qui m’a été favorable, je profite d’avoir été le premier à sortir sur internet, mais j’ai aussi bossé dix ans pour ça. Tu ne tiens pas qu’avec la chance. De toute façon, le plus important, c’est mon autosatisfaction par rapport à ce que j’écris. Je peux faire du rap de base sans problème, avec des jeux de mots qui riment à rien. Mais j’ai constamment le souci de la qualité.
Serge CANNASSE
Infirmiers.com / Carnets de santé
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