Fin 2020, plusieurs professionnels de santé ont été nominés par décret et promus à différents grades de l’Ordre national du mérite pour leur action durant la crise au sein du système sanitaire. Parmi eux, l’infirmier libéral Jean-François Bouscarain, décoré il y a quelques jours et que nous avons rencontré.
Après avoir été nominé pour accéder au grade de Chevalier de l’Ordre national du mérite, Jean-François Bouscarain – infirmier héraultais exerçant en libéral depuis 22 ans – a reçu sa distinction le 10 novembre dernier. Il revient pour nous sur cet événement, sa conception du métier et de l’engagement.
Quelle a été votre réaction à l’annonce de votre nomination ?
Bien sûr j’ai été sincèrement touché ; mais en toute franchise, le sentiment qui a dominé lorsque j’ai appris la nouvelle a été la surprise. Je n’en avais pas été informé auparavant, et la découverte a été totale. Dès lors, j’ai pensé aux patients que je soigne depuis près de 25 ans ; j’ai aussi songé aux figures qui m’ont amené à ce métier, à mes références en quelque sorte. Parmi les mentors qui ont éclairé mon parcours, Geneviève de Galard est l’une des figures les plus importantes. En tant qu’ancien infirmier militaire engagé en 1998, dès ma diplomation (IFSI de la Croix Rouge Française à Nîmes), au sein du service de santé des armées en tant que MITHA (militaire infirmier et technicien des hôpitaux des armées), je suis tout d’abord sensible au fait qu’elle ait elle-même exercé au sein des armées. Comme moi chez les Jésuites, cette infirmière a par ailleurs reçu un enseignement religieux chez les sœurs dominicaines. Mais surtout, c'était une femme au caractère bien trempé – surnommée l’ange de Diên Biên Phu et seule femme officiellement présente sur le théâtre militaire indochinois – qui s’est consacrée dès la moitié du 20ème siècle à la prise en soin des blessés de guerre après s’être formée au vol aérien. A la fois symbole d’avant-gardisme et figure de proue de la parité hommes/femmes, elle a tout donné pour ses patients ; 70 ans après, je trouve que son combat n’a pas pris une ride.
Je me définirais comme un fervent défenseur de la démocratie sanitaire
A quoi en particulier dans votre carrière attribuez-vous votre distinction ?
Encore une fois, j’ai reçu cette distinction avec fierté, mais aussi avec étonnement. Ce qui me caractérise comme Geneviève de Galard, c’est d’être particulièrement attaché à la notion de "patient", à la disponibilité qu’on lui consacre en tant que professionnel du soin. Dans mon exercice quotidien d’IDEL, je constate que les patients attendent de leur infirmier de la proximité, de l’écoute et de la disponibilité. Et ce 24h/24, nuit comprise. Pour moi, c’est dans notre ADN de nous organiser pour être en capacité de répondre à cette demande. Comme le SAMU et les pompiers, l’infirmier de famille est le seul qui va jusqu’au domicile du patient. Son rôle sanitaire et social élargi est celui d’un acteur-clé du repérage et de la prévention à domicile de la dépendance, des addictions ou encore des violences intra familiales, mais aussi sentinelle vis-à-vis de l’exclusion et de la vulnérabilité. En ce sens, et comme je le crois pour les infirmiers hospitaliers d’ailleurs, je considère que je suis au service de ma patientèle ; car finalement, ce n’est ni le mode d’exercice ni le statut qui fait la fonction. Dans la conception du métier qui est la mienne priment avant tout les aspects liés à l’équité et à la justesse d’accès aux soins, quelle que soit la personne concernée. Voilà pourquoi je me définirais comme un fervent défenseur de la démocratie sanitaire et de la solidarité en matière de sécurité sociale pour maintenir un accès égal aux soins pour tous.
Agir activement pour l’évolution de la profession nécessite une forme de courage politique
En quoi l’engagement syndical est-il constitutif de votre conception de la profession ?
Sur ce point, mon héritage familial joue un rôle important. Au début du 20ème siècle, certains de mes aïeux (paternels) ont accédé aux fonctions de premier magistrat des communes héraultaises de Lansargues et de Valergues, où je vis moi-même et à la tête de laquelle mon père Jean-Louis a lui-même été réélu comme Maire pour un quatrième mandat en 2020. En ce qui me concerne, mon parcours syndical a débuté dès 2004 en tant que Président du syndicat des infirmiers libéraux (Fédération Nationale des Infirmiers) et s’est poursuivi tout au long de ma carrière pour défendre le rôle des infirmiers libéraux au travers de différentes mandatures en lien avec la FNI et l’ancrage territorial en Occitanie. A ce jour, je suis Vice-président de la conférence nationale des Associations Régionales de Gestion Agréée pour les Professions Libérales (ARAPL) et agis activement pour la vitalité des territoires ruraux, dont j’aime à dire qu’ils sont aussi démunis lorsqu’ils manquent d’un IDEL que lorsqu’ils manquent d’une boulangerie. Je considère que l’engagement syndical est une manière de défendre la profession, que ce soit sur les fondamentaux (salaires…) mais aussi sur le plan plus stratégique (émergence de la pratique avancée, élaboration des CPTS…). C’est un moyen d’être force de proposition, ce qui est essentiel pour faire avancer les choses : agir activement pour l’évolution de la profession nécessite une forme de courage politique, qui manque à certaines décisions, qui me semblent parfois édictées par des dogmes trop vivaces. Je le crois sincèrement comme je crois que c’est ce qui fait de moi un homme libre, qui a certes parfois malmené les institutions mais qui a surtout dit les choses avec conviction et avec cœur.
Je continuerai tout simplement à faire mon métier comme avant, avec le même engagement et les mêmes convictions
De quelle manière cette reconnaissance pourrait-elle influencer votre façon d’exercer votre métier à l’avenir ?
Je suis amoureux de ma profession. Conscient de ce que représente la distinction qui m’a été décernée, je continuerai tout simplement à faire mon métier comme avant, avec le même engagement et les mêmes convictions ; avec technicité, certes, mais aussi avec beaucoup d’intuition et en le considérant comme un art. Lorsqu’il a évoqué les soignants et leur rôle pendant la crise sanitaire, le Chef de l’Etat a parlé des « premiers de cordée ». Je suis de ceux-là ; et c’est d’ailleurs l’un des enseignements de la crise sanitaire, qui a fait réaliser à la population (et pas uniquement les patients) que les soldats auront été présents pour prendre soin d’elle. Je garde à l’esprit que les infirmiers sont un maillon indispensable au système de soin, que leur formation et leurs compétences (sous-utilisées à mon sens) sont des atouts à valoriser dans leur exercice. Être convaincu et appliquer cette philosophie au quotidien contribue à lever les freins qu’une partie de la profession se fixe à elle-même. Il faut qu’elle ait davantage confiance en elle et s’autorise à penser qu’elle peut réussir à faire les choses et aller plus loin. Son attractivité en dépend. Car c’est sans doute ma seule véritable crainte : je ne voudrais pas que cette attractivité, déjà mise à mal, continue de se dégrader. Or prendre soin des infirmiers, c’est prendre soin de la population tout entière.
Propos recueillis par Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
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