Précise, combative, Agnès Buzyn s'est expliquée pendant plus de trois heures mardi 30 juin à l'Assemblée nationale sur sa gestion de la crise sanitaire, niant avoir manqué d'"anticipation" et de "réactivité". Les toutes premières mesures prises, la gestion des stocks, son départ du ministère... l'ancienne ministre des Solidarités et de la Santé s'est défendue pied à pied devant les députés. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale entendra également les prédécesseurs d'Agnès Buzyn depuis 2003 dans les prochains jours : Marisol Touraine et Roselyne Bachelot mercredi 1er juillet, puis Xavier Bertrand jeudi 2 juillet.
Vous ne pouvez pas dire qu'on n'a pas été réactifs
, a martelé Agnès Buzyn devant la commission d'enquête chargée d'évaluer la gestion de l'épidémie. L'anticipation
face à la crise du coronavirus a été sans commune mesure avec les autres pays européens
et toujours en avance
par rapport aux alertes des organisations internationales, a-t-elle assuré, citant les décisions prises avant même que l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) ne déclare l'urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier. L'ex-ministre de la Santé a notamment confirmé avoir alerté l'Elysée et Matignon autour du 11 janvier
, comme elle l'avait évoqué dans une interview polémique accordée au Monde mi-mars. Elle assure avoir ensuite pressenti
dès le 22 janvier la potentielle gravité de l'épidémie, demandant un état de lieux de tous les stocks d'équipements de protection, et notamment de masques, ainsi que du nombre de lits de réanimation et de respirateurs, et avoir lancé une première commande d'un million de masques FFP2, plus protecteurs, absents de stocks stratégiques d'Etat. A l'agence Santé publique France, elle demande d'élaborer trois scénarios d'évolution de l'épidémie
et au consortium de recherche Reacting, de préparer un protocole de recherche
avec les médicaments potentiels déjà disponibles, ajoute-t-elle. Je n'ai à aucun moment sous-estimé le risque et j'ai préparé notre système de santé
avant de quitter le ministère, le 16 février, pour rejoindre la campagne des municipales à Paris, a-t-elle encore affirmé devant la commission d'enquête, qui a déjà entendu tous les directeurs généraux de la Santé depuis 2003 et plusieurs experts et chercheurs.
[DIRECT] @AgnesBuzyn répond aux questions de la commission d'enquête de l'Assemblée sur la gestion de la crise liée à l'épidémie de #Covid_19.
— LCP (@LCP) June 30, 2020
> Suivez l'audition de l'ancienne ministre de la Santé sur LCP/LCP.fr. #Coronavirus #Covid19 #DirectAN #Buzyn https://t.co/HohE194ZvD
Les masques au coeur des préoccupations
Comme lors des précédentes auditions, la question de l'évaporation du stock stratégique d'État de masques de protection a dominé les échanges. En avril 2010, il atteignait 1 milliard de masques chirurgicaux et 700 millions de masques FFP2. Mais après plusieurs années sans achats et un rapport en 2018 concluant que la majorité du stock n'est plus utilisable, début 2020, ce stock est réduit à 117 millions de masques chirurgicaux pour adultes, 40 millions de masques pédiatriques, et plus aucune réserve de FFP2.
"Cette gestion de stocks, elle ne revient pas à un niveau ministre", s'est défendue Agnès Buzyn, affirmant par ailleurs ne pas avoir eu connaissance du courrier adressé par Santé publique France à la Direction générale de la Santé en septembre 2018. Ce courrier soulignait la péremption d'une part importante du stock stratégique d'Etat de masques et recommandait d'en racheter pour renflouer le stock à 1 milliard de masques. Je ne sais pas quelle aurait été ma réaction à cette information. Je ne vais pas refaire l'histoire a posteriori
, a-t-elle répondu face aux relances du rapporteur de la commission Eric Ciotti (LR). En tant que ministre, la vigilance que je dois avoir, c'est sur des dizaines de produits
, a-t-elle argumenté, soulignant que si l'attention s'était a posteriori
portée sur les masques, coronavirus oblige, les comprimés d'iode en cas d'accident nucléaire ou les tenues de protection face au virus Ebola n'étaient pas des sujets moins importants
pour elle. Elle affirme ne pas avoir décidé la destruction des masques jugés non conformes alors que le stock n'avait pas encore été reconstitué, ajoutant toutefois assumer totalement
les décisions de ses services.
"La ministre n'a pas plus connaissance du niveau nécessaire en masques que du niveau en comprimés d'iode (...). Je n'ai pas à savoir la quantité ni disponible ni nécessaire des dizaines voire centaines de produits gérés en réponse au risque sanitaire" dit @agnesbuzyn.#DirectAN pic.twitter.com/vRyoaBUcs2
— LCP (@LCP) June 30, 2020
Critique en creux du rôle de Santé Publique France
La médecin hématologue a toutefois critiqué en creux le rôle de Santé publique France, responsable de la gestion des équipements de protection, en estimant que des interrogations
existaient sur le contrôle des stocks
ces dernières années. Apprendre en 2018 qu'une grande partie des stocks est périmée... Ça nécessite de requestionner comment ça a fonctionné
, a-t-elle avancé.
Sur la question des tests
Sur la question polémique des tests là encore, Agnès Buzyn a largement insisté sur le fait que, selon elle, son ministère avait agi avec suffisamment d'anticipation et de réactivité.
Sur les tests, la France "dernière de la classe" ? "Nous sommes le premier pays en Europe à avoir mis en place les tests", réplique @agnesbuzyn#DirectAN #COVID19 #Buzyn pic.twitter.com/Mxc6bw6cs0
— LCP (@LCP) June 30, 2020
Au moment de son départ, fin février, l’objectif, c’était que tous les hôpitaux français aient accès aux tests. A l’époque, on était sur quelques dizaines de suspicions de cas par jour. (…) On était sur des dizaines de tests par jour
. Toutefois, a-t-elle ajouté, j’avais anticipé le besoin de faire plus de tests
. C’est pour cela que quand je me suis rendu compte que le laboratoire qui faisait des tests [à l’hôpital Bichat] était un laboratoire P3, c’est-à-dire un laboratoire à haut niveau de sécurité, avec très peu de machines, je me suis dit, et j’ai demandé au directeur général de la santé – et une saisine est partie dès le lendemain –, “est-ce qu’on ne peut pas descendre le niveau d’exigence pour faire les tests dans un P2” ? Parce qu’il n’y a pas de P3 dans tous les hôpitaux de France
.
Agnès Buzyn s'est aussi expliquée sur son départ du ministère
Agnès Buzyn avait créé la surprise en quittant précipitamment le ministère le 16 février pour porter les couleurs de La République en marche (LRM) aux élections municipales à Paris. Interrogée sur son départ, elle s’est expliquée :
Je quitte le ministère le 16 février. Il n’y a pas eu de cas nouveaux en France depuis neuf jours. (…) La République en marche n’a plus de candidat à la Mairie de Paris. Moi, j’estime que j’ai fait mon travail de préparation du système de santé. (…) Je quitte le ministère avec le sentiment que j’ai fait la bonne préparation
.
Agnès Buzyn avait créé un tollé en qualifiant le scrutin de mascarade
et assuré qu'elle savai(t) que la vague du tsunami était devant nous
au moment de son départ du ministère, à la mi-février. Ces propos, vous les avez tenus ou non?
, a insisté le rapporteur de la commission Eric Ciotti (LR). J'avais passé une journée épouvantable, j'étais très fatiguée. On m'accusait sur les réseaux sociaux de n'avoir rien vu, et c'est tout le contraire. (...) J'ai tout vu, j'ai préparé. J'ai pressenti un danger bien avant les autres
, s'est défendue Agnès Buzyn.
La commission entendra les prédécesseurs d'Agnès Buzyn depuis 2003 dans les prochains jour : Marisol Touraine et Roselyne Bachelot mercredi 1er juillet, puis Xavier Bertrand jeudi 2 juillet.
Dans les rangs de l'opposition, les dents ont grincé. Jean-Christophe Lagarde, le président du groupe UDI à l'Assemblée, s'est notamment dit scandalisé
par l'audition d'Agnès Buzyn sur Twitter. Si la ministre a vu venir le tsunami, pourquoi avoir quitté le ministère ? Pourquoi la France si bien préparée n'avait-elle pas les masques nécessaires ? De nombreuses questions qui restent pour l'heure sans réponse.
La rédaction d'Infirmiers.com
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