Il aura fallu plus d’une décennie de travail pour que le télésoin soit encadré à son tour par la loi début juin 2021, longtemps après la télémédecine. Lors du Webinaire que lui a consacré la Société Française de Santé Digitale mercredi dernier, l’émotion était palpable pour expliquer aux professionnels concernés les nombreux bénéfices de cette avancée, tant attendue aussi par ceux qui y ont travaillé.
En matière de télésoin, la crise sanitaire aura eu l’avantage de donner un coup de pouce à des réflexions et des expérimentations entamées voilà une bonne dizaine d’années. Si des mesures dérogatoires ont été mises en place jusqu'au 30 septembre prochain pour parer au plus pressé pendant l’épidémie de Covid-19, la parution de textes législatifs1,2 le 3 juin dernier donne officiellement à la pratique ses lettres de noblesse. Retour sur le décryptage qu’en a proposé la Société Française de Santé Digitale (SFSD) le 23 juin à la faveur d’une visioconférence.
Un peu d’histoire
Pour mieux comprendre l’avancée opérée début juin et mesurer les efforts déployés, il faut revenir un peu en arrière. Défini comme l’accompagnement et le suivi à distance d’un patient par un professionnel paramédical ou un pharmacien grâce à des moyens numériques3, le télésoin a été porté par quelques pionniers dès 2008. L’année suivante, la télémédecine (réservée aux médecins, chirurgiens-dentistes et sages-femmes) trouvait son environnement législatif dans la loi Hôpital, Patient, Santé, Territoires4. L’heure était alors au "tout présentiel", et professionnels comme patients ne juraient que par le bon vieux "face à face", dont le deuil ne faisait pas partie des options possibles. C’est vrai qu’à l’époque, il fallait y croire. Croire en l’efficacité du dispositif, en l’adhésion du patient… Mais l’histoire était déjà en marche et les parcours de soins alternés amorcés
, se remémore Lydie Canipel, co-Présidente de la SFSD et partisane de la pratique depuis ses débuts. Il a donc fallu faire évoluer les mentalités et donner les moyens de penser qu’on peut soigner aussi bien en distanciel que lors d’une consultation de visu, lorsque les conditions de prise en charge le permettent et sans exclusivité de l'une ou de l'autre des modalités. Sont venues ensuite les études pour valider les process, puis les outils, eux-mêmes pensés pour répondre aux besoins et à leur évolution tout en assurant la sécurité des données. Dans cette construction, "pluriprofessionnalité" a été le maître-mot. Car si télésoin il y a aujourd’hui, c’est pour mieux articuler la réponse aux besoins du patient. Le télésoin est le maillon qui manquait au parcours de soins coordonné. On l’a voulu clinique, pratique et porté sur le parcours patient
, s’enthousiasme Nathalie Salles, Présidente de la SFSD.
Vais-je soigner et faire mon métier aussi bien à distance que si je me trouve en face de mon patient en chair et en os ?
Des représentations à déconstruire
Certes, le cadre législatif portant sur le télésoin était un prérequis indispensable et complémentaire à celui donné à la télémédecine en 2009. Il s’inscrit par ailleurs dans la droite ligne des mesures dérogatoires mises en place durant la crise sanitaire pour étendre à 18 professions non-médicales
la possibilité de pratiquer le télésoin dans certaines conditions et en respectant les bonnes pratiques établies par la HAS. Pour autant, s’emparer sans crainte du sujet n’est pas naturel a priori. Si Patrick Chamboredon se réjouit que le télésoin ait été mis dans le marbre
par ce nouveau décret et souhaite la création d'une commission dédiée au sein du Conseil National ainsi que la révision du décret d'actes infirmiers en ce sens, il admet par ailleurs que certains professionnels craignent sa mise en œuvre. C’est une avancée majeure pour les patients et les professionnels de nature à tendre vers l’émancipation des infirmiers. Il va falloir réinventer les parcours de soins et faire différemment
, anticipe-t-il. Une enquête5 réalisée fin 2019 par Odoxa pour l’Agence du Numérique en Santé le corroborait déjà : 68 % des infirmiers déclaraient avoir une bonne opinion de la télémédecine et se disaient prêts à l’inclure à leur pratique pour près de la moitié d’entre eux ; mais 72 % disaient redouter une potentielle déshumanisation des soins pratiqués à distance grâce aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). Sur ce point, la SFSD est très claire et insiste sur le fait que l’une des clés de la réussite réside dans une bonne information du patient pour faire en sorte qu’il soit adhérent et acteur à part entière. L’information, c’est aussi du soin
, revendique Lydie Canipel. Autres appréhensions fréquentes et représentations à déconstruire : le risque d'erreur médicale, le piratage des données, mais aussi - et surtout - la comparaison avec le présentiel en termes d’efficacité : vais-je soigner et faire mon métier aussi bien à distance que si je me trouve en face de mon patient en chair et en os ?
Des bases pour se lancer, et bien se lancer
Un livre blanc pour tout comprendre
Comme la télémédecine, le télésoin a été conçu pour faciliter l’accès aux soins et leur continuité (en particulier si le patient est non-transportable), favoriser la diversité des pratiques et renforcer la collaboration interprofessionnelle
, rappelle Yann-Maël Le Douarin, en charge des questions de télémédecine et de télésoin au sein de la DGOS. Mais concrètement, que prévoient les textes de loi parus le 3 juin ? En réalité, le décret ne concerne pas que le télésoin ; il définit également une téléexpertise étendue aux professionnels au-delà des seuls médicaux (l’infirmier sous délégation de tâches peut en être l’acteur, par exemple dans le cadre de soins pour des plaies chroniques). Comme le prévoyait déjà le décret du 19 octobre 2010, le consentement du patient demeure par ailleurs incontournable. En revanche, pointe Lina Williatte, avocate et vice-Présidente de la SFSD, la notion n’est plus considérée comme portant particulièrement sur cette pratique mais concerne désormais le devoir général d’information qui prévaut dans tout acte de soin
. Enfin, les soins éligibles ne sont pas listés ; en la matière, les critères d’évaluation sont laissés à l’appréciation des professionnels, qui doivent déterminer si l’absence de contact physique, d’équipement spécifique… est pertinente pour réaliser les soins dans les meilleures conditions. Pour décrypter la pratique le plus simplement possible et s’en approprier les subtilités, la SFSD a élaboré un livre blanc6 en juin 2021. Y figurent les moteurs et les freins, mais également un lexique, des recommandations (définition des objectifs, choix des outils, évaluation de l’éligibilité des patients…) et enfin des interviews de professionnels (dont deux infirmiers) qui ont tenté l’aventure. Des bases pour se lancer, et bien se lancer
, résume YM. Le Douarin. Car pour passer les différents stades jusqu’à la confiance et éviter tout effet déceptif, mieux vaut s’informer et accompagner progressivement le changement, recommande le sociologue des organisations du travail Alexandre Mathieu-Fritz, présent au Webinaire. Au-delà de la recommandation, la SFSD en est certaine, rien ne vaut l'expérimentation de la pratique. Et Lydie Canipel de conclure : faites simple, et lancez-vous !
Notes
- Décret n° 2021-707 du 3 juin 2021 relatif à la télésanté
- Arrêté du 3 juin 2021 définissant les activités de télésoin
- Qu'est-ce-que le télésoin ? (Ministère des solidarités et de la santé)
- Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires
- Le baromètre de la Télémédecinede de l’ANS
- Livre blanc de la SFSD
Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
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