Infirmiers, pharmaciens et médecins ont été invités cet été par plusieurs rédactions du Groupe Profession Santé à répondre à une enquête portant sur les collaborations interprofessionnelles. Transferts de compétences, qualité des relations, environnement d’exercice favorisant la collaboration… focus sur les révélations de ce sondage, simultanément rendues publiques dans nos colonnes ainsi que dans celles de nos confrères du Quotidien du médecin et du Quotidien du pharmacien.
Les relations entre professionnels de santé sont-elles au beau fixe ? Pour en prendre le pouls, un questionnaire a été soumis aux intéressés pour recueillir leur sentiment et leur permettre d’exprimer leur opinion sur les avancées déjà opérées et les perspectives à venir. Parole aux infirmiers, désireux de gagner en autonomie, aux pharmaciens et aux médecins.
Echantillon de 1 065 répondants, dont :
- 101 infirmiers (56,4 % d’IDEL, 41,6 % d’hospitaliers et 2 % de professionnels en exercice mixte)
- 600 médecins (à 59 % généralistes), dont 70 % exercent en libéral et 22 % à l’hôpital
- 364 pharmaciens (officinaux exclusivement)
Age moyen des répondants :
- 45 ans pour les infirmiers (dont 73 % de femmes)
- 49 ans chez les pharmaciens (des hommes à 53 %) et 57 ans dans la population médicale (dont 65,5 % d’hommes)
Environnement d’exercice :
- Infirmiers exerçant en majorité hors des pôles urbains (milieu rural à 22,8 % et semi-rural à 29,7 %)
- 44 % d’entre eux évoluent dans un cadre coordonné (MSP, CPTS…)
Elargissement des périmètres plébiscité
Comme dans bien d’autres domaines, la crise sanitaire a accéléré les changements. Celui des transferts de compétences n’échappe pas à la règle, puisque près de 70 % des infirmiers sondés pensent que la pandémie sera un facteur favorisant en matière de délégation des médecins vers les autres professionnels de santé. Un élargissement des périmètres qu’ils appellent même de leurs vœux : les trois quarts d’entre eux estiment qu’il s’agit d’une progression souhaitable de l’interprofessionnalité et que le corps médical doit lâcher du lest en leur cédant du terrain. A titre d’exemple, ils approuvent à 96 % (94 % chez les pharmaciens) le transfert de la vaccination anti-Covid vers les IDE/IDEL, alors que le taux chute à 74,5 % chez les médecins. Autre sujet épineux : le télésoin, pérennisé en juin pour les auxiliaires médicaux et qu’une écrasante majorité d’infirmiers (88 %) estime bénéfique, tandis que seuls 47 % des pharmaciens et 32 % des médecins la jugent bonne lorsqu’elle est en faveur des infirmiers. Mais la réciproque est vraie, car si 55 % des pharmaciens se réjouissent de pouvoir pratiquer eux aussi le télésoin, la mesure n’est encouragée que par 11,5 % des médecins et suscite (de même que le sujet de la vaccination - anti Covid ou anti-grippale par les officinaux) une levée de boucliers chez les infirmiers, dont plus des deux tiers désapprouvent la présence de cabines de téléconsultation dans certaines officines.
En aucun cas cela ne doit devenir une querelle de clocher
Des collaborations mises à mal ?
La coordination entre tous les professionnels de santé doit se faire en bonne intelligence en assemblant nos compétences au service du patient ; en aucun cas cela ne doit devenir une querelle de clocher qui serait au détriment de la qualité de soins donnés au patient
, plaide l’un de nos répondants. Mais au vu de certains résultats, faut-il penser que chacun prêche pour sa paroisse ? La "concurrence" rendrait-elle l’espace difficile à se partager ? Pas au point, d’après l’ensemble de nos chiffres, de dégrader ni de mettre à mal les relations interprofessionnelles. Car sur l’échelle de mesure qui leur a été proposée (5 niveaux croissants), les infirmiers jugent à près de 60 % les interfaces très bonnes à excellentes avec les médecins libéraux, à plus de 83 % les professionnels avec lesquels ils sont amenés le plus à travailler. Stable, et même meilleur, disent de ce sujet les infirmiers interrogés. Le sentiment est en revanche légèrement moins favorable aux pharmaciens, avec lesquels plus de la moitié des IDEL déclarent collaborer une à plusieurs fois par semaine mais avec lesquels ils entretiennent de moins bonnes relations qu’il y a quelques temps, relèvent 29 % d’entre eux. Pourtant, les scores globaux demeurent tout à fait honorables, puisque près de 60 % des infirmiers considèrent qu’ils entretiennent une relation bonne à très bonne avec les officinaux. Et qu’en est-il en retour ? Les résultats sont a priori plutôt rassurants : 80 % des médecins jugent positives (34,5 %), voire très positives (45,4 %) leurs relations avec les infirmiers. Idem du côté des pharmaciens, ce qui dénote avec la perception infirmière : 4 sur 5 jaugent leurs relations avec les paramédicaux (avec lesquels la fréquence de la collaboration équivaut celle qui les lie aux médecins) très bonnes à excellentes ; plus d’un tiers d’entre eux les estiment même meilleures depuis récemment.
Trois quarts des IDE/IDEL sondés se disent favorables au développement des structures dédiées à l'interprofessionnalité
Oui à l’exercice coordonné
Certaines de ces contradictions apparentes interpellent, et l’on peut s’interroger plus largement sur la perception qu’ont les professionnels des environnements d’exercice coordonné. Indéniablement, les infirmiers votent pour. Environ 44 % des répondants y évoluent d’ores et déjà, et trois quarts des IDE/IDEL sondés se disent favorables au développement des structures dédiées à l'interprofessionnalité (MSP, pôles de santé, CPTS, équipes de soins primaires…) observé depuis quelques années. Même tendance chez les pharmaciens (77,7 % d’opinion favorable), mais bien plus faiblement (56 %) au sein de la communauté médicale, franchement plus tiède à l’idée de structurer l’interprofessionnalité et d’en faire un terreau fertile. Pour les paramédicaux, les principaux bénéfices résident – par ordre décroissant – dans l’efficacité du dispositif pour le patient, le fait de rompre l’isolement professionnel (en regard, ceux qui ne s’y essaient pas souhaitent avant tout conserver leur indépendance, à l’instar de 56,5 % des médecins), l’accompagnement des patients chroniques et enfin la validation et la consolidation des décisions professionnelles. Autre fait notable parmi les contra : 1 infirmier sur 10 ne voit aucun intérêt à l’exercice coordonné (de même que 41 % des médicaux), bien que le manque de temps, les motifs relationnels, la complexité du dispositif et pour finir le recours à un outil informatique commun (un grief peu en ligne avec l’accélération actuelle du numérique en santé ) soient par ailleurs évoqués comme des freins.
Le ton est donné du côté des parlementaires et des avancées législatives
Une évolution majeure déjà en marche
Cette enquête apporte des résultats édifiants sur les souhaits et résistances des uns et des autres. Les futurs souhaitables doivent sans doute être imaginés selon plusieurs angles de vue. Certaines pistes émergent clairement (délégation de tâches, établissements dévolus à l’interprofessionnalité…) ; mais d’autres comme une meilleure définition des tâches
ou des formations communes aux trois corps
interrogés (par exemple pour prévenir la iatrogénie médicamenteuse chez les seniors), comme l’ont suggéré certains des infirmiers répondants, pourraient être envisagées. Quoi qu’il en soit, le ton est donné du côté des parlementaires et des avancées législatives, notamment en ce qui concerne l’évolution de la pratique avancée infirmière : un décret
a ajouté cette semaine une cinquième mention ("urgences") aux quatre existantes et un amendement rattaché au PLFSS 2022 vient d’être adopté par l’Assemblée Nationale pour expérimenter pendant trois ans la primo-prescription par les IPA
pour des prescriptions médicales obligatoires. Des éléments probants pour une évolution majeure de la coopération interprofessionnelle, déjà en marche.
Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
@aperette
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