À partir d’entretiens recueillis au centre d’éthique clinique de l’Hôpital Cochin (Paris) et dans des services de soins intensifs ou de réanimation, la Compagnie Babel a créé un spectacle autour de la fin de vie. Se voulant être le passeur des paroles recueillies auprès des médecins, des soignants, des patients et de leurs proches, elle met volontairement de côté fantasmes, préjugés et lieux communs entretenus depuis la nuit des temps autour de la mort.
Le sujet universel de la fin de vie, souvent polémique, toujours tabou, est incontestablement délicat à aborder. Pourtant, le spectacle "À la vie !"* le prend à bras le corps, invitant le public à la réflexion car il ne concerne pas le destin personnel de chaque individu mais la société tout entière. Voilà une action aussi empathique que courageuse qui mérite d’être soutenue car elle bouscule autant nos sentiments et nos croyances que tout ce qui fait notre humanité. Entre une première partie qui nous laisse perplexe sur son utilité patente - les comédiens jouent leur propre mort imaginée avant d’endosser les grands rôles du répertoire théâtral pour mourir encore et encore d’agonies naturelles, suicides et meurtres - et une dernière partie nous débitant des extraits des derniers débats parlementaires autour de la fin de vie (avril 2021), embrasure sur le quotidien de services hospitaliers où les existences de patients et de proches se croisent, s’entrecroisent, s’entrechoquent parfois. Le vif du sujet est enfin abordé : la prise en charge du patient lorsque toutes les thérapies possibles ont échoué.
Une requête compréhensible
Les dialogues échangés entre les patients, proches et personnels sont si criants de réalisme qu’ils interpellent notre conscience, telle la demande de cette sœur pour son frère atteint de mucoviscidose, à ses côtés dans tous ses gestes quotidiens depuis plus de vingt ans : Medhi a dit plusieurs fois, devant témoins, qu’il voulait que ça se termine au plus vite. Il a écrit des directives anticipées très claires. Est-ce que on ne pourrait pas juste l’aider à partir maintenant ?
. Ce que votre frère demande c’est un suicide assisté déguisé, lui répond le médecin. Ça, moi je ne sais pas faire. Je n’ai pas été formé pour faire mourir les gens. Et de toute façon, c’est absolument illégal en France
. Si cette requête (comme celles d’autres proches) est fort compréhensible par l’équipe soignante au vu de l’état de santé dégradé du patient, elle est entendue diversement par chacun, qu’il soit médecin ou infirmier. Pour Charles, deux scénarii possibles : d’un côté, on accepte la demande de sédation, de l’autre on refuse. Et si on accepte, soit on le fait à l’hôpital, soit on le fait à la maison, ce qui est le souhait de Medhi. Mais est-ce que ce ne serait pas mieux de pouvoir gérer la sédation à l’hôpital ? On sait que c’est toujours compliqué d’ajuster le dosage des produits, de s’assurer du confort du patient et de garantir qu’il ne se réveillera pas
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Moi, je m’interroge sur le contexte de la demande de sédation
Sédation, fondée ou pas ?
Mais que l’on soit médecin ou soignant, on se doit d’agir selon ses connaissances et ses obligations professionnelles, sans oublier son éthique et tout en restant en conformité avec le cadre juridique en vigueur. Ce que ne manque pas de lui rappeler sa collègue Juliette : pour avoir accès à la sédation, la loi dit aujourd’hui qu’il faut qu’on soit dans un pronostic vital de court terme et la Haute Autorité de Santé dit : court terme, c’est une question de jours. Donc là, on est hors cadre
. C’est pourquoi Charles est dans l’obligation de reconnaître que dans les conditions actuelles, ils sont contraints de refuser pour le moment la demande de Mehdi en considérant que la sédation ne sera possible qu’un peu plus tard dans la maladie
. C’est alors qu’intervient Justine : en leur proposant d’aborder la question différemment, elle compromet le bien-fondé des échanges précédents : moi, je m’interroge sur le contexte de la demande de sédation. C’est sa sœur qui vient nous voir pour nous demander d’endormir son frère, mais est-ce qu’on a bien vérifié que la demande est celle du patient ? Ça fait des années qu’elle l’accompagne plus ou moins seule, on sait la force et l’énergie que cela demande. On en voit des demandes de sédation portées par des familles épuisées, non ? Est-ce que Medhi et sa sœur sont suivis par un psychiatre ? La concernant, un bon traitement ne me paraît pas être un luxe après 26 ans de soutien. Quant à lui, il a perdu quinze kilos, il est très fatigué, il respire mal donc moi je pose la question : est-ce qu’on a tout fait pour essayer d’améliorer son état de santé en dehors de la transplantation ?
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On meurt aux autres comme on naît aux autres, et c’est la société tout entière qui est engagée
Un engagement partagé
C’est sans compter Emmanuel, qui balaie toute leur réflexion d’un revers de main : mais qu’est-ce que ça veut dire tout ça ? Qu’un jour on aura un petit catalogue et on choisira : sédation, pas sédation, gros dodo, petit dodo, coup de massue ? Mehdi veut qu’on l’aide en dépit de la loi, en dépit des propositions de la médecine - qu’il a refusées, mais moi je voudrais lui dire que la façon dont il va mourir n’engage pas que lui ! On meurt aux autres comme on naît aux autres, et c’est la société tout entière qui est engagée. Quel signal on va envoyer à ceux qui se battent pour sauver des vies ? Aux patients atteints de sa maladie ? À tous les gens malades ? Aux familles ?
. En somme, si à priori tout patient est libre de choisir sa mort, la réalité est bien plus complexe : faut-il sauver chacun à tout prix, au risque d’entreprendre des soins parfois perçus comme un acharnement thérapeutique ? Est-ce si aisé d’accepter d’accompagner l’autre à mourir lorsqu’on se retrouve face à celui qui supplie l’obtention d’une assistance pour lui-même ou l’être souffrant tant aimé ? Ces questions et bien d’autres sont habilement posées, des réponses sont apportées mais liberté est laissée à chacun de prendre position.
Mes chers collègues, en refusant de légaliser tout aide active à mourir, la France a jusqu’à présent fait preuve d’une grande hypocrisie. La réalité, que certains ne veulent toujours pas voir, sans doute, quelle est-elle ? C’est le départ de plus en plus de nos concitoyens vers les pays frontaliers pour mettre un terme à leur vie avec la douleur supplémentaire de l’exil pour mourir. La réalité ce sont 2 000 à 4 000 euthanasies clandestines pratiquées dans notre pays dans le secret et l’opacité. La réalité c’est ce qu’on appelle la sédation profonde et continue et qui est en réalité l’arrêt de la nutrition et l’arrêt de l’hydratation
Député Olivier Falorni
Avec toutes les bonnes intentions du monde, à l’aide de mots apparemment incontestables comme compassion et dignité ou encore aide à mourir, voilà qu’on veut légaliser la mise à mort de certains patients par leurs soignants Députée
Emmanuelle Ménard
Dilution de la thématique
Scènes de morts en direct du répertoire classique, enregistrements sonores de débats parlementaires et scènes réalistes des services de soins hospitaliers. "À la vie !" est une mosaïque qui dilue la thématique au lieu de la servir. Se cantonner à nous rapporter des tranches de vie et de mort de patients comme leurs paroles et celles des familles, des médecins et des soignants aurait été bien plus salvateur. Il y avait encore tant à dire. Mais avouons-le : cette partie interprétée avec justesse et empathie par Justine Bachelet, Solenne Keravis, Emmanuel Matte, Juliette Plumecocq-Mech, Charles Zévaco et mise en scène avec efficience par Élise Chatauret reste la plus captivante et est d’intérêt public. Elle touche de si près la réalité du terrain qu’elle aurait suffi à inviter chacun à s’interroger sur ses choix autour de sa propre mort. Mais est-on toujours en capacité et autorisé d’en choisir le moment, le lieu et les circonstances ?
*Création au Théâtre de Malakoff en novembre 2021
Tournée :
30/11- 04/12/2021 : MC2 Grenoble, Scène nationale
06/01- 16/01/2022 : Théâtre des Quartiers d’Ivry, CDN du Val-de-Marne
12/04 - 15/04/2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, CDN
22/03 - 22/03/2022 : Théâtre de Chelles29/03
29/03/2022 : Verdun – Transversales
12/04 – 15/04/2022 : Théâtre Dijon Bourgogne, Centre Dramatique National
Isabelle Levy
Le regard d'Isabelle@LEVYIsabelle2
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