Les Soins Infirmiers sont depuis des décennies réalisés par deux fonctions complémentaires : la fonction infirmière et la fonction aide soignante. D'ailleurs, les IFSI (Instituts de Formation en Soins Infirmiers) regroupent désormais les deux formations professionnelles. Ces deux professions se trouvent donc intimement liées, comme le sont d'ailleurs la Médecine et la profession infirmière elle-même depuis plus d'un siècle. Cette intimité ne va pas sans poser quelque problème d'identité et de rôle dans la fonction soignante... Celui-ci est perceptible dès la formation.
Le programme des études d'aide soignante* m'était jusqu'à ce jour plutôt familier, du moins le croyais-je. Je participe plus activement actuellement à la réalisation des actions de formation directement auprès des élèves. Les demandes qui me sont faites ciblent entre autre la biologie humaine et je constate que le niveau en anatomie physiologie est peu différent de celui exigé pour la formation infirmière...
Je constate aussi que la formation aide soignante est également très orientée par les spécialités médicochirurgicales. Par exemple, les futurs AS auront des cours sur les BPCO (Broncho Pneumopathies Chroniques Obstructives), sur le fonctionnement de l'ensemble du tube digestif et sur ses principales pathologies (on imagine la liste !), mais quand je demande « Auront-ils aussi un cours sur le patient intolérant à l'activité, [c'est-à-dire ne supportant pas une activité courante et encore moins l'effort pour des raisons organiques (insuffisance cardiaque, insuffisance respiratoire, grand anémie, grand dénutrition, cancer avancé...) ou pour des raisons psychologiques (dépression, manque de motivation, isolement social)] ; sur les aspects de l'alimentation humaine autres que nutritionnel (organoleptique, anthropo-social, symbolique, psychologique), ou encore sur les difficultés d'approche du patient refusant de se nourrir » ? La réponse est plutôt évasive. Le développement des Sciences Humaines dans ce cursus reste également le parent pauvre.
Ainsi, comme toujours l'organe malade prend le pas sur la personne. Pourtant, s'il y a une fonction de soin qui doit être particulièrement centrée sur la personne, c'est bien celle de l'aide soignante*... Celle-ci n'est pas tenue de réaliser la prescription médicale. Elle est donc entièrement libre pour se consacrer à la préservation des capacités innées de l'organisme à se guérir, pour peu qu'on encourage activement et efficacement ses processus naturels d'auto guérison, ou au moins qu'on ne les entrave pas par une négligence proche de la maltraitance.
Le fait de travailler auprès de malades à l'hôpital implique-t-il un apprentissage systématique des bases de la Médecine de réparation, c'est-à-dire d'une médecine centrée sur le dysfonctionnement, le trouble, l'anomalie, alors que la fonction aide soignante est articulée en priorité autour de la préservation des ressources et de l'entretien des forces de vie de la personne ? N'est-ce pas d'abord cette dimension du soin qui doit lui donner sens ? Je connais nombre d'auxiliaires de vie qui ont une fonction à domicile parfois très proche de celle que les aides soignantes ont à l'hôpital, ou en maison de retraite, auprès des personnes dépendantes pour les actes courants de la vie quotidienne.
Je suis frappée par leur bon sens, par leur attention centrée sur la personne et ses besoins. Pourtant aucune d'elle n'a reçu de grande leçon sur la Biologie humaine ni sur les spécialités médicales. A force de vouloir faire converger intellectuellement les regards de tous les soignants sur la pathologie, ce qui va encore (ou toujours) bien est pratiquement oublié, négligé, délaissé, voire méprisé quand on sait comment les infirmières elles-mêmes parlent parfois de « leur » rôle propre (est-ce vraiment encore le leur ?). A force de valoriser les actes de réparation n'induit-on pas insidieusement une dévalorisation des actes soignants au cœur même de la fonction qui est actuellement la plus intime avec le fameux « prendre soin » ? Car traiter ne peut suffire sans soigner de façon vigilante, éclairée et personnalisée.
Dans ces conditions, il ne faut pas s'étonner que l'escarre, la constipation opiniâtre, le mal être, le sentiment d'impuissance, l'ennui, le désoeuvrement, l'apathie, la somnolence (si pernicieuse pour la perte des capacités) et la dénutrition continuent de s'installer chez certaines personnes soignées, et pas seulement chez la personne avancée en âge. Il ne faut pas s'étonner que les aides soignantes* aient tant de satisfaction à réaliser des tâches légalement dévolues aux infirmières au travers de la prescription médicale. Qu'elles poussent en quelque sorte au glissement de fonction, fortement encouragées d'ailleurs par bon nombre de directeurs de clinique qui emploient des aides soignantes pour faire ouvertement fonction d'infirmière.
La profession d'infirmière dans sa grande majorité n'arrive pas encore à trouver du sens à sa pratique soignante en dehors de la dimension médicale (de type hospitalier) des situations, confondant encore et toujours pratique soignante (soigner au sens large) et pratique curative (traiter, réparer ce qui dysfonctionne). Comment peut-elle valoriser auprès de ses collaboratrices directes que sont les AS, un rôle qu'elle-même déconsidère ? Va-t-on ainsi continuer de guider les aides soignantes dans cette direction ? Ne parlera-t-on pas bientôt de « pratique avancée » pour elles aussi ! ? Quand prendra-t-on conscience que la médicalisation de la pratique soignante est une réduction inopportune de celle-ci, constituant socialement une erreur fort coûteuse financièrement et humainement ?
Humainement d'abord, car il y a de la souffrance pour la personne soignée pendant le temps de la dégradation et pendant celui de la rééducation (toujours incertaine quant au résultat) et parce que nombre de soignants eux-mêmes souffrent, ne trouvant pas suffisamment d'intérêt à la part non médicale de leur travail. Financièrement ensuite, parce que tenter de récupérer des capacités dont on aurait pu éviter en grande partie la dégradation par des soins attentifs, réguliers et adaptés pendant le traitement de la phase aigue de la pathologie (maladie ou accident), induit une augmentation conséquente de la durée de séjour en hôpital ou en institution spécialisée, ce qui augmente d'autant les frais de prise en charge.
Malgré l'évidente simplicité de ce constat, depuis 40 ans que je suis dans le métier, cette représentation survalorisée des soins médicaux de réparation au détriment des autres dimensions du soin (préservation, entretien et/ou promotion des ressources et des forces de vie) n'a pas fléchi. Ainsi combien d'aides soignantes* dûment formées plus ou moins consciemment dans une optique de médecine de réparation, rêvent d'accomplir des actes infirmiers prescrits, à en juger par leur attirance marquée pour ceux-ci à l'hôpital ?
N'est-ce pas attristant de constater qu'un nombre non négligeable d'aides soignantes* ne trouvent pas de véritable reconnaissance et de satisfaction au cœur même de ce qui constitue leur profession ? Ne sont-elles pas en cela fort ressemblantes aux infirmières* qui ne se reconnaissent vraiment que dans l'exercice des actes prescrits et la dimension curative des soins ? Comment œuvrer pour que chaque soignante* trouve du sens à l'ensemble de sa pratique, pas seulement en empruntant à la médecine réparatrice de type hospitalier, mais aussi en développant une réelle et saine fierté pour la part du métier de soignant différente (de) et complémentaire à cette médecine « parcellisante » ?
Je vais quitter la carrière et cette question est toujours sans réponse satisfaisante pour moi, après tant d'années consacrées avec conviction à la formation de soignantes* fières de leur fonction multidimensionnelle, c'est-à-dire incluant la dimension médicale réparatrice mais ne se résumant pas à elle, dans l'intérêt du travail soignant et dans celui des personnes soignées, ce que nous pouvons être tous un jour...
* lire aussi au masculin
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Fait à Versailles le 14 Novembre 2006
Danielle MOREAU
Rédactrice infirmiers.com
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