Nous l'avons découvert il y a peu et il ne pouvait en être autrement que de partager les histoires qu'il nous raconte. Sur sa page facebook intitulée "Dans le couloir...", cet aide-soignant nous ouvre une à une les portes des chambres de son service de soin et raconte. Derrière chacune d'entres elles se cachent des histoires et des vies différentes... Régulièrement nous publierons ces jolies chroniques, une invitation qui vous est faite pour les découvrir et les aimer !
Dans le couloir…
Aide-soignant diplômé en 2013, il a toujours exercé à l'hôpital. « Je prends plaisir à être le spectateur assidu de mes meilleurs acteurs : les patients et le personnel soignant. Ce contact me permet d'apprendre beaucoup sur l'humain, ses travers parfois, les cultures du monde, les difficultés du quotidien... Cet apprentissage de la vie, j'en garde une trace depuis cinq ans. Dans un carnet qui me sert d'exutoire, je relate des anecdotes professionnelles. Depuis, j'essaie de formaliser cela sur un support accessible et ludique. C'est ainsi que j'ai créé une page Facebook sur laquelle je délivre régulièrement une histoire courte. Parfois humoristiques, parfois touchantes, elles sont le reflet du quotidien d'un aide-soignant travaillant à l'hôpital. Pourquoi avoir choisi comme nom "Dans le couloir" me direz-vous ? A la fois une entrée et une sortie, cet élément anodin d'un service représente le passage et c'est, à mon sens, l'essence même de l'hôpital. Passeur d'âmes et passeur d'histoires je souhaite faire découvrir ce monde troublant. »
Chambre 147
Regardant par la baie vitrée le cirque qui dressait, tout près, son chapiteau, notre chef de service avait coutume de lancer, cinglant : Les jeunes, pas besoin d'aller au cirque, ça l'est bien assez ici ! Et en plus, la séance est offerte !
Il ne se trompait pas car parfois, entre les patients et la famille, nous ressemblions à d'habiles dompteurs de fauves… Certaines chambrées nous réservaient l'épreuve du feu ! Cependant, je reconnais que nous avions des qualités innées dans le comique de situation et il ne manquait à notre numéro d'Auguste parfaitement rôdé qu'un monocycle pour traverser d'un bout à l'autre le long couloir. Notre Monsieur Loyal en blouse blanche ne se doutait pas que son ironie mordante prendrait forme dans la chambre 147.
Instantanément, la morosité de l'hôpital s'efface et un épais rideau rouge s'ouvre sur la Piste aux étoiles.
De l'extérieur, rien n'y paraît pourtant, mais derrière la porte de cette chambre que rien ne distingue des portes blanches uniformes qui s'alignent tout au long du couloir, se cache l'univers pétillant et bariolé des saltimbanques. La monotonie immaculée est de courte durée et, en entrant, l'immersion dans le monde du cirque est instantanée. Accrochées de façon très fantaisiste, de vieilles affiches à l'effigie du célèbre bonhomme au nez rouge tapissent les murs de la chambre. Sur le chevet, des photos de notre patient, en compagnie d'animaux plus exotiques les uns que les autres, donnent au lieu un supplément d'âme. L'atmosphère circassienne irradie tout l'espace. Instantanément, la morosité de l'hôpital s'efface et un épais rideau rouge s'ouvre sur la Piste aux étoiles. En effet, notre patient, Monsieur Z., est, depuis toujours, clown professionnel dans un cirque. Hospitalisé depuis un mois et demi pour une prise en charge, en soins palliatifs, de son cancer du côlon, Monsieur Z., âgé de 78 ans, a tout de suite donné le ton de son hospitalisation. Comme une devise chargée de repousser les mauvaises ondes, un immense bandeau formé de lettres colorées habille le plafonnier et on peut y lire : « Mieux vaut en rire ! » Il faut dire que le rire, il en a fait son métier et qu'il le maîtrise à la perfection. Alors que nous parlons politique, il me dit malicieusement : Moi, j'ai pris le parti d'en rire !
Pour lui, pas besoin d'exagérer le trait, son visage malléable à souhait, qu'il modèle avec d'amusantes mimiques, se suffit à lui-même !
Je réalise immédiatement le bien-fondé de la thèse de nos artistes et je confirme : le rire ça a du bon !
Dans notre jargon hospitalier, l'on pourrait considérer Monsieur Z. comme un patient chronique, c'est-à-dire régulier. Nous avons donc eu le loisir de faire connaissance avec le personnage et sa joyeuse troupe d'amis, de vieux artistes du cirque ! De son propre aveu, ils forment une bande « d'anciens combattants du rire » et chacun a son armement pour faire s'agiter les zygomatiques des plus moroses et combattre le vague à l'âme. En bon connaisseur de l'humour, Monsieur Z. avoue que le rire est une excellente thérapie et il s'en fait le porte-bannière car, selon lui, « sans rire, tu meurs ! » De fait, les joyeux lurons s'amusent à animer le couloir et, peu à peu, le charme opère sur nos autres patients qui ingurgitent plus facilement leurs facéties que nos chimiothérapies.
Quand ce ne sont pas quelques musiciens qui viennent interpréter les grands classiques de Noël, c'est un magicien-clown qui se joue des chirurgiens sous l’œil amusé des patients. A l'approche de fêtes de fin d'année, en lieu et place des habituelles fragrances javellisées, il s'installe comme une odeur de légèreté dans notre service reconverti en chapiteau plusieurs après-midi durant.
Tandis que nos patients et leurs familles réclament une nouvelle dose d'amusements non dilués, j'observe Monsieur Z. Assis patiemment dans un coin, l’œil brillant, il me confie : Tu vois, ça, c'est la plus belle des récompenses !
alors que s'esclaffe bruyamment, devant une nouvelle pitrerie, le public conquis des patients qui se montraient, le matin même, endoloris et fatigués. Je réalise immédiatement le bien-fondé de la thèse de nos artistes et je confirme : le rire ça a du bon !
Au lieu de te cacher derrière une épaisse carapace, utilise plutôt ce nez rouge, c'est une arme en rire massif !
La rigolade ne s'infiltre pas partout ni toutes les semaines, les résultats des examens médicaux s'aggravent. Cela étant, nous constatons que ça n'impacte aucunement l'énergie sans faille de notre expert en plaisanterie.Au chef de service impassible qui lui explique les résultats du dernier bilan cardiologique, il dit, en blaguant, « Pourtant, je ris de bon cœur ! » Lors du dernier staff médical, les praticiens s'attardent sur le pronostic vital de Monsieur Z. et lui proposent de rentrer chez lui pour passer des fêtes de fin d'année paisibles et familiales, non sans lui cacher le pronostic d'issue fatale le concernant… Mais, juste retour des choses, le jour de sa sortie, tous les patients et les familles sont dans le couloir pour applaudir à tout rompre celui qui a orchestré avec finesse l'évasion artistique. En artiste rompu à la tradition, Monsieur Z. salue son public et s'incline plusieurs fois tout en remerciant l'assemblée par une envolée de baisers ! Timidement, il s'approche et me glisse quelque chose dans la poche : Au lieu de te cacher derrière une épaisse carapace, utilise plutôt ce nez rouge, c'est une arme en rire massif !
. Huit mois plus tard, nous apprenons que Monsieur Z. est décédé, entouré par sa curieuse et amusante caravane d'artistes. Ce nez rouge est bien en place chez moi, parmi d'autres reliques professionnelles. Les années ont passé, mais parfois je regarde cet attribut clownesque et pense à Monsieur Z. Je mesure maintenant la chance que j'ai eue d'assister à son dernier tour de piste ! Une étoile murmure encore : le spectacle continue !
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