La recherche en histoire des soins est une discipline qui a toujours du mal à exister malgré l’impulsion des travaux de Marie-France Collière ou de René Magnon. Aujourd’hui encore, on ne recense que trop peu d’ouvrages ou documents se rapportant à l’histoire des soins. Or une profession qui n’a pas d’histoire ou qui ne recherche pas ses origines est une profession qui a du mal à parler d’elle-même, comprendre son évolution et à se projeter dans le futur... Il est des histoires qu’il n’est pas toujours souhaitable d’exhumer. Marc Catanas, Directeur des soins, prend le risque de mettre à jour celle-là et de la partager avec nous.
A travers les articles qui vont suivre, et que nous allons publier, chapitre après chapitre, au fil des semaines (en effet, l'article proposé initialement était trop long pour le publier en une seule fois), nous nous sommes intéressés à un personnage fort peu connu dans les textes anciens : l’infirmier. En effet, on parle plus souvent de la femme dans les soins mais rarement de l’homme. Or, son rôle n’a pas été aussi effacé qu’on le croit dans l’histoire des soins et son absence durant une bonne moitié du XXème siècle à l’hôpital général a sûrement à voir avec le rôle qu’il y a joué durant le XIXème siècle.
Les sources sont rares pour ce qui est des femmes soignantes, elles le sont nettement plus encore pour ce qui est des hommes. Hormis la psychiatrie ou l’armée où l’histoire des soins se conjugue au masculin, les sources attestant de l’existence de l’infirmier dans les hôpitaux généraux au XIXème siècle sont rares. Alors, lorsqu’on les découvre, cela procure un bien immense au chercheur comme la possession d’un capital précieux.
Il est des histoires qu’il n’est pas toujours souhaitable d’exhumer. Nous prenons le risque de mettre à jour celle-là.
La tenue, le comportement et l’alcool
Ici, on aborde un problème plus délicat. Tous les documents relatant la tenue de l’infirmier ne sont pas dithyrambiques, bien au contraire. L’habit est plutôt sommaire et se rapproche de la tenue du domestique et/ou du boucher. Il porte sous son bras une serviette quasi blanche. […] Au dessous de sa veste de bure, sa taille est prise par les cordons d’un tablier réservé aux coins, orné de taches marbrées et veinées de sang : avons nous donc affaire à un boucher1?
Pierrette Lhez nous explique que les infirmiers gardent leurs habits de ville le plus souvent et portent un veston sur lequel est posé un tablier clair (identique à celui des femmes) appelé « devantier » qui caractérise les classes défavorisées et correspond à la tenue des domestiques2. Avec cette tenue, se pose le problème de la propreté car l’infirmier n’est ni au clair avec son hygiène personnelle (comment le pouvait-il vu sa condition de vie ?) ni avec celle des malades. Nous avons vu un infirmier diplômé compter du linge sale d’un service où se trouvaient beaucoup de tuberculeux, ensuite vérifier le linge propre, le maniant aussi et enfin s’occuper des bocaux à pansements sans avoir eu l’idée de se laver les mains3!
Le fait que l’administration autorise le mariage à ses employés entraîne beaucoup de complications de logement, de discipline et de surveillance et à ce sujet, le Dr Bourneville appelle l’attention de l’administration sur la situation des infirmiers mariés à des infirmières afin de les astreindre à coucher dans les dortoirs [au milieu de leurs collègues. NLDR] on leur trouve des chambres4.
Avec ces conditions de vie déplorables, se pose aussi le problème de la boisson. Nombreux sont les infirmiers qui s’y adonnent et les critiques de l’époque ne sont pas tendres. Les vieux règlements des hôpitaux prescrivaient déjà d’altérer le goût et la couleur de l’eau de vie destinée aux blessés et d’y mêler de l’émétique afin d’empêcher les infirmiers d’en voler sinon d’en boire5
Les sœurs hospitalières en charge de l’intendance des salles devaient régulièrement veiller à ce que le vin ne soit pas bu par les infirmiers. Leur grand défaut, c’est l’ivrognerie : on ne sait comment s’y prendre pour mettre le vin hors de leur atteinte ; à l’hôtel-Dieu, à La Riboisière, les brocs qui font la navette du cellier aux salles sont munis d’un cadenas dont le sommelier et la religieuse ont seuls la clef ; précaution inutile : ils savent dans les récipients les mieux clos introduire quelque paille, parfois une sonde qu’ils ont dérobé au chirurgien, et la ration arrive toujours réduite à destination. […] Bien plus, les chirurgiens qui font des préparations anatomiques sont obligés de les enfermer à double serrure, parce que les infirmiers ont l’épouvantable courage de boire l’alcool où ces détritus humains ont macéré6.
En fait, si l’on regarde de plus près, les difficultés de recrutement au niveau infirmier ont toujours existé
Avec ce problème d’alcool, se pose aussi la difficulté à exercer ce métier. A l’époque, ce métier est peu recherché. On ne l’exerce que de façon momentanée et, dès que l’on trouve une situation meilleure, on fait autre chose. Quant à ceux qui restent… Ceux qui s’en sont fait une ressource définitive et qui parfois, s’attachant aux malades, deviennent de bons serviteurs, sont faciles à reconnaître ; ils sont hideux. Cela est frappant surtout à Saint-Louis ; les malheureux qui par la suite d’une maladie ont été défigurés et n’offrent plus aux regards que des faces de monstre, sont restés là comme infirmiers, car ils ont compris qu’ils ne trouveraient point de place ailleurs, et que partout on les chasserait comme des objets de dégoût7.
En fait, si l’on regarde de plus près, les difficultés de recrutement au niveau infirmier ont toujours existé. Le Dr Jacques René Tonon affirmait déjà au milieu du XVIIIème siècle : Il est difficile de trouver de bons infirmiers et de bonnes infirmières. Cette classe de serviteurs manque dans beaucoup d’hôpitaux. Elle est essentielle et mérite une grande attention. L’ordonnance du roi pour les hôpitaux militaires leur accorde des gratifications à proportion de ce qui est satisfait de leurs services : ils reçoivent pareillement des récompenses à l’hôpital des Gardes-Françaises. La croix que portent les infirmiers et infirmières de Lyon est un objet d’émulation ; outre qu’elle leur attire les égards de leurs concitoyens, qui ne voient dans ces utiles serviteurs, que des personnes d’une vertu éprouvée et constante, ceux ou celles qui la possèdent ont encore l’avantage d’être attachés pour la vie à la maison : les priver de cette croix pendant quelque temps, ce qui s’appelle décroiser, serait une grande punition8.
Les sœurs hospitalières en charge de l’intendance des salles devaient régulièrement veiller à ce que le vin ne soit pas bu par les infirmiers.
Après un tel tableau, n’y aurait-il à l’époque que des infirmiers vils et vénaux ? N’existait-il pas des qualificatifs positifs à l’égard des personnes qui exerçaient ce métier aux aspects si difficiles ? La réponse est dans le texte de Marcel Du Camp vu précédemment, plus loin. Ce personnel, généralement vicieux, sans scrupule, grossier et de mauvais instincts, a un sentiment très vif du devoir professionnel : quel que soit le danger, il ne déserte pas. Pendant la dernière épidémie de petite vérole (1870), tous les infirmiers étaient à leur poste, et nul n’avait fui durant la contagion. En cela, ils sont un peu semblables à ces soldats mauvais sujets, familiers de la salle de police, et qu’on retrouve toujours au premier rang à l’heure du combat9.
Notes
- Bernard P. opus cite p154
- Lhez P. « De la robe de bure à la tunique pantalon. Etude de la place du vêtement dans la pratique infirmière. » Inter Editions, 1995, p 21.
- Hamilton A-E, opus cite p152.
- Bourneville DM, « Palmarès des Ecoles d’Infirmiers et d’infirmières », 1894-95, opus cite p47.
- Borsa S., Michel C-R « La vie quotidienne des hôpitaux en France au XIXème siècle » Edition Hachette, 1985, opus cite p 181.
- Du Camp M., « Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXème siècle » Tome IV, Paris, Hachette, 1975, opus cité p 167.
- Du Camp M.,, opus cité p 167
- Tenon JR, « Mémoires sur les hôpitaux de Paris » Editions Ph D Pierres Premier imprimeur ordinaire du Roi, Paris 1788, opus cite p 328.
- DU CAMP M, opus cité p 168
Marc CATANAS Directeur des soins marc.catanas@sfr.fr
• Note de l’auteur : L’auteur remercie la Revue de la Société Française d’Histoire des Hôpitaux d’avoir accepté la publication de cet article sur le portail internet Infirmiers.com.
Cet article avait été publié dans le numéro 139 de septembre 2009.
Tous les chapitres du dossier
- Histoire - Être infirmier au XIXème siècle (chap. 3)
- Histoire - Être infirmier au XIXème siècle (chap. 2)
- Histoire - Être infirmier au XIXème siècle (chap. 1)
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