La loi Leonetti prévoit que chaque personne a le droit de rédiger ses directives anticipées (DA) afin que ses dernières volontés soient respectées. En 2016, la loi Leonetti-Claeys renforce la parole du patient en rendant les DA contraignantes : l'expression de la volonté du malade s'impose au médecin, sauf en cas d'urgence vitale. Peu de Français y ont eu recours, notamment par méconnaissance ou freins culturels. Afin de faire connaître cette pratique, les enjeux bio-psycho-sociaux des DA doivent être appréhendés avec le patient : l’infirmier de pratique avancée peut avoir un rôle central dans le déploiement des DA, voire l’émergence de la planification préalable de soins.
La fin de vie est une période anxiogène et inéluctable. Grâce aux lois sur le droit des malades et la fin de vie de 2005 et 2016, de nouvelles pratiques ont été encadrées en France pour que cette période puisse être coordonnée aussi bien pour les patients, leurs proches et les professionnels de santé. Quels dispositifs existent actuellement en France et quels sont les professionnels concernés ?
Que dit la loi sur les directives anticipées ?
La loi Leonetti du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, prévoit que toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté
. Ces directives sont révocables à tout moment et peuvent être rédigées par une personne en bonne santé ou atteinte d'une maladie grave. Elles permettent à une personne d’exprimer ses volontés par écrit sur les décisions médicales à prendre lors de sa fin de vie, sur les traitements ou actes médicaux qui seront ou ne seront pas engagés, limités ou arrêtés. Dans la loi, il est indiqué que la personne peut parler des directives anticipées avec son médecin et/ou ses proches et qu'il est utile de les joindre à son Dossier Médical Partagé (DMP). Actuellement, les directives anticipées sont plutôt évoquées lors d'une consultation d'annonce, notamment en oncologie, mais également par l'équipe mobile de soins palliatifs. Un sondage réalisé en 2017 par l'IFOP a révélé que 42 % des Français ignorent l’existence des DA et que seuls 14 % d'entre eux y ont eu recours pour diverses raisons (procédure jugée complexe ou illégitime, refus de penser à sa propre fin de vie...). L’information permettrait aux personnes qui le souhaitent de rédiger leurs DA et ainsi faciliter la prise en charge de leur fin de vie. A part le médecin, auprès de quels professionnels de santé le patient pourrait-il s’informer sur cette pratique ?
L'infirmier n’apparaît pas comme l’interlocuteur privilégié du patient en la matière, bien qu’il ait un rôle central dans l’accompagnement du patient en fin de vie
Quel rôle pour les infirmiers ?
D’après la loi Leonneti-Claeys de 2016, l’ensemble des professionnels de santé doivent dorénavant informer leurs patients, qu’ils soient bien-portants ou malades, de la possibilité de réfléchir aux conditions et modalités de leur fin de vie, en les incitant à rédiger leurs directives anticipées et/ou à désigner leur personne de confiance
. Dans le Code de la Santé Publique, l’une des compétences de l'infirmier est l'éducation et l’information au patient : à son arrivée dans un service de soin, il peut demander au patient s'il a rédigé des DA. Si celui-ci a des questions, il sera alors redirigé vers le médecin. Néanmoins, une étude montre que des médecins expriment leur réserve sur leur rôle dans l’information sur les DA : ils ne se sentent pas forcément concernés et pensent qu’en guidant les patients sur ce sujet, ils peuvent entraver leur liberté de pensée. Ces limites dans la mise en œuvre des DA par les médecins nécessitent que d’autres professionnels s'emparent du sujet. L'infirmier a aussi pour rôle de transmettre à l'équipe soignante les DA d'un patient. Cependant, il n’apparaît pas comme l’interlocuteur privilégié du patient en la matière, bien qu’il ait un rôle central dans l’accompagnement du patient en fin de vie.
Les IPA peuvent s’impliquer dans le développement de cette pratique et s'appuient sur des compétences élargies de coordination et de suivi de patientèle qui leur permettent d’être l’interlocuteur privilégié du patient
Quid du rôle des IPA ?
Le métier d'infirmier se spécialise en France avec l’émergence du métier d'infirmier de pratique avancé (IPA) encadré par la loi depuis juillet 2018. L’Ordre National des Infirmiers définit l’IPA comme ayant acquis les connaissances théoriques, le savoir-faire et le savoir-être nécessaires aux prises de décisions complexes en autonomie dans son champ de compétence. Son activité se décompose actuellement en quatre mentions (pathologies chroniques stabilisées, oncologie et hémato-oncologie, psychiatrie et santé mentale, maladie rénale chronique) qui ont chacune leurs activités spécifiques. En oncologie/hémato-oncologie, la loi précise que l'IPA a pour mission le repérage des situations nécessitant des soins de supports et des soins palliatifs
, ce qui l'implique dans le déploiement de l’utilisation des DA, même si les DA peuvent être rédigées bien avant l’entrée en soins palliatifs ou dans la période de fin de vie et ne concernent pas que les patients atteints de cancer. Les IPA formés aux trois autres spécialités ont une patientèle atteinte de maladies chroniques : l'échange concernant le lien entre évolution clinique et directives anticipées avec ces patients paraît également adapté. Quelle que soit la mention, les IPA peuvent donc s’impliquer dans le développement de cette pratique et s'appuient sur des compétences élargies de coordination et de suivi de patientèle qui leur permettent d’être l’interlocuteur privilégié du patient. L’authenticité et l'intimité de la prise en charge du patient dans sa globalité (huis-clos du box de consultation) et la disponibilité en temps induisent une relation de confiance favorable à l'accompagnement du patient dans ses démarches sur les DA. Peut-être un moyen de mieux faire connaître les DA et d'anticiper de la meilleure manière la fin de vie d’un plus grand nombre de patients en France ?
Appliqué à la fin de vie, le regard holistique, chevillé à la pratique infirmière, a favorisé la création de la planification préalable des soins
Advance Care Planning
A l'heure actuelle en France, les DA sont très axées sur la limitation ou l’arrêt des traitements médicamenteux lors de la fin de vie. Pour une meilleure planification préalable des soins (PPS), quid des valeurs et volontés des patients concernant leurs besoins spirituel, psychologique, social ? Appliqué à la fin de vie, le regard holistique, chevillé à la pratique infirmière, a favorisé la création de la PPS (ou ACP, pour "Advance Care Planning"), qui émerge depuis quelques années hors de nos frontières. C’est un processus continu et dynamique qui ne se limite pas aux traitements médicamenteux. Elle permet aux patients de rédiger leurs préférences dans les domaines physique, psycho-logique, social et spirituel basées sur leurs valeurs et leurs priorités. Cette pratique est vaste, chronophage et doit s’échelonner sur plusieurs entretiens : au Canada, les médecins traitants prévoient des consultations spécifiques pour échanger avec leurs patients sur la fin de vie, tandis qu'en France, certains médecins se questionnent sur la "rentabilité" d’une telle consultation, centrée sur l’information et la réflexion. Une inadéquation qu'il faudra trancher à la lumière des enjeux sociétaux et éthiques et pour le bénéfice des patients et de leurs proches.
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