Plus de 70% des soignants d'unités de soins intensifs ou de réanimation rapportent des conflits internes au staff ou avec les familles, considérés comme sévères dans la moitié des cas, selon une vaste étude internationale.
Les unités de soins intensifs sont considérées comme les services hospitaliers les plus stressants mais peu d'études se sont penchées sur l'incidence et les circonstances des conflits rapportés par les équipes. Il s'agit de la première grande étude multicentrique de ce type.
L'enquête, dont l'investigateur principal est Elie Azoulay, du service de réanimation de l'hôpital Saint-Louis à Paris, a été réalisée sur une journée dans 323 unités de soins intensifs de 24 pays -inégalement représentés (les Etats-Unis comptent pour 2% des réponses, le Brésil pour 21%).
Il était demandé aux participants de rapporter le nombre et les circonstances des conflits perçus la semaine précédente. Plus de la moitié (59,5%) des participants étaient des infirmiers ou aides-soignants et une vaste majorité étaient des femmes. Au total, 7.358 réponses complètes ont été obtenues et analysées.
Parmi les participants, 5,5% témoignent d'au moins deux conflits et 71,6% d'au moins un conflit, avec des variations considérables d'un pays à l'autre (de 26% à 100%). Il s'agissait essentiellement de conflits entre médecins et infirmiers (32,6%), entre infirmiers (27,3%) et entre l'équipe et les proches du patient (26,6%). Ces conflits avaient lieu, dans la moitié des cas, dans le cadre de soins de fin de vie.
Les participants les jugeaient "sévères" dans 53% des cas, "dangereux" dans 52% des cas et "nuisibles" dans 83% des cas. Les conflits étaient en particulier considérés comme nuisibles à la cohésion de l'équipe, aux relations entre l'équipe et les familles mais aussi souvent à la qualité des soins, voire à la survie des patients.
La pénibilité au travail était significativement associée au nombre, à la sévérité ou la dangerosité des conflits perçus.
Des conflits récurrents qui peuvent être prévenus
Au moment de l'enquête, seuls 40% des conflits avaient été résolus. Les meilleurs moyens identifiés pour résoudre les conflits internes au staff étaient le débriefing informel et la discussion.
L'intervention d'un consultant, un débriefing face-à-face ou une intensification de la communication au sein de l'équipe soignante ont été des moyens plus fréquemment employés dans les conflits entre soignants qu'entre les soignants et les proches des patients qui, eux, conduisaient plutôt à transférer le patient dans une autre unité de soins intensifs, à initier un groupe de travail au sein de l'unité, à limiter les horaires de visite pour les familles ou à mener une action légale.
Fréquents et rarement résolus, les conflits tendent à se répéter. Ainsi, un quart des participants estimaient que le conflit rapporté avait un précédent et 87% qu'il se répéterait. Mais 70% estimaient également qu'il aurait pu être prévenu.
L'enquête a cherché à identifier les facteurs favorisant les conflits. Les principaux incriminés sont une animosité personnelle, le manque de confiance en l'autre et des problèmes de communication. Lors des soins de fin de vie, les principales sources de conflits étaient le manque de soutien psychologique, l'absence de réunion de staff et des problèmes dans le processus de prise de décision.
Lors d'une analyse multivariée, quinze facteurs sont apparus associés aux conflits perçus. Certains ne peuvent être modifiés: le fait d'être un homme, d'être âgé de plus de 34 ans, d'être parent, d'avoir bénéficié d'une formation aux questions éthiques (considéré comme un biais de sélection par les auteurs), de diriger l'unité, d'être un médecin junior ou senior, d'être infirmier, et les faibles dépenses gouvernementales pour la santé.
A l'inverse, six facteurs représentent des cibles potentielles d'intervention : le fait de travailler plus de 40 heures par semaine, d'avoir un service de plus de 15 lits, d'avoir travaillé auprès de patients en fin de vie ou d'avoir délivré des soins pré- et post-mortem pour au moins un patient la semaine précédant l'enquête, le fait que le contrôle des symptômes n'ait pas été assuré conjointement par les médecins et les infirmiers ainsi que l'absence de réunion de staff à l'échelle de l'unité.
Diminuer la charge de travail et se réunir pour mieux communiquer
Les auteurs suggèrent ainsi de tester des interventions telles que décroître le nombre d'heures hebdomadaires de travail, tenir des réunions à l'échelle de l'unité au moins une fois par semaine et s'assurer que chaque membre de l'équipe n'est pas responsable de plus d'un patient mourant à la fois.
Ils ajoutent que les critères d'évaluation devraient inclure des variables liées aux patients (sécurité et qualité des soins, qualité du décès), aux familles (satisfaction, stress, anxiété) et aux soignants (satisfaction, "burn out", conflits, absentéisme) comme des critères de coût-efficacité.
"Bien que le temps de travail et le nombre de lits de l'unité puissent sembler difficiles à modifier, de précédentes études indiquent que le fait de diminuer le ratio patients/infirmiers pour atténuer la charge physique et émotionnelle des infirmiers améliore la sécurité des patients, la qualité des soins et le rapport coût/efficacité", notent-ils.
Ils ajoutent que "des réunions à l'échelle de l'unité, avec le cadre-infirmier et le directeur de l'unité servant à tour de rôle de facilitateurs, offrent d'excellentes occasions de souligner le rôle notable joué par les infirmiers dans l'unité de soins intensifs, d'améliorer le respect et la compréhension au sein de l'équipe et de s'assurer que tous les membres de l'équipe transmettent le même message aux patients et aux familles".
Au cours de ces réunions, "les membres de l'équipe peuvent exprimer et discuter leurs désaccords, identifier et résoudre les sources d'hostilité, partager l'information à propos des patients et des familles et communiquer leurs incertitudes concernant les décisions médicales. Des réunions bien menées peuvent promouvoir la sensation que chaque membre de l'équipe contribue de manière équivalente à la chaîne d'événements qui affecte le pronostic du patient, le burn out des soignants et l'occurrence des conflits".
Enfin, ils estiment qu'"expliquer les principes des soins palliatifs aux familles et avoir des médecins et infirmiers qui travaillent ensemble pour évaluer la douleur, l'anxiété et d'autres symptômes sont des moyens simples de diminuer les conflits tout en améliorant significativement la qualité du décès".
Paris, 10 décembre 2009 (APM)
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