Alors que la première vague de l’épidémie de Covid-19 en Europe commençait à décroître, des patients ont commencé à faire état de symptômes de la maladie tardifs ou résurgents . Jusqu’à présent, seules quelques études descriptives ponctuelles ont porté sur ce sujet, et aucune n’a encore émis d’hypothèses quant aux dérèglements physiologiques à l’origine de ces manifestations. Très invalidants, ces symptômes pouvaient survenir après une apparente rémission. Les réseaux sociaux se sont fait l’écho de ces signalements et plusieurs équipes médicales ont mis en place des consultations afin de prendre en charge les patients concernés. En mai 2020, nous avons ouvert à l’Hôtel Dieu de Paris une consultation appelée "post Covid", spécifiquement destinée à ces patients atteints par de telles "formes longues" de Covid-19. Voici ce que nous avons appris jusqu’à présent selon la professeure Dominique Salmon, infectiologue à l'hôpital de l'Hôtel-Dieu à Paris.
Une maladie initialement peu sévère
La Covid-19 est le plus souvent une maladie aiguë et bénigne. En effet, la plupart des cas de Covid-19 sont symptomatiques, même si environ 40 à 45 % des infections semblent être asymptomatiques. Les symptômes apparaissent après une période d’incubation d’environ 5 jours. Parmi les plus fréquents, on peut citer une fièvre ou des frissons, des signes ORL tels que douleurs de gorge ou écoulement nasal (rhinorrhée), des maux de tête, une perte de l’odorat (anosmie), parfois une perte de goût (agueusie), une toux sèche, des douleurs thoraciques et une fatigue. Ces symptômes durent en moyenne 7 à 9 jours, puis régressent progressivement en deux à trois semaines.
Une petite proportion de patients, de l’ordre de 8 à 15 %, va développer une maladie plus sévère avec pneumonie entraînant un défaut d’apport en oxygène (pneumonie hypoxémiante), qui nécessite parfois l’admission en réanimation. Les facteurs de risque de ces formes sévères sont essentiellement l’âge, le sexe masculin, le diabète et l’obésité, ainsi que l’hypertension. Le risque global de décès est de l’ordre de 4 à 5 % au niveau global, mais il est beaucoup plus élevé, de l’ordre de 20 à 25 %, pour les patients admis en réanimation.
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Quand les symptômes persistent
Habituellement, la charge virale (PCR) qui apparait 2 jours avant les symptômes est maximale au début de la maladie, puis commence à décliner rapidement à partir du septième jour. La culture virale est rarement positive lorsque la charge virale est basse, et il en est de même lorsque le test est fait plus de 8 à 10 jours après le début des symptômes. Plusieurs articles ont cependant décrit des cas de persistance du virus au niveau du rhinopharynx. Dans de très rares cas, cette persistance virale peut se prolonger pendant plusieurs mois, en particulier chez les sujets ayant fait une forme sévère, âgés ou dont le système immunitaire ne fonctionne pas correctement (personnes dites « immunodéprimées »). On ne sait pas à ce jour si ces sujets sont susceptibles d’être contagieux.
D’autres études ont montré que chez certains patients, un ou plusieurs symptômes peuvent persister plusieurs semaines, voire mois, après le déclenchement de la maladie, même après une infection peu sévère. Nos résultats, présentés lors de la première conférence sur la Covid-19 de la Société européenne de Microbiologie clinique et des Maladies infectieuses (ECCVID 2020) et publiés dans la revue spécialisée Journal of Infection en décembre 2020, avaient pour objectif de décrire le profil clinique et virologique de patients présentant des symptômes prolongés. Nous nous sommes penchés à la fois sur les symptômes persistants (encore présents plus de deux mois après une infection aiguë) et sur les symptômes résurgents, c’est-à-dire apparus au moins 3 semaines après une période d’accalmie relative.
Des personnes jeunes, majoritairement féminines
Depuis l’ouverture de cette consultation jusqu’à mi-juillet 2020, nous y avons accueilli 113 patients se plaignant de symptômes prolongés. Leurs données ont été recueillies de façon anonymisée et standardisée sur un questionnaire pré-établi, et avec leur accord (cette étude, dénommée PERSICOR, a été déclarée au comité de protection des personnes de l’Hôpital Henri Mondor). Les antécédents des patients, l’histoire clinique initiale et celle des rechutes, les données virologiques, biologiques et radiologiques y été précisées.
Parmi les patients qui se sont présentés, 70 avaient bien eu une infection à SARS-CoV-2 documentée, qui pu être confirmée par RT-PCR ou sérologie. La PCR n’avait été positive dans 62,3 % des cas. Ce pourcentage s’explique par le fait que les tests PCR n’étaient pas systématiques au début de l’épidémie. En revanche, les tests sérologiques se sont avérés positifs pour la grande majorité de ces 70 personnes (92,7 %). Autrement dit, des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 étaient présents dans leur sang, ce qui témoigne d’une rencontre avec le coronavirus.
Malgré une histoire clinique compatible avec la Covid-19 (sur un faisceau d’au moins 3 signes cliniques évocateurs comme l’anosmie, un contact avec un cas confirmé ou un scanner évocateur), les 43 autres patients n’ont pas pu avoir de documentation de leur infection par le SARS-CoV-2. La majorité n’a pas pu se faire tester par PCR, car celle-ci n’était pas encore recommandée, et les analyses sérologiques (pour les 40 de ces participants qui en ont bénéficié) se sont avérées négatives. Tous les patients ont été pris en charge de la même façon. Cependant, nous nous sommes focalisés dans un premier temps sur la description des 70 patients ayant un diagnostic confirmé. Ceux-ci étaient relativement jeunes, puisqu’âgés de 36 à 51 ans, avec un âge médian de 45 ans. La moitié d’entre eux pratiquaient un sport régulièrement. Enfin, les femmes étaient surreprésentées dans cet échantillon (78,6 % des participants).
Par ailleurs, environ la moitié des personnes concernées présentait un terrain allergique, et 13 % avaient un antécédent de pathologie auto-immune personnelle ou familiale.
Des symptômes différents lors des rechutes
Les symptômes de Covid-19 survenus lors du 1er épisode s’étaient en général avérés minimes. Seuls neuf patients avaient dû être hospitalisés, parmi lesquels deux avaient dû être mis sous oxygène. Aucun n’avait dû être admis en réanimation. Lors de la phase persistante ou lors de rechutes, les symptômes observés pouvaient différer de ceux qui s’étaient manifestés initialement. Le plus prédominant d’entre eux était la fatigue. Souvent extrême (asthénie), celle-ci a contraint une grande partie des patients à interrompre à nouveau le travail qu’ils avaient pu reprendre après la maladie. Cette asthénie était souvent majorée par le moindre effort un peu poussé, aussi bien physique qu’intellectuel.
Au second plan, ces patients évoquaient des symptômes neurologiques tels que des maux de tête, des troubles de la mémoire, de la concentration, de l’humeur, une somnolence ou au contraire une insomnie, ou encore des troubles sensoriels : fourmillements ou sensations de brûlure le long des membres, sur le corps ou au niveau de la face, douleurs neurogènes (touchant les nerfs), troubles de l’équilibre, vertiges ou surdité ou, plus rarement, troubles de la déglutition et de l’élocution ou problème de régulation de la température corporelle. Les malades évoquaient également des symptômes cardiovasculaires et thoraciques : oppression et douleurs thoraciques, palpitations ou variation brutales du rythme cardiaque, gêne respiratoire (dyspnée) durant l’effort et toux.
Enfin, d’autres catégories de symptômes étaient rapportées par plus de 30 % des patients, quoique moins fréquemment : des douleurs musculaires ou tendineuses, une rechute plus ou moins prononcée de l’anosmie, des signes digestifs (diarrhées ou encore douleurs épigastriques), des signes cutanés ou vasculaires avec inflammation le long des trajets veineux… Dans la moitié des cas, un intervalle libre de quelques jours ou semaines a été noté entre le premier épisode symptomatique et les épisodes successifs. Ces symptômes étaient fluctuants, mais se produisaient pour certains patients toutes les semaines, voire tous les jours.Des examens peu concluants
Les examens réalisés lors du second épisode et des suivants ont, dans la majorité des cas, peu contribué à éclairer le diagnostic. Si les symptômes cardiothoraciques de certains patients ont pu être rapportés à une inflammation du muscle cardiaque (myocardite) ou de la membrane qui l’entoure (péricardite), généralement peu de signes biologiques d’inflammation et peu de désordres immunitaires ont pu être mis en évidence. Chez onze personnes, les examens par PCR ont cependant révélé une persistance du virus au niveau du rhinopharynx, qui a parfois duré plus de 6 mois après l’épisode initial.
Le suivi de ces patients est encore court, puisqu’ils n’ont été revus pour la plupart qu’à 3 mois. Il a néanmoins pu être observé au cours de cette période que les symptômes mentionnés étaient fluctuants. Ils évoluaient souvent par poussées : de courtes périodes durant lesquelles ces personnes vont bien alternent avec d’autres où les symptômes reviennent. Ces poussées sont souvent provoquées par les efforts importants. Avec le temps, elles semblent néanmoins de moins en moins fortes et de plus en plus espacées. Certains patients, en minorité cependant, semblent à ce jour en rémission complète. Ces observations nous ont permis d’émettre plusieurs hypothèses pour expliquer cette persistance ou réémergence de symptômes.
Le virus persiste-t-il ?
La première hypothèse, la plus évidente, est celle qui postule que, chez certains patients, le virus pourrait rester présent, en se reproduisant ou non soit au niveau des sites usuels (le rhinopharynx, le tube digestif), soit à d’autres endroits de l’organisme. Cependant, rares sont les cas où il a été formellement démontré que le virus se répliquait de façon prolongée. L’étude de ces quelques sujets ayant un ARN viral détectable plusieurs mois après le premier épisode a révélé que ces malades avaient plus souvent que les autres une perte d’odorat. Or, on sait que l’anosmie est liée à une atteinte de l’épithélium olfactif situé dans la région haute de l’orifice nasal, qui est la zone importante de réplication du virus. On peut aussi émettre l’hypothèse que le virus ait pu diffuser de cette zone vers des endroits difficilement accessibles à la recherche du virus, tels que d’autres cellules situées ailleurs dans l’organisme et portant le récepteur ACE2, qui permet l’entrée virale. Cette diffusion du virus a été montrée à la phase aiguë dans les cellules endothéliales en cas d’engelures, mais aussi dans d’autres organes dans les formes le plus sévères (cellules cardiaques, cellules digestives, rénales…).
Autres hypothèses : réinfection, réponse immunitaire inadaptée, terrain génétique particulier
Une seconde hypothèse est celle d’une réinfection par le SARS-CoV-2, une situation qui existe, mais semble encore exceptionnelle. Outre le fait que les patients que nous suivons ne semblent pas avoir été réexposés au virus, les signes qu’ils présentaient lors des épisodes prolongés différaient souvent de ceux observés lors de la phase aiguë de Covid-19. Par ailleurs, la majorité d’entre eux avaient acquis des anticorps anti-SARS-CoV-2. Certes, encore faudrait-il savoir si ceux-ci confèrent une protection : les connaissances des infections par d’autres virus nous ont appris que tous des anticorps ne sont pas nécessairement protecteurs, et quand bien même ceux-ci le seraient, il se pourrait que cette protection ne soit que transitoire.
Une troisième hypothèse est que certains sujets pourraient développer une réponse immune inadaptée, du fait d’un terrain génétique particulier. Chez eux, des réponses immunes excessives et inadaptées se développeraient, autrement dit leur système immunitaire s’attaquerait à leur propre organisme. Une telle situation a déjà été décrite dans certains syndromes post-infectieux, donnant lieu à des rhumatismes ou des péricardites post-infectieuses. Le fait d’avoir observé chez certaines personnes des péricardites ou des myocardites apparues tardivement doit nous inciter à explorer plus avant cette piste. Mais là encore, il s’agit d’une situation assez rare qui n’a été observée que chez 9 sujets environ de notre série.
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Un syndrome de fatigue chronique ?
Une quatrième hypothèse serait celle de l’apparition d’un syndrome de fatigue chronique, encore appelée « encéphalomyélite myalgique ». Cette maladie invalidante, reconnue par l’Organisation mondiale de la santé, survient de façon retardée, en général à la suite d’un événement infectieux. Elle peut aussi survenir, quoique moins souvent, après un événement stressant ou une exposition à un toxique.
Le syndrome de fatigue chronique se traduit par une fatigue physique qui n’est pas calmée par le repos (asthénie) et qui nuit aux activités quotidiennes. Cet épuisement est associé à un cortège de symptômes, assez variables selon les individus.
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Formes longues de Covid-19 et fatigue chronique : similitudes et différences
Il existe plusieurs définitions du syndrome de fatigue chronique, mais la plus consensuelle est celle des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies américains (Centers for Disease Control – CDC). Elle précise que le syndrome de fatigue chronique se caractérise par une fatigue sévère persistant depuis plus de 6 mois, associée à au moins quatre signes parmi ceux-ci : malaise après exercice, repos non réparateur, trouble de la mémoire ou de la concentration, douleurs musculaires, douleurs de plusieurs articulations (polyarthralgies), douleurs à la déglutition (odynophagies), maux de gorge, maux de tête (céphalées), présence de ganglions (adénopathies). Plusieurs études ont objectivé au cours de ce syndrome des anomalies du système nerveux autonome.
Cette maladie affecte de façon prédominante les adultes, en particulier les femmes, avec un pic entre 20 et 45 ans. De façon très caractéristique, le syndrome de fatigue chronique se définit par un malaise survenant après un effort cognitif ou physique qui pouvait jusqu’alors être effectué facilement. Au cours du temps, les symptômes persistent, mais déclinent en intensité. Malgré de nombreux travaux, les origines biologiques du syndrome de fatigue chronique ne sont pas encore élucidées. Certains auteurs pointent une susceptibilité génétique. D’autres penchent pour une atteinte du système nerveux autonome, qui dirige tout le fonctionnement involontaire de notre organisme (la respiration, la digestion, les battements de notre rythme cardiaque, la régulation de la température corporelle…). Plusieurs auteurs soulignent les conséquences psychologiques délétères du syndrome de fatigue chronique. Ces symptômes invalidants et leur répétition peuvent en effet engendrer une anxiété majeure et avoir des conséquences importantes sur le plan relationnel, professionnel.
La catégorie d’âge de notre série de patients ayant des symptômes prolongés de Covid-19 correspond à celle du syndrome de fatigue chronique. Il existe également des similitudes entre les symptômes rapportés par nos patients et ceux dudit syndrome. Nous avons remarqué que nos patients présentaient des symptômes touchant à la fois plusieurs organes. Rares étaient ceux qui avaient une fatigue isolée. Certains regroupements de symptômes chez un même patient (variation involontaire du rythme cardiaque, difficultés respiratoires, troubles neurologiques fluctuants, fatigue…) étaient évocateurs d’une atteinte du système nerveux autonome.
Cependant, les signes observés dans le cas des personnes « Covid longs » sont globalement plus divers. En outre, d’autres signes présents chez nos patients ne sont pas rapportés au cours du syndrome de fatigue chronique : signes cutanés ou vasculaires, perte d’odorat, inflammation du muscle cardiaque (myocardique…
Pas de traitement, mais les recherches se poursuivent
À l’heure actuelle, en dehors des péricardites pour lesquelles l’aspirine a fait preuve de son efficacité, nous n’avons pas de traitement spécifique à proposer aux patients atteints de formes prolongées de Covid-19. Nous les encourageons à économiser leurs efforts, à la fois physiques et intellectuels, de façon à ne pas aller au-delà de leur seuil de tolérance à l’effort selon la technique de Pacing proposée aux patients atteints de syndrome de fatigue chronique.
Nous recherchons aussi la présence d’un syndrome d’hyperventilation, car celui-ci peut facilement se rééduquer et permettre ensuite de proposer, au cas par cas, une réhabilitation à l’effort. Le terrain psychologique est également exploré, en particulier l’anxiété, car celle-ci peut exacerber d’éventuelles pathologies sous-jacentes, somatiques et psychiques. Quoique très fréquente, cette anxiété n’est pas toujours admise par les patients. Elle justifie néanmoins de proposer systématiquement une prise en charge psychologique, pour les aider affronter cette situation. Heureusement, cette dernière ne va pas dans le sens d’une aggravation, mais plutôt d’une stabilisation ou vers une lente amélioration avec le temps.
Pour mieux comprendre ces formes prolongées de Covid-19, nous mettons en place une cohorte nationale de plus de 1000 patients présentant des « Covid longs », qui seront suivis sur le plan clinique pendant un an la cohorte COCOLATE. La promotion de cette cohorte sera assurée par le centre hospitalier de Tourcoing et coordonnée par le Dr Olivier Robineau (centre hospitalier de Tourcoing), le Dr François Goehringer (CHU de Nancy) et moi-même en tant que responsable scientifique, en collaboration avec la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF) et plusieurs équipes de chercheurs, en particulier de l’Institut Pasteur. Cette cohorte permettra de décrire de façon fine les aspects cliniques de ces symptômes sur un grand nombre de patients et leur évolution au fil du temps. Grâce à des prélèvements d’échantillons biologiques, les scientifiques tenteront d’identifier une ou des signatures biochimiques (virologiques, immunologiques ou génétiques) de ce syndrome.
Ces recherches seront également complétées par des études de sciences sociales : enquête de qualité de vie, évaluation de la santé mentale… D’autres travaux en population générale permettront de préciser la fréquence et les facteurs de risque de survenue de ces symptômes prolongés, parmi les personnes ayant fait un Covid-19. Avec l’objectif, à terme, de déterminer quels traitements pourront être proposés à ces patients.
Dominique Salmon, Médecin, PU-PH - Maladies Infectieuses, AP-HP - Présidente du COREVIH Ile de France Sud, Université de Paris. Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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