Les Assises de la psychiatrie devraient avoir lieu d'ici l'été. L'opportunité pour la Fédération Hospitalière de France, qui pilote un groupe d'experts dédié à la psychiatrie et à la santé mentale, de consacrer au secteur une Webconférence. Objectif : établir une cartographie du domaine et évoquer les perspectives que l'organisation préconise, tant sur le plan de l'économie de la santé que sur celui de l'organisation ou encore des enjeux auxquels répondre de manière concrète dès le début de l'année prochaine.
Couramment considérées comme le "parent pauvre" de la santé, la psychiatrie et la santé mentale souffrent de divers maux. Dans un atelier consacré le 19 mai au diagnostic et aux nécessaires évolutions du secteur, la Fédération Hospitalière de France en a dressé le bilan et exposé les axes d'amélioration qu'elle juge indispensables pour répondre aux besoins de santé et aux droits des patients. Des propositions qui trouvent leurs racines dans le travail mené depuis plus de deux ans par un groupe d'experts piloté par la FHF et dont les recommandations devraient être mises en oeuvre au début 2022.
1 personne sur 4 est touchée par des troubles psychiatriques chaque année selon l'OMS
25 % des Français sont concernés par des troubles psychiques au cours de leur vie
En France, on compte 13 115 psychiatres en activité (soit 19 pour 100 000 habitants)
Les principales pathologies sont :
- la schizophrénie (1 à 2 % des adultes)
- la dépression (8 millions de Français)
- les troubles bipolaires (entre 1,2 et 5,5 % de la population)
- les troubles anxieux (1 femme sur 5 et 1 homme sur 10)
20 % des personnes touchées par le Covid-19 développent un trouble psychiatrique post-infection
Sources : ATIH, DREES, IGAS, Ordre des médecins, SAE
Des dysfonctionnements préexistants
En rendant les troubles psychiques plus prégnants et en accroissant les besoins, la crise sanitaire a créé les conditions d'un tournant décisif pour la psychiatrie
, a relevé d'emblée Zaynab Riet, Déléguée générale de la FHF. Une accentuation, certes, mais les dysfonctionnements étaient bel et bien présents avant l'épidémie de Covid-19. Parmi eux, le financement de la psychiatrie publique, dont les dotations annuelles augmentent environ quatre fois moins rapidement que celles allouées au secteur privé à but lucratif alors qu'elle prend en charge 84 % de l'activité générale de la spécialité. Un écart qui se poursuit à l'heure actuelle et qui crée une psychiatrie à deux vitesses et creuse la sous-dotation déjà constatée
, regrette Aurélien Sourdille, adjoint au Pôle finances de la Fédération. Sur le plan des pathologies et en complément de celles classiquement observées, la prise en charge de plus en plus fréquente d'individus en situation d'"état-limite" complique le travail des équipes soignantes et requiert une mobilisation collective accrue. Défini par le Pr Jean-Louis Senon, psychiatre et Président du groupe de travail FHF, comme un fonctionnement situé entre la psychose et la normalité
, l'état-limite se manifeste par des troubles comportementaux (intolérance à la frustration, difficultés d'insertion, instabilité...) et des difficultés relationnelles considérables. Il nécessite de restaurer, grâce à un travail de mise en mots, les repères perdus - et notamment celui de l'image parentale. Vient enfin l'attractivité de la profession, en berne depuis des années, et qui n'occupe aujourd'hui que la 40ème (sur 44) place du choix des internes après classement national (ECN).
Le désamour qui touche la psychiatrie pourrait être contrebalancé, entre autres, par un tutorat de meilleure qualité
Propositions clairement définies
Face à cet état des lieux, la FHF propose une liste de propositions claires. Elle rappelle la nécessité de garantir aux patients un accès aux soins pluridisciplinaires et de proximité pour éviter les ruptures de parcours. Pour ce faire et combler en partie des "zones blanches" où trop peu (voire aucun) de professionnels exercent, elle préconise tout d'abord d'aller au bout de la réforme du financement global de la spécialité en supplantant les dotations différenciées public/privé par une politique unifiée. Une politique fondée sur les besoins populationnels régionaux et leur évolution (difficultés sociales, nombre de places disponibles...) ainsi que sur la dynamique d'activité des territoires. Un consensus qu'appelle de ses voeux A. Sourdille, tout comme le Dr Christian Muller, psychiatre et Vice-Président du Conseil d'Administration de la FHF Hauts-de-France : maintenant que les Projets Territoriaux de Santé Mentale (PTSM) ont été créés, il faut réfléchir à la manière d'en contractualiser et d'en pérenniser le fonctionnement. C'est une voie d'avenir que nous invitons les professionnels libéraux à rejoindre et dont d'autres secteurs médicaux comme celui de la chirurgie-obstétrique semblent déjà vouloir s'inspirer
. Pour remédier par ailleurs au manque d'attractivité du secteur, plusieurs pistes sont envisagées, et notamment celle du renforcement de la formation des professionnels. Souvent montrée sous un angle négatif (soins sous contrainte...) et synonyme de contraintes trop importantes (travail de nuit, clinique difficile...), la psychiatrie n'attire plus. Pour les experts, le désamour qui la touche pourrait être contrebalancé, entre autres, par un tutorat de meilleure qualité. Trop souvent, les internes préfèrent délaisser le secteur en raison d'un encadrement qu'ils jugent insuffisant au regard des responsabilités
, constate JL Senon. Concernant les autres professionnels, le groupe de travail insiste enfin sur le rôle des infirmiers, et notamment de ceux en pratique avancée psychiatre-santé mentale. Pour C. Muller, ils pourraient être une source incontournable de connaissance des pathologies somatiques en milieu hospitalier, mais également un relais de la prise en charge pharmaceutique du patient, de même que des acteurs à part entière des situations non-programmées, sous réserve d'organiser de manière efficace les synthèses et transmissions. Dans les faits, les choses se passent déjà ainsi ; la révision des textes, qui est nécessaire, ne fera que légitimer des pratiques qui ont déjà cours
, confie le psychiatre.
De l'avenir du secteur dépendra celui de la prise en charge des patients
Préparation des Assises
Car rester en l'état, c'est aggraver la paupérisation de la psychiatrie
, prévient C. Muller. A l'approche de la tenue des Assises qu'elle prépare déjà et de longue date, la Fédération espère que les logiques qu'elle estime présider au futur du secteur émergeront. Pour elle, il s'agit tout d'abord de la proximité et de l'accompagnement des patients ; mais aussi de la mise en place d'un dépistage précoce des pathologies ; et enfin de l'élaboration d'un maillage territorial en lien avec l'ensemble des personnes-ressources nécessaires à la prise en soin des malades, et ce de façon organisée. Pour le groupe d'experts, qui rappelle que le secteur s'est mobilisé dès le début de la crise sanitaire pour éviter aux patients toute rupture de soins, la pathologie psychiatrique est une perte massive de libertés et sa prise en charge, pluridisciplinaire et de qualité, le moyen d'éviter la dégradation, parfois sévère, de la situation et le repli du patient sur lui-même. Nous attendons énormément de cet événement. Il servira naturellement à finaliser la réforme du financement du secteur, à accroître son attractivité et à garantir aux patients la qualité de leur prise en charge. Au-delà, l'enjeu central est désormais d'établir une véritable politique de santé publique qui réponde dans la durée aux besoins de santé. De l'avenir du secteur dépendra celui de la prise en charge des patients
, a résumé Z. Riet.
Anne Perette-Ficaja
Directrice de la rédaction
anne.perette-ficaja@gpsante.fr
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