Les plaies tumorales consécutives à un processus carcinologique sont des plaies chroniques et spécifiques dont l’évolution dépend de la réponse aux traitements anti-cancéreux. Qu’elles se présentent sous forme de tumeurs primitives ulcérées à la peau ou de récidives cutanées, leur prise en charge se devra d’être adaptée au contexte curatif ou palliatif et privilégier la qualité de vie du patient.
Les patients souffrant de cancer peuvent développer des plaies tumorales consécutives à un processus carcinologique primitif ou métastatique déjà bien avancé . Les plaies peuvent également être induites par les traitements :
- radiodermites : on les définit comme l’ensemble des réactions provoquées par une irradiation sur la peau. On distingue les radiodermites aiguës et les radiodermites chroniques. Les radiodermites aiguës correspondent à des lésions précoces pendant ou après (quelques jours ou quelques semaines) une irradiation ;.
- radionécroses des tissus par exposition à des doses trop élevées de radiations ionisantes ;
- plaies post-chirurgicales.
Ces plaies tumorales n'ont pas tendance à la cicatrisation spontanée, véritables plaies chroniques, elles sont également influencées par l’état général (immunodépression) et par les traitements anti-agiogéniques (Anti VEGF) - nouveaux médicaments empêchant l’angiogénèse, c'est-à-dire la fabrication des vaisseaux sanguins qui irriguent les tumeurs cancéreuses - qui favorisent les retards de cicatrisation.
Le mécanisme physio-pathologique de ces plaies tumorales est le suivant : les cellules cancéreuses envahissent l’épithélium, pénètrent dans les vaisseaux sanguins et lymphatiques puis, par cette voie, jusque dans l’épiderme entraînant une perte de vascularité et donc d’oxygénation pour la peau, menant à la nécrose des tissus. Ces ulcérations cutanées (cancers cutanés, métastases cutanées « nodules de perméation », atteinte de contiguité T4), peuvent être très impressionnantes, mutilantes, voire rebutantes. Surinfection, exsudats nauséabonds, hémorragies capillaires... leur évolution dépend des traitements anti-cancéreux et de la réponse du patient à ces derniers.
Des plaies tumorales spécifiques
- Plaies tumorales bourgeonnantes : très impressionnantes, elles sont également très malodorantes et leur détersion est peu ou pas efficace (échec hydrodétersion). De plus, l’usage d’antibiothérapies répétées favorise l’émergence de germes résistant (BMR) .
- Plaies tumorales cavitaires : l’atteinte se fait par contiguité, sous forme épidermoïde, structure rappelant celle de l’épiderme (couche superficielle de la peau) et ce, avec trois risques majeurs : septique, fonctionnel et hémorragique. La phase curative fait appel à une chirurgie de couverture ; la phase palliative bénéficie des seuls soins locaux avec une nécessité de concertation pluridisciplinaire (médecins/infirmières)
- Plaies tumorales planes : elles sont de détersion facile (mécanique, hydrochirurgie) mais provoquent des douleurs nociceptiques, neuropathiques. Il faut veiller à deux choses : le pansement secondaire (pas d’adhésif) et les problèmes de voisinage (par exemple avec le cathéter central).
La prise en charge de ces différentes typologies de plaies tumorales devrait s’appuyer sur une classification claire et étayée afin d’homogénéiser les pratiques en la matière. Les différents items pourraient être les suivants : type - bourgeonnant, cavitaire, plane - ; surface ; symptômes - exudat, odeur, saignement – risque – vital, fonctionnel
Quid des traitements des plaies tumorales
Traitements étiologiques
En parallèle des traitements généraux (chirurgie, chimiothérapie, thérapeutiques ciblées, radiothérapies et hormonothérapies), l’adaptation des soins locaux et des pansements modernes sera en fonction des caractéristiques de ces plaies : aspects, types, symptômes, qualité de vie du patient. La frontière entre la phase curative et palliative est souvent infime et certaines situations mettent en jeu le pronostic vital du patient à court terme. Il va sans dire que la prise en charge des plaies tumorales est un savant mélange de savoir, savoir-faire et savoir être.
Traitements symptômatiques
- concernant les odeurs : usage de Metronidazole (Flagyl®, Tiberal®, Rozex®) per os, en IV ou localement (agit essentiellement sur les bactéries anaérobies) ;
- concernant les hémorragies : arrêt des médicaments vasodilatateurs ou altérant la viscosité, adjonction de vitamine K, surveillance NFS/plaquettes et transfusion si besoin, apport d’hémostatiques locaux (alginate, adrénaline) ;
- concernant les douleurs : paliers 1,2 et 3 +/- co antalgique, usage de l’anesthésie locale ou générale, du MEOPA (protoxwyde d’azote) ou de la morphine locale (en cours d’évaluation) ;
- prise en charge nutritionnelle : évaluation précise (objectif secondaire), proposition de suppléments alimentaires, alimentation parentérale/entérale (après discussion en équipe et avec le patient et/ou sa famille), surveillance Albumine, Pré Albumine, PINI (pronostic inflammatory and nutritional index) ;
- prévention et traitement : veiller également aux effets secondaires des traitements et de la maladie (constipation, nausées, vomissements) ;
- risques liés à l’Avastin®, (anti VEGF) : contre-indication s’il existe une plaie chirurgicale, cependant il est parfois prescrit même en présence d’une plaie tumorale ou autre plaie chronique ;
- évolution de la plaie tumorale : veiller aux éléments suivants : nécrose rapide de la tumeur (molle), douleur, formation d’une cavité, absence de contrôle de l’évolution de cette plaie pendant plusieurs mois (de 3 à 6 mois) ;
- évolution de la plaie chronique : veiller aux éléments suivants : arrêt de la cicatrisation avec altération sans possibilité de reprise du processus et ce, pour un temps indéterminé (4 à 6 mois ?).
Quid du soin des plaies tumorales
Le soin des plaies tumorales doit tenir compte de plusieurs éléments : des caractéristiques et de l’aspect de la plaie, de l’état somatique et psychologique du patient (refus de chirurgie, tumeur négligée, âges extrêmes...), de son contexte personnel (culturel, mode de vie...), de ses valeurs et représentations de la maladie, du cancer (crabe, mort, plaie vivante...) mais aussi des soignants (rôle technique, information, confiance, relation d’aide...).
La toilette est la première étape du soin. Dans l’idéal, elle est réalisée par le patient lui-même. Quelle que soit l’étendue de la plaie, une douche (ou un jet sous pression) avec un savon liquide neutre est préconisée (à défaut avec un gant à usage unique) afin de favoriser le bien-être, atténuer les odeurs, prévenir ou traiter l’infection et assurer une bonne hygiène tant au niveau de la lésion qu’à sa périphérie. A défaut, la plaie est nettoyée au sérum physiologique ou à l’eau stérile. Le soin doit bien évidemment tenir compte de l’état psychologique du patient (anxiété, douleurs...), de sa capacité physique et de l’environnement dans lequel il évolue (services de soins ou domicile). Au-delà de la technicité, le soin doit s’inscrire dans un climat de confiance étant donné les particularités de ce type de plaie et leur chronicité
Arbre décisionnel réalisé par l’Unité Plaies et cicatrisation de l’Institut Curie
Rappels de quelques points importants
- L’aplasie : toutes les périodes d’aplasie réduisent, voire stoppent les phénomènes de cicatrisation et majorent le risque infectieux, voire le cache plus ou moins.
- L’obligation de confort : le confort est le premier partenaire du patient : le soin doit donc s’adapter à sa vie quotidienne.
- La fréquence des soins : 1 pst / j., la personne soignée est ainsi moins dépendante de ses soins.
- La colonisation/infection : attention à ne pas confondre colonisation/infection (malgré l’aspect « reboutant »), attention également au pansement semi-occlusif en période de « colonisation critique ».
- L’aspect psychologique : les soins et les traitements lourds et longs modifient l’image corporelle du patient. La plaie est souvent perçue par le patient comme le reflet de l’évolution de sa maladie. De plus, face à des personnes « négligées », , le soignant doit adapter sa prise en charge et son attitude : absence de jugement, qualité de l’accueil...
- La qualité de la peau péri lésionnelle : veiller à utiliser des fixations non adhésive, de la protéger (ex.: Cavilon®) et de l’hydrater (ex. : Dexeryl®).
Enfin, la continuité des soins est indispensable, gage de qualité et de confiance, car l’amélioration est toujours possible, même si elle n’est que palliative.
Pour conclure
Il faut se souvenir que la prise en charge des plaies tumorales est globale et interdisciplinaire. La connaissance et la maîtrise technique, bien qu’indispensables, ne protègent ni le soigné, ni le soignant, de situations parfois difficiles, voir pénibles. De fait, la prise en charge de ces plaies chroniques et délicates requiert de la modestie, un travail d’équipe nourri accompagné d’une réflexion éthique visant toujours la même finalité : le respect de la personne malade.
Quel que soit le contexte de soin, curatif ou palliatif, la prise en charge pluridisciplinaire doit viser l’amélioration de la qualité de vie du patient et de son entourage.
Dr Isabelle JAFFRE Chirurgien, Centre René Gauducheau, Institut de cancérologie de l’Ouest, Nantes. jaffre.isabelle@gmail.com
Isabelle FROMANTIN Infirmière expert, Institut Curie, Paris. isabelle.fromantin@curie.net
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