S’il fallait expliquer le vide, ce vide qui m’emplit parfois le corps et l’esprit, ce serait compliqué, aussi complexe que l’état dans lequel il me rend. L’apathie : mélange de mélancolie et de désespoir. Je ne sais pas de quoi, de qui j’ai besoin. Je suis là. Je ne ressens plus rien. Je crois que si cet état ne m’emporte pas, jamais je n’oublierai. Envies, rêves s’effacent, s’éloignent… L'infirmière ordinaire, sur son blog éponyme, s'épanche en toute intimité. Ecoutons-la, soutenons-la, partageons sa souffrance et ouvrons l'oeil…
La douleur physique, les traitements quasi inefficaces, les examens multipliés m’ont marqué à vie. Cette douleur est toujours là mais je ne la ressens plus comme telle parce qu’elle n’a aucune légitimité. Elle n’existe pas. Elle n’existe pas et dans un sens moi non plus je n’existe plus depuis que tout cela a commencé. La lutte que j’ai mené pour rester debout au travail en est peut être aussi une cause…
Je ne sais pas… On me le rappelle de temps en temps. Je ne fais pas un métier facile. Mais quel métier est facile
? Le burn-out est une expression fourre-tout défini par : un état de fatigue intense et de grande détresse causés par le travail
. Il n’est pas bien difficile de se rendre compte que cette définition est compliquée à appliquer, même à ceux que le travail a broyé. Un état de fatigue intense et de grande détresse
ne peut être lié qu’au travail lui-même, il y a forcément d’autres éléments de la vie personnelle qui entrent en jeu ou alors la personne touchée n’a aucune vie en dehors du travail ce qui est... impossible, fort heureusement d’ailleurs. Peut être pourrions-nous parler d’état dépressif induit ou aggravé par des conditions de travail inadaptées à une personnalité à un moment précis de sa vie ou d’une manière répétée ce qui tend à rendre celles-ci insupportables ?
Cette douleur est toujours là mais je ne la ressens plus comme telle parce qu’elle n’a aucune légitimité. Elle n’existe pas.
Quelle qu’en soit la définition, de toute façon, ce n’est pas une pathologie en tant que telle mais un syndrome dont les symptômes peuvent être rattachés également à des pathologies bien spécifiques. Un mal-être au travail renvoie forcément une personne à des questionnements profonds qui remettent en cause son environnement personnel, c’est inévitable. Ces questionnements peuvent aussi le fragiliser, ce qui tend à renforcer le mal-être. C’est un vrai cercle vicieux dans lequel il devient vite difficile de déterminer si l’état de la personne est lié à l’un ou à l’autre... les deux probablement... Souvent, quand le professionnel craque réellement, c’est très bruyant et il est bien trop tard pour faire la distinction. Malheureusement je crois que je suis dans ce cas. Mais comment et où chercher de l’aide quand on travaille à son compte ? Je ne parle pas d’une écoute/aide comme le proposent les numéros spéciaux pour les professionnels de santé en souffrance mais de l’aide, une vraie aide : un soutien physique, psychologique et social ( parce que les charges courent). S’arranger avec ses collègues, s’arrêter un peu quand on peut mais toujours sans solution n’en est pas une. Le salariat. S’arrêter... mais quand ? Après en être arrivé à trouver insupportable le décès brutal d’une patiente? Trop tard, de toute façon. Les marches se descendent lentement pour atteindre le bord du vide.
Souvent, quand le professionnel craque réellement, c’est très bruyant et il est bien trop tard pour faire la distinction. Malheureusement je crois que je suis dans ce cas.
S’il fallait trouver la genèse de mon burn-out
, en regardant un peu en arrière, je me demande s’il n’a pas débuté quand j’ai commencé à éprouver l’envie de tenir un blog et de publier mes points de vue et ressentis sur la profession infirmière. Avoir un retour positif sur mes écrits m’a aidé à tenir... La construction de ce personnage que je pensais proche de la réalité (confiant, déterminé et bienveillant à toute épreuve) mais qui ne l’est pas tant que ça finalement parce que je suis devenue tout l’inverse. J’ai toujours eu du mal à m’identifier en rapport à cette profession, c’est peut être là le souci : trouver ma place sans trop écorner mes représentations, mes valeurs.
Jamais, et encore moins en libéral alors que je le pensais il y a peu, je ne m’y suis retrouvée. Jamais je n’ai pu prendre en soin comme je l’entendais, sans avoir cette impression de médiocrité. C’est terrible à admettre. C’est comme ça.
Je ne pense pourtant pas avoir un degré d’exigence au-delà de la norme, mais jamais je n’ai pu réunir toutes les conditions pour lesquelles je pourrais penser prendre en soin correctement quelqu’un ou d’un groupe d’individus. La remise en question est essentielle dans ce métier, c’est peut-être aussi ce qui m’a longtemps trompée. La mienne est devenue totale, au-delà même de la profession, c’est moi toute entière que je remets en question après m’être mise à nue virtuellement et face à des personnes qui n’en ont pas forcément compris l’enjeu.
Je me noie. Je n’ai pas encore de solution. Une bouée de sauvetage au milieu d’une mer déchaînée ne sera sûrement pas suffisante. Mais je respire toujours. Je respire et je suis vivante, c’est à peu près aujourd’hui les deux seules choses dont je suis absolument certaine.
J’ai toujours eu du mal à m’identifier en rapport à cette profession, c’est peut être là le souci : trouver ma place sans trop écorner mes représentations, mes valeurs.
Ce billet a été publié le 20 novembre sur le blog "une infirmière ordinaire". Nous la remercions de ce partage que nous souhaitons salutaire par une mise en mots réaliste de son épuisement professionnel réel. Que la communauté soignante partage ce témoignage poignant afin que cette infirmière sente toute la bienveillance à son égard et se sente moins isolée. Vos messages sur son blog seront les bienvenus.
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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