Hier, j'ai fait ma tournée en mode Guerre du Vietnam. En jean, tee-shirt et basket, j'ai affronté courageusement la torpeur d'un monde qui canicule à fond les ballons depuis plusieurs jours. A 6h30, le bulletin météo annonçait déjà 27°. J'ai sorti ma bouteille d'eau minérale du congélo. Je me suis dit qu'elle me ferait bien la matinée.
A 9 heures, le thermomètre du tableau de bord de ma bagnole flirtait avec les 31°. J'ai songé "climatisation" et fraîcheur dans l'habitacle. J'ai regardé le bouton ventilation de ma vieille caisse. J'ai compris que la modernité n'était pas encore entrée dans ma pauvre vie. J'ai ressorti l'éventail à mémé et j'ai attaqué la bouteille d'eau.
A 10 heures, j'ai victorieusement passé l'épreuve de la douche. Traduisez l'incursion dans une salle de bains de 5m2 sans aucune ouverture hormis un vasistas verrouillé depuis l'Antiquité et le challenge ultime de faire la toilette à une patiente hémiplégique de 122 kilos avec bien évidemment de l'eau chaude parce que l'eau froide, c'est trop froid et gnagnagna... J'ai alors pensé mousson, touffeur, lourdeur, sueur, suffocation, asphyxie, étouffement... Je me suis vue ramper dans les marécages du Mékong en version Rambo de pacotille. Les lunettes embuées, un court instant, j'ai vu ma fin arriver et puis mon instinct de survie a repris le dessus. Mon cerveau s'est mis en mode "cold" puis "Freeze". J'ai pensé hiver, neige, Noël, doudoune, syndrome mains/pieds congelés, voiture qui ne démarre pas, routes non dégagées, rhume, grippe, vaccins et... pharmaciens parce que ça rime et que ça le vaut bien, surtout pour eux...Je me suis dit que, finalement, l'été c'était plutôt pas mal surtout lorsque ça dure trois semaines dans l'année. J'ai regardé les auréoles sous mes aisselles, j'ai tenté de décoller mon jean de mes cuisses ruisselantes. J'ai compris le sens exact du mot "moulant". J'ai pensé jupe, paréo, maillot de bain, feuille de vigne, naturisme...
Je me suis vue ramper dans les marécages du Mékong en version Rambo de pacotille.
A 11h30, il faisait 37°. J'avais déjà proposé 19 verres d'eau à mes patients. Je me suis dit qu'ils ne m'en avaient offert aucun. Tout en dégoulinant de sueur lors de la pose de bas de contention, j'ai pensé déshydratation, signaux d'alerte, recommandations. J'ai songé torrent, cascade, fontaine à bière fraîche.
A 13 heures, j'ai vu ma tronche dans le rétro. J'ai songé au maquillage des mexicains à la fête des morts avec les fleufleurs de toutes les couleurs en moins et les yeux charbonneux en plus. Je me suis dit que je m'étais fait avoir avec un mascara "waterproof" qui n'avait de "proof" que le nom.
Je suis rentrée chez moi. Sous la douche, j'ai songé à ma copine Gaelle. L'après-midi, j'ai suivi ses conseils et j'ai fait péter le short assorti au marcel des grandes occasions pour faire ma tournée. Je me suis sentie allégée, aérée, ventilée et enfin libre...
Le bilan de ma fin de tournée a été à l'image d'une actualité où le harcèlement envers les femmes et les jugements de valeurs ont encore de beaux jours devant eux.
Aussi, à ma tatie Danièle de service qui m'a toisée avec un air de mépris, à celle qui m'a dit que ma tenue n'était pas adaptée, je dirais que les premières luttes pour porter des shorts ou des mini-jupes ont eu lieu il y a 50 ans et qu'il est navrant qu'une femme ait encore à se battre pour défendre le droit de s'habiller comme elle l'entend. Je lui dirais surtout que je n'ai pas besoin de son opinion et j'ajouterais que je suis consternée que ce soit une femme qui tienne ces propos envers une autre femme.
A ce patient dont les yeux se sont perdus dans mon corsage ou sur la courbe de mes reins, celui qui m'a appelé "ma chérie", "ma belle" ou "ma jolie", je dirais que mon marcel pas plus que mon short ne sont des invitations à quoi que ce soit et que je suis la belle-jolie-chérie de celui ou celle ou ceux que je choisis.
A toutes celles qui souffrent de la canicule ou pas d'ailleurs, je dirais simplement soyez libres de vos choix et restez-le.
A cet autre qui n'a pas compris que je n'étais pas intéressée lorsqu'il a posé sa main sur moi, je lui dirais que son comportement est punissable par la loi et j'ajouterais surtout que je n'ai ni remord ni regret de lui avoir mis une baffe dans sa gueule d'avoir mis un terme à la prise en charge le concernant.
A cette consoeur offusquée qui m'a dit que ma tenue n'était pas très hygiénique, je répondrais que la présence de son chien dans sa voiture durant ses tournées ne l'est assurément pas plus que mon short ou mon marcel.
Enfin, à toutes celles qui souffrent de la canicule ou pas d'ailleurs, je dirais simplement soyez libres de vos choix et restez-le. Faites honneur à toutes celles qui, avant vous, se sont battues non seulement pour nos droits les plus fondamentaux mais également pour que nous soyons respectées au même titre que les hommes.
Petite anecdote : Les femmes françaises ont le droit de porter un pantalon... depuis cinq ans ! La loi interdisant "le travestissement des femmes", qui datait de 1800, a enfin été abrogée le 4 février 2013. "cette ordonnance visait avant tout à limiter l’accès des femmes à certaines fonctions ou métiers en les empêchant de se parer à l’image des hommes". On a encore du boulot semble-t-il...
Bref, j'ai mis un short...et je continuerai à en mettre lorsque j'en aurai envie...
Une femme libre est exactement le contraire d'une femme légère
(Simone de Beauvoir).
La Seringue
Cet article a été publié le 4 août 2018 sur le blog de La Seringue Atomique que nous remercions de ce partage.
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