Les conflits dans les institutions
(…) Il existe une crainte endémique du conflit dans nos organisations modernes, et elle s'avère parfois telle que le surgissement de celui-ci peut valoir aux managers sanctions et mutations. Cette pusillanimité est amplifiée par l'obsession de l'image et de l'opinion.
La perspective du conflit s'avère parfois si effrayante qu'elle engendre des effets inverses à ce que la raison commanderait : le dirigeant peut alors sacrifier tout projet à terme et toute stratégie pour pratiquer un management tactique et opportuniste répondant au coup par coup aux feux qui s'allument ici ou là. Cette crainte peut engendrer aussi préventivement une « politique de l'autruche », qui conduit à une cécité complète par rapport à tous les événements qui surviennent. La devise triomphante dans les administrations - « pas de vague » - risque d'annihiler toute observation, de stériliser tout indicateur, de pardonner toutes les inepties, d'interdire toutes les innovations et d'enfoncer progressivement le système dans la médiocrité et le nivellement par le bas (L'Éducation nationale en est un exemple tragique).
Si l'on est surtout sensible aux effets dévastateurs du conflit, il convient néanmoins d'admettre que celui-ci sert toujours à quelque chose ou à quelqu'un, qu'il réponde aux intérêts stratégiques d'un ou plusieurs acteurs, ou qu'il accomplisse un invisible dessein collectif. Ainsi, loin d'être une « dysfonction » de l'organisation, le conflit s'avère au contraire parfaitement fonctionnel : il constitue un langage, un mode paroxystique d'expression lorsqu'un système de communication ordinaire n'apparaît plus opérant, accessible ou contrôlable par les différents acteurs, par exemple lorsque les réunions ne régulent plus rien, ou que la hiérarchie fait la sourde oreille, que les procédures de consultation sont inexistantes, ou que le sens commun de l'entreprise s'est évanoui.
En somme, le conflit vise à maintenir l'état d'un système quand il est menacé de délitescence, ou bien à le faire changer quand toutes les voies régulières ne le permettent pas... Autrement dit, le conflit n'est pas un problème... mais une solution, la moins mauvaise solution qu'aient pu trouver des acteurs quand ils n'ont pu en réaliser d'autres. Ainsi, le conflit doit cesser d'être considéré comme une manifestation négative, car ce n'est pas le conflit qu'il s'agit d'éradiquer mais ses conséquences funestes. Tout dépend des capacités de négociation et de gestion du conflit des personnes et notamment des dirigeants.
Pour comprendre un conflit, il est impératif de prendre de la distance. En effet, le risque est grand de se fixer sur les manifestations et les protagonistes les plus évidents du conflit : on peut convenir aisément qu'il s'agit d'un « problème de personnes », et réduire ainsi la portée de l'expression du conflit à un niveau psychoaffectif. L'expérience nous montre que le conflit ne se règle pas à ce niveau, qu'il peut se transférer sur d'autres acteurs, d'autres objets, et générer des incidents là où on les attend le moins ; nous sommes alors en présence de conflits circulaires qui ne sont pas sans rappeler « le jeu de la pomme de terre chaude ».
Que ce soit au niveau micro (celui d'une famille ou d'une équipe par exemple) ou au niveau macro (celui d'un conflit international), nous pouvons nous apercevoir que les protagonistes n'ont sérieusement aucune chance de l'emporter à terme, ou d'en tirer de réels bénéfices, et que les raisons du conflit ne sont pas tant à chercher entre eux qu'autour d'eux. Ils s'avèrent bien souvent les «actants» d'un conflit d'intérêts qui les dépasse. Russes et Américains ont pu s'affronter par pays interposés, comme des parents peuvent le faire au travers de leurs enfants...
J'ai pu constater maintes et maintes fois, au cours de mes interventions, que les conflits interpersonnels n'étaient généralement pas le point de départ du mauvais fonctionnement d'une équipe, d'un service ou d'un établissement, mais en étaient au contraire l'expression et le support. Bien entendu, il est parfois difficile de reconnaître ce principe, car d'une part, il demande d'accepter la remise en cause du système, tandis qu'il est plus facile de désigner des coupables, d'autre part, il demande de ne pas confondre le niveau émotionnel (tel que l'antipathie vouée à des personnes) et le niveau fonctionnel.
Si l'on ne veut pas se trouver « le nez sur le guidon », il s'agit donc d'adopter ce que j'appellerai un « raisonnement systémique » en lieu et place d'un « raisonnement relationnel » plus immédiat, c'est-à-dire s'intéresser un peu moins aux protagonistes du conflit eux-mêmes et davantage au fait que ceux-ci expriment, à un moment donné, des logiques qui s'entrechoquent et dont ils sont parfois les vecteurs involontaires. Le conflit risque de durer tant que ces logiques ne sont pas exprimées et rendues conciliables, ou que l'une ou l'autre ne se sera pas imposée.
Autre effet d'optique du conflit, il est fréquent que ce soit le «maillon faible» du système qui manifeste le symptôme de ce dernier : ainsi nous verrons émerger un élément désigné qui « posera problème » et qui finira par accomplir le conflit. Ce qui se passe dans une famille se vérifie également dans une équipe professionnelle ou une institution. Ainsi, nombre d'établissements connaissent tantôt une «mauvaise équipe », tantôt une « mauvaise catégorie professionnelle » qui va se charger de produire les symptômes de ceux-ci.
D'une manière générale, le conflit comble une incertitude, il apparaît comme une tentative de redéfinir une situation, de faire émerger des limites et des identités lorsqu'elles s'avèrent floues. Cela explique que dans le cas d'un système à haute incertitude - au fonctionnement particulièrement obscur et imprévisible - le conflit ait tendance à devenir un mode de fonctionnement chronique, comme dans certains couples où ce sont les scènes de ménage qui fournissent les rares informations, cadrent tant bien que mal les relations, et permettent ainsi d'éviter l'éclatement, comme dans certaines entreprises où les conflits se succèdent et deviennent la seule manière pour les professionnels de se positionner les uns par rapport aux autres. (…)
Jean-René Loubat, Psychosociologue consultant, Gestions hospitalières, novembre 1999, n° 390, p. 672-674.
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