« Nous, soignants de toutes spécialités et de toutes origines, souhaitons nous opposer fermement et de manière unie au projet de suppression de l’aide médicale d’État (AME) au profit d’un dispositif dégradé. » Ainsi débute la tribune signée par plus de 3 000 soignants* publiée dans Le Monde. Rappelant la nature du dispositif, soit un outil de lutte contre les exclusions accessible aux personnes dont les ressources ne dépassent pas 810 euros par mois et prouvant d’une résidence stable en France, les signataires en défendent l’utilité aussi bien au vu des profils des patients pris en charge, particulièrement vulnérables, que des problématiques de santé publique.
Un dispositif de santé essentiel
En premier lieu, soulignent-ils, les personnes qui ont recours à l’AME sont essentiellement arrivées en France après avoir fui « la misère » ou « l’insécurité », et sont exposées à des risques spécifiques dus à leurs difficiles conditions de vie : « problèmes de santé physique et psychique, maladies chroniques, maladies transmissibles ou contagieuses, suivi prénatal insuffisant et risque accru de décès maternels. » Parallèlement, la dégradation de leur état de santé pourrait se répercuter en population générale. En témoigne l’exemple de l’Espagne, citent-ils, où la restriction de l’accès aux soins des populations immigrées en 2012 avait entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses, notamment.
Se pose également la question de la tension supplémentaire que ces patients pourraient faire peser sur d’autres services hospitaliers, à commencer par les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et les services d’accueil et d’urgences. Les exclure plus largement du système de santé aboutirait à « des retards de diagnostic », à l’aggravation des maladies chroniques et à la survenue de complications. « Le recours aux soins dans ce contexte survient en urgence avec des hospitalisations complexes et prolongées, parfois en réanimation, dans des structures déjà fragilisées, et à des coûts finalement bien plus élevés pour la collectivité », font-ils valoir.
Enfin, restreindre l’accès aux soins des personnes en situation irrégulière va non seulement à l’encontre de l’éthique soignante mais aussi des droits de l’Homme, « qui stipulent que tout individu doit avoir accès aux soins quels que soient son origine et son statut », pointent-ils. « Ainsi, nous refusons d’être contraints à faire une sélection parmi les malades entre ceux qui pourront être soignés et ceux laissés à leur propre sort. »
Moins de 0,5% du total des dépenses en santé
Cette tribune se veut une réponse au projet du gouvernement de réinterroger la nature de l’AME dans le cadre de l’examen de sa grande loi Immigration, qui doit débuter au Sénat lundi 6 novembre. La droite propose ainsi de limiter le dispositif à l’aide médicale d’urgence ; a contrario, Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, et Aurélien Rousseau, le ministre de la Santé, en ont pris la défense. Missionnés par Elisabeth Borne, Patrick Stéfanini et Claude Evin devraient rendre un pré-rapport ce jeudi 2 novembre pour éclairer les débats. L’AME coûte 1,2 milliard d’euros à l’État français, mais la somme apparaît négligeable au regard des dépenses totales de santé : moins de 0,5%. Et selon l’ONG Médecin du monde, 8 personnes éligibles au dispositif sur 10 n’y ont en réalité par recours.
*Dont Valérie Achart-Délicourt, infirmière, cadre supérieure de santé, vice-présidente de la Société française de lutte contre le sida, la Prix Nobel de médecine (2008) Françoise Barré-Sinoussi, et le président du Comité consultatif national d'éthique Jean-François Delfraissy.
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