Le 19 juin dernier, le CSST a publié la première version de son projet de cadre d’expérimentation du cannabis à visée thérapeutique. L’avis sera formellement adopté par le 26 juin lors d'une dernière audition de patients, puis devra être avalisé par le directeur de l’ANSM et par la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn. Cette expérimentation pourrait précéder, dans un second temps, la légalisation de l’usage à visée thérapeutique de préparations à base de cannabis en France.
Depuis septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a mis en place un comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) visant à réfléchir à la pertinence d’un accès en France à des préparations à base de cannabis à visée thérapeutique. La raison d’être de ce comité d’experts composé de médecins, de patients et de sociologues est de proposer une expérimentation visant à mieux soulager des patients qui souffrent, souvent depuis des années, sans trouver de solutions dans les thérapeutiques disponibles. Les travaux du CSST ne concernent que ce type d’utilisation. Les questions des autres usages qualifiés de "social", "bien-être" ou "récréatif", ne sont pas évoquées.
Les douleurs réfractaires en ligne de mire
Une liste de situations cliniques concernées par l’emploi éventuel du cannabis a été validée en décembre 2018 et proposée aux autorités sanitaires. Sont concernées :
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les douleurs neuropathiques réfractaires aux thérapies accessibles ;
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certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes ;
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les soins de support en oncologie ;
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les situations palliatives ;
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la spasticité (contraction musculaire réflexe exagérée) douloureuse de la sclérose en plaques ou des autres pathologies du système nerveux central.
Ces diverses situations cliniques ont été discutées avec les sociétés savantes concernées et les associations de patients, à partir des données scientifiques internationales ainsi que des retours d’expériences des pays qui proposent déjà ce type de thérapeutique.
Le cannabis à visée thérapeutique n’est pas une drogue
Il faut sortir des fantasmes et de l’idéologie qui accompagnent trop souvent le débat sur le cannabis. Si cette plante et ses substances dérivées sont considérées comme stupéfiants, elles peuvent, selon des modalités d’accès réglementées et un usage médicalement supervisé, devenir une thérapeutique à part entière. Il faut savoir faire la différence entre un usage thérapeutique de préparations pharmaceutiques calibrées, prescrites pour soigner et rigoureusement surveillées, et un « joint » de résine ou d’herbe de cannabis obtenu illégalement (et facilement) en deal de rue, afin de faire la fête ou « se défoncer ».
Toute désinformation pourrait s’avérer dangereuse vis-à-vis des populations jeunes et vulnérables en rendant ces préparations à base de cannabis faussement attractives. Le CSST rappelle d’ailleurs dans son projet d’expérimentation la nécessité de mettre en place des actions de communication vers les professionnels de santé et le grand public pour éviter l’amalgame avec d’autres usages non médicaux de cette plante.
De la fleur séchée aux préparations pharmaceutiques
Suite aux auditions de sept producteurs étrangers de préparations à base de cannabis à visée thérapeutique, il ressort clairement l’existence d’une tendance internationale au développement de véritables préparations aux normes pharmaceutiques (comprimés, gouttes, capsules, inhalateurs, patchs…) en complément ou en remplacement des fleurs séchées historiquement proposées. Ces produits présentent l’avantage d’être plus standardisés, donc accessibles et utilisables par un plus grand nombre de patients et plus faciles à doser que des fleurs séchées.
Le comité de l’ANSM propose que soient mises à disposition des préparations de cannabis ou d’extraits à spectre complet sous des formes à effet rapide (huiles à usage sublingual ou fleurs séchées à vaporiser) ou à effet prolongé (capsule d’huile, solution buvable).
Parce qu’il n’y a pas un seul cannabis thérapeutique, selon les indications et les spécifités des patients, cinq compositions différentes en cannabinoïdes, représentant cinq médicaments différents sont proposées selon des ratios delta-9-tetrahydrocannabinol (ou THC, la substance chimique psychoactive la plus abondante dans les plants de cannabis)/cannabidiol (CBD, seconde substance la plus abondante après le THC) variables :
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THC 1 : 1 CBD ;
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THC 1 : 20 CBD ;
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THC 1 : 50 CBD ;
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THC 5 : 20 CBD ;
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THC 20 : 1 CBD.
Néanmoins, cela ne sera possible qu’après une modification de l’article R 5132-86 du Code de santé publique qui n’autorise pour l’instant que les spécialités pharmaceutique
Expérimentation du futur cadre d’une légalisation française
L’objectif principal de l’expérimentation envisagée par le CSST serait d’évaluer, en situation réelle, ses recommandations en matière de conditions de prescription et délivrance ainsi que l’adhésion des professionnels de santé (formation, prescription) et des patients (accessibilité) à ces conditions. Elle permettrait ainsi d’ajuster le cadre d’une future légalisation de l’accès à des préparations à base de cannabis à visée thérapeutique. Plusieurs éléments importants ressortent de cette proposition de cadre. En ce qui concerne la prescription : celle-ci devrait se faire sur ordonnance sécurisée (le cannabis restant un stupéfiant). Les préparations pharmaceutiques concernées seraient uniquement dispensées, comme tous médicaments, par des pharmacies hospitalières ou officines de ville. Le traitement serait instauré par des médecins spécialistes des indications visées exerçant dans des centres de référence, sur tout le territoire. La participation des médecins se ferait sur la base du volontariat et impliquerait obligatoirement le suivi d’une formation et le renseignement d’un registre national électronique.
Ladite formation devra être largement accessible et prise en charge. Elle pourrait s’inscrire dans le cadre du Développement professionnel continu, qui a pour objectifs le maintien et l’actualisation des connaissances et des compétences ainsi que l’amélioration des pratiques. Il faudrait également que les conditions de remplissage du registre national visant à recueillir les données cliniques soient simplifiées. Enfin, cette expérimentation permettrait d’étudier le relais vers le médecin traitant.
Des notices de bon usage, comme pour les médicaments
Pour accompagner la juste prescription de ces préparations à base de cannabis, chacune d’entre elles devrait disposer d’une notice reprenant les éléments indispensables à leur prescription, notamment en termes de contre-indications.
À cet effet, le comité propose des orientations préliminaires : mise en garde à destination de la femme enceinte ou en âge de procréer (sauf contraception efficace), ainsi que sur l’aptitude à conduire des véhicules et à utiliser des machines. De même, les principaux effets indésirables (somnolence, anxiété, symptômes psychotiques…) et les interactions connues avec les médicaments devront être stipulées sur cette notice. Parmi lesdits effets indésirables, le risque de développer une dépendance, notamment une tolérance avec perte d’efficacité, existera, surtout avec des préparations riches en THC.
Le CSST rappelle néanmoins que cette prescription devrait être rendue possible quel que soit l’âge, si le bénéfice est supposé favorable compte tenu de la sévérité du trouble.
Enfin pour prévenir une mauvaise acceptabilité à l’instauration du traitement, une adaptation posologique devrait être réalisée par titration (augmentation très progressive des doses) par le médecin jusqu’à obtention de la dose minimale efficace et d’effets indésirables jugés tolérables par le médecin et le patient.
Le temps nécessaire pour structurer une filière française
Si cette expérimentation est autorisée et financée, elle devrait démarrer début 2020, et durer deux ans (mise en place durant six mois, suivis de six mois d’inclusion des patients, puis six mois de suivi, et enfin six mois d’analyse des données).
Sa mise en place se fera probablement en important des produits déjà disponibles, répondant aux normes de fabrication européennes. Cependant, les deux années proposées pour expérimenter devraient permettre la structuration d’une filière française qui se devra d’être innovante et apprenante.
Un des points clés est la création d’un registre français du cannabis thérapeutique. Celui-ci revêtirait un caractère obligatoire pour toute prise en charge de ces préparations (notamment en termes de remboursement). Les données scientifiques qui y seraient renseignées, aussi bien par les médecins que les patients, constitueraient une source importante d’information pour orienter et optimiser cette nouvelle filière, depuis les semenciers et les agriculteurs jusqu’aux soignants et patients. Avec pour objectif de tendre le plus possible vers une médecine personnalisée.
Cette filière intégrative assurerait à la France de rattraper son retard, tant sur le plan scientifique et médical que sur la production. Ne manque plus désormais que le feu vert des autorités sanitaires.
Nicolas Authier, Médecin psychiatre, professeur des universités-praticien hospitalier, U1107 Inserm/UCA, Université Clermont Auvergne
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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