Alors qu’ils peinent encore à s’imposer sur le terrain, les infirmiers en pratique avancée (IPA) se confrontent en réalité dès leurs études à des difficultés d’intégration. En cause, selon une enquête réalisée par l’Union nationale des IPA (UNIPA) : la difficulté de trouver des stages. « En mars dernier, de nombreuses difficultés concernant l’obtention de stages IEPA [infirmiers étudiants en pratique avancée] ont été remontées à l’UNIPA », note ainsi l’association. De quoi la pousser à réaliser une enquête afin d’objectiver ces remontées par des chiffres.
La moitié des IPA peinent à trouver un stage
Dans les faits, 47,6% des répondants au questionnaire de l’UNIPA (voir encadré) estiment ainsi avoir rencontré des difficultés pour obtenir un stage, et ce que ce soit dans un établissement public, privé ou en libéral. Des difficultés qui, d’ailleurs, tendent à se durcir pour les étudiants en Master 2. « 43,7% des M2 indiquent avoir eu plus de difficultés en 2023 qu’en M1, soit 2022, pour obtenir un lieu de stage », pointe l’UNIPA, qui précise que, de manière générale, celles-ci ont augmenté en 2023 par rapport aux années précédentes. 91% des répondants indiquent de plus devoir trouver leur stage eux-mêmes. Et quand ils en trouvent finalement un, il ne répond pas toujours aux exigences et aux attendus de la formation, avec des tuteurs qui sont eux-mêmes rarement IPA.
Impact psychologique et découragement
Or elles ne sont pas sans conséquences sur les IEPA. Les répondants font ainsi part d’un réel retentissement psychologique, associé à un fort sentiment d’anxiété. « Les étudiants évoquent leur "stress" face à ces difficultés, leur "anxiété" est majorée, certains parlent de "projection impossible", d’autres de "répercussions physiques" », déplore ainsi l’UNIPA. Ils montrent alors une certaine démotivation, voire de « lassitude » ou de « découragement », alors que les conditions même d’accès à la formation – et notamment son financement – sont déjà loin d’être aisées.
L’autre impact est évidemment professionnel, avec des étudiants qui sur-sollicitent leurs capacités d’adaptation, souvent pour des solutions jugées « non satisfaisantes ». En effet, « les objectifs des stages sont revus, déviés de leur objectif premier au détriment le plus souvent de la pratique clinique, et de la découverte des soins de premier recours », explique l’organisation. Avec, en ligne d’arrivée, un risque de fragilisation des connaissances.
Le rôle et les missions des IPA demeurent méconnues des autres professionnels de santé, ce qui freine leur intégration dans les équipes.
Un rôle et des missions insuffisamment clarifiés
Et c’est toujours là que le bât blesse : le rôle et les missions des IPA demeurent méconnues des autres professionnels de santé, ce qui freine leur intégration dans les équipes, que ce soit en formation ou en exercice. Deux enquêtes sur les IPA salariés, réalisées par l’UNIPA en avril dernier, dressait déjà le même constat. « Le manque de clarté des rôles », jugés comme trop complexes « rend l’accueil en stage impossible », relève-t-elle ainsi. De quoi refroidir les institutions, qui hésitent encore sur le positionnement à donner à ces professionnels au sein de leurs équipes et refusent donc les stagiaires. S’y ajoute une certaine méfiance de la part des médecins, irrités récemment par le passage de la loi Rist qui ouvre, entre autres, l’accès direct aux IPA. « Le manque de clareté́ du rôle de l’IPA, particulièrement dans l’équipe de soins, entre IPA/infirmiers, mais aussi IPA/ médecins, correspondrait à la principale source de conflit, particulièrement s’il y a confusion des rôles et des champs d’exercice », ajoute l’UNIPA, avec une hiérarchie qui rend interchangeables les métiers d’IPA et d’infirmiers. Corollaire de ces circonstances, les différents lieux de stages qui correspondent réellement aux attendus de la pratique avancée sont limités et donc vite saturés.
Un manque d’accompagnement
D’autres facteurs sont par ailleurs mis en avant par l’UNIPA pour expliquer les difficultés à trouver un stage : absence de réseaux étudiants, qui pousse chaque IEPA à chercher seul son terrain de stage, quitte à se heurter à l’impossibilité d’identifier les bons interlocuteurs ; critères de validation de stages pointés comme trop sélectifs (nécessité d’avoir un infirmier en encadrement, durée minimum des stages…) ; ou encore chevauchement des stages de Master 1 et de Master 2.
Les conséquences négatives de ces difficultés sont d’autant plus importantes que les stages ont une autre portée, moins immédiatement évidente. Parce qu’ils sont « vecteurs d’interconnaissance », selon les propos de Stephan Aguilard*, rapportés par l’UNIPA dans son enquête, ils participent également à faire connaître le métier aux autres professions de santé. « L’apprentissage interprofessionnel améliore la connaissance de l’autre et permet la mise en place d’un futur travail collaboratif », est-il ainsi développé. Le stage représente donc à la fois une opportunité pédagogique pour parfaire les compétences et connaissances des étudiants ; mais il favorise également le partage de compétences pratiques et communicationnelles entre les différentes professions.
Solutions attendues : fiche de poste formateurs IPA, tutorat
Des « mesures régulatrices » doivent donc être mises en place pour favoriser l’implantation des stagiaires IPA, puis des professionnels, sur le terrain. L’UNIPA recommande donc à nouveau de sensibiliser « toutes les parties prenantes qui travaillent en relation directe avec l’IPA (Infirmiers, médecins, étudiants, managers, patients) » aux missions et rôles du métier, et de cadrer le champ d’intervention de ces infirmiers via la formalisation d’une fiche de poste. Celle-ci permettrait à chaque membre des équipes de soin de comprendre « qui fait quoi », résume-t-elle. La communication doit d’ailleurs s’étendre aux usagers et aux médecins libéraux, ceux-ci étant amenés à encadrer des stagiaires IPA.
L’UNIPA propose par ailleurs de mettre en place à destination des généralistes « une incitation financière à recevoir une IPA en stage ». Inciter les universités à identifier les lieux de stages et à recruter des IPA de terrain parmi les formateurs, développer le tutorat ou encore intégrer les IPA aux Projets Régionaux de Santé, Schémas régionaux de santé sont autant de pistes jugées également pertinentes pour fluidifier l’accès aux stages. Enfin, l’UNIPA insiste sur l’importance pour les IPA nouvellement diplômés d’embrasser directement leurs nouvelles fonctions, un processus qui n’est encore que trop rarement rempli une fois achevée la formation de ces professionnels.
L’enquête de l’UNIPA s’est appuyée sur un questionnaire diffusé via les réseaux IPA régionaux et nationaux. 166 répondants, soit 11,3% des IEPA sur les 1467 actuellement en plus en cours de formation (782 M1 Et 685 M2), ont été comptabilisés, provenant de 18 universités différentes (soit 55%, sur les 27 universités accréditées pour délivrer la formation). Malgré une participation donc relative, l’UNIPA note toutefois une « forte participation (52,4%) des étudiants qui ne rencontrent pas de difficulté et la satisfaisante représentativité des territoires » et juge les résultats de l’enquête « exploitables ».
*Cadre supérieur de santé à l’AP-HM et co-auteur de « Stratégies d’implantation d’un infirmier de pratique avancée en milieu hospitalier : une revue de littérature»
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