C'est un texte qui fait grincer des dents. L'arrêté (du 3 juillet 2023 modifiant l’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier), paru au journal officiel début juillet, ouvre la possibilité aux aides-soignants justifiant d'au moins trois ans d'expérience à temps plein sur les cinq dernières années et «sélectionnées par la voie de la formation professionnelle continue», d'intégrer «directement la deuxième année de formation d'infirmier», après un «parcours spécifique de formation de trois mois validé».
Ce texte est «inadapté aux exigences du métier», et «met en danger les patients» et «la reconnaissance du diplôme au sein de l'Union européenne», alertent six organisations de professionnels, étudiants et écoles, dont Convergence infirmière (infirmières libérales), le SNPI (syndicat national des professionnels infirmiers), la FNESI (Fédération nationale des étudiants en sciences infirmières), l'ANPDE (les infirmières puéricultrices) et le CEFIEC (le Comité d’Entente des Formations Infirmières et Cadres de santé) dans un recours déposé début septembre devant le conseil d'Etat.
Ces professionnels dénoncent notamment «l'insuffisance manifeste» du contenu de la formation de trois mois, qui comprend «seulement 420 heures» au lieu des 1 533 de la première année, et ne permettra pas selon eux d'acquérir les connaissances et crédits (ECTS) prévus par la législation européenne.
"Complet décalage" avec la montée en compétence des infirmiers
Mis en place dès février 2024 dans certaines écoles, ce parcours raccourci va aussi «à l'encontre» de la logique de «montée en compétences» et «d'universitarisation» engagée par le gouvernement, qui a promis une refonte de la formation infirmière pour septembre 2024, ont observé plusieurs participants, dont le SNPI pour qui : «la formation d'AS en un an ne correspond pas du tout à la première année de formation infirmière. Nous sommes dans un complet décalage avec la réingénierie de la formation infirmière d'un côté et de certaines spécialités : il semble aberrant de vouloir en parallèle, dès février 2024, mettre en œuvre cette formation accélérée», s'insurge l'organisation.
Pour l'ANPDE, qui représente les infirmières puéricultrices, la première année d'étude d'infirmière n'est pas équivalente à celle des aides-soignants. Par ailleurs, il semble «anachronique d'aborder ce thème alors même que la formation est justement en ce moment en pleine refonte de tout le parcours de formation des infirmiers et de l'universitarisation». «Les infirmiers ont le droit de faire de plus en plus d'actes» jusqu'alors réservés aux médecins, comme la prescription de certains vaccins depuis cet été, «alors comment peut-on, de l'autre côté de la chaîne, fragiliser leur socle?», a interrogé l'un de leurs avocats, Jean-Christophe Boyer.
Nivellement par le bas
Pour les organisations infirmières, la crainte d'un nivellement par le bas de la formation était sur toutes les lèvres : Le référentiel d’activité aide-soignant n’est en rien comparable avec le référentiel de formation de la première année de licence infirmière en IFSI. Ces personnes n’auront pas l’enseignement des fondamentaux, et risquent d’avoir un déficit de compétences, qui va nuire à la prise en soins des personnes soignées, ont ainsi relevé plusieurs participants.
Pour Convergence Infirmière, les IDEL sont seuls face aux patients à domicile, ce qui exige de solides compétences, notamment devant «les pathologies qui deviennent de plus en plus complexes. Il paraît donc dangereux pour les patients d'abaisser le niveau de compétences des infirmières. Par ailleurs, nous risquons de nous retrouver avec deux niveaux d'infirmières et donc un nivellement par le bas. Enfin ce texte ne respecte pas les critères européens. La crédibilité de la profession est mise à mal».
Le CEFIEC, comme d'autres, a aussi exprimé «ses inquiétudes par rapport à la prise en soin des patients». Le contexte hyper tendu des ressources humaines dans les hôpitaux «ne peut pas justifier que nous formions à n'importe quel prix et quoi qu'il en coûte», a-t-il lâché. «Nous avons montré notre inquiétude et fait part de notre désaccord dès les prémices de cette réforme : les compétences et même les fondements de la formation n'auront pas été intégrés. Un stage de quelques semaines ne peut pas permettre aux AS de changer d'identité professionnelle».
Les étudiants également inquiets
La FNESI a quant à elle souligné qu'elle avait participé à tous les groupes de travail organisés par le ministère. «Ces étudiants auront besoin d'un suivi particulier or, ils risquent de manquer d'encadrement», ce qui pourrait les conduire à «l'échec universitaire». Sur les enseignements au programme, de nombreux ne sont pas prévus s'alarment également les étudiants, comme «la biologie fondamentale». De plus, «les critères de sélection de ces étudiants ne sont pas clairement définis ce qui fait planer le risque d'une inégalité de traitement».
Devançant les critiques au sujet d'un éventuel corporatisme, le CEEPAME (le Comité d’Entente des Ecoles Préparant aux Métiers de l’Enfance), également participant, a rappelé qu'il «n'était pas du tout opposé à la montée en compétence des AS, mais dans un cadre légal».
«On est confronté à un texte très grave de conséquences avec un risque de mortalité important chez les patients», a averti pour sa part le porte-parole du SNPI, Thierry Amouroux. «Derrière cette décision irresponsable de réduire d'un tiers la durée de formation, il y aura des morts. Les infirmiers réalisent des actes techniques, invasifs, avec la responsabilité qui y est liée. Les conséquences de ce choix (pour satisfaire des entreprises qui économiseront une année de salaire), sont importantes et nous souhaitons alerter la population».
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