Suite au récit d’Anik Hoffmann « Il va mourir le vieux chêne » publié ici récemment , terrible récit d’un vécu de vie et de mort, d’une situation « sensible » rencontrée fréquemment par le personnel soignant lors d’une prise en soin à domicile, j’ai souhaité exprimer combien les soignants ne sont guère préparés aux accompagnements de fin de vie.
J’ai d’abord envie de souligner et d’insister sur une évidence : les enseignements et les apprentissages proposés, plutôt imposés, dans la formation du personnel infirmier et aide-soignant, ne préparent pas à l’approche de ces situations de fin de vie dans lesquelles sont intriquées déontologie et éthique, émotivité et nécessaire juste distance avec le patient et sa famille. Mais cette préparation est-elle possible, que ce soit dans les structures de formation et/ou de soins (terrains de stage) ? Peut- être a-t-elle davantage sa place dans la formation continue, au sein de l’équipe professionnelle avec un intervenant extérieur compétent, ou à l’occasion d’une formation inscrite dans un plan plus spécifique. Cette préparation - qui à mon avis peut tout à fait être contestée (c’est mon avis qui peut être contesté) - impose prioritairement l’idée suivante : « essaie de te connaître le plus possible toi-même ». Nous ne pouvons pas envisager une psychanalyse pour chacun d’entre nous et ce, pour bien des raisons : désirons-nous vraiment nous connaître ? Sommes-nous prêts et surtout désireux d’affronter les bouleversements que le travail d’analyse provoquera dans notre vie, dont les relations avec nos proches ? Avons-nous la force affective de nous lancer dans une entreprise qui durera plusieurs années ? Pouvons-nous nous le permettre financièrement ? Il existe pourtant des formes de travail très aidantes sur la connaissance de soi et dont la finalité est de nous rendre moins démunis dans nos actions de soins si souvent parasitées par la souffrance ; une souffrance qui se glisse, s’étale, voire nous envahit. Dit brutalement, avant de nous affronter à la souffrance des autres, commençons par nous occuper de notre propre souffrance, de ce qui la produit, éventuellement de ce qui la pérennise tout au long de notre vie professionnelle. Mais l’histoire de ce qui a fait notre métier, ne nous a pas encouragés à cela. Nous avons d’abord été formatés par le concept de « vocation » avec ses petits frères : le sacrifice de soi, l’oubli de soi, les valeurs médicales basées sur les notions de bien, de mal, de bon, de mauvais, l’obéissance/soumission … le tout « pataugeant » dans notre civilisation judéo-chrétienne. Ce que nous pouvons également relever, ce que je relève, c’est que la formation en IFSI privilégie le système cognitif. Si l’affectif, et plus particulièrement les émotions, l’histoire singulière de la personne étudiante, commencent à se frayer un chemin dans le discours des formateurs (aussi bien les formateurs en structures de formation que les formateurs en structures de soins), la mise en œuvre dans l’accompagnement et l’encadrement des étudiants reste encore très discrète. Pourtant, comment un étudiant dont la personne n’est pas prise en compte peut, devenu professionnel, considérer le patient comme une personne ?
Avant de nous affronter à la souffrance des autres, commençons par nous occuper de notre propre souffrance, de ce qui la produit, éventuellement de ce qui la pérennise tout au long de notre vie.
Revenons à la situation partagée avec Anik Hoffmann dans son article récemment publié « Il va mourir le vieux chêne » et que je remercie car son histoire clinique « de vie et de mort» donne beaucoup à penser et à dire ! Je retiens surtout deux points.
Ce vieux Monsieur a exprimé qu’il était prêt à mourir, mais il a conservé sa dignité, ne serait-ce que dans le souci de son aspect extérieur, et il a également demandé qu’on le laisse en paix. Ce Monsieur a manifesté une étonnante coopération vis-à-vis « de ce qui était fait pour lui » mais je n’ai pas lu d’indications sur une quelconque prescription de médicaments destinée à lui éviter la douleur et à rendre moins vive sa désolation, confronté à sa déchéance physique. Nous ne pouvons échapper à cette interrogation : lorsque nous faisons quelque chose pour autrui, ne le faisons pas aussi pour nous ? Peut-être pour nous protéger, supporter l’insupportable ? Cela renvoie à ce que vont devenir les réglementations concernant la lutte contre la douleur et la souffrance, l’apaisement global, et peut être aussi la question de l’euthanasie sur laquelle le candidat François Hollande s’est exprimé lors de sa campagne présidentielle. Cette proposition 21 qui, sans employer le mot euthanasie, peut être interprétée par certains comme un encouragement à cette possibilité. Dans le même temps rappelons nous ce que dit Robert Badinter sur le sujet : « Le droit à la vie est le premier des droits de tout être humain - c’est le fondement contemporain de l’abolition de la peine de mort - et je ne saurais en aucune manière me départir de ce principe. Tout être humain a droit au respect de sa vie, y compris de la part de l’État, surtout en démocratie. » . Mais qu’est-ce que le respect de la vie ? Nous aurons à cœur de suivre l’évolution de ce dossier sensible au cours de ce nouveau quinquenat présidé maintenant par François Hollande.
Comment, soignants, se comporter avec Marie, la fille du vieux Monsieur en fin de vie ? Il y a notre propre ressenti et nos émotions. Comment adopter des comportements professionnels pertinents compte tenu de la situation ? Difficile problématique à résoudre ! Il y avait à mon sens une urgence et une priorité : ne pas laisser cette femme en grande souffrance, se « battre » seule avec cette histoire d’oreiller. Ainsi, voici l’accompagnement que j’aurais probablement adopté : donner à Marie la possibilité d’exprimer son « désir » d’étouffer son père avec un oreiller ; cela nécessitait d’être « parlé » et « travaillé » en fonction de ce qu’elle aurait pu dire et la façon dont elle l’aurait dit. Il était possible de soutenir Marie en lui donnant la possibilité d’exprimer ce terrible fantasme et de lui expliquer que ses pensées de passage à l’acte ne faisaient pas d’elle un monstre. Ceci tout en étant conscient qu’elle décoderait ce qui lui serait dit avec le filtre de son histoire qui fait d’elle qui elle est aujourd’hui. Nous pouvons très bien imaginer l’intensité de sa culpabilité, si elle était passée à l’acte, culpabilité renforcée au maximum par le fait de sa croyance Pourquoi Anik et sa collègue confrontées à l’euphorie, au rire, au soulagement de Marie après la mort de son père, éprouvent-elles de la gêne et une ambiguïté de sentiments qui les dérangent ? Très probablement Marie, va vite ressentir du chagrin, mais pour le moment, elle est d’abord soulagée de ne pas avoir succombé à la tentation du meurtre ; comment pouvait-elle dissimuler cette forme de délivrance ? Dans le même temps, le vieux chêne n’a-t-il pas fait preuve de compassion vis-à-vis de sa fille en mourant naturellement sans être étouffé par un oreiller... J’arrête ici mon écrit, mais ma réflexion continue. Merci Anik de la provoquer, de la nourrir et de l’enrichir.
Marie-Jeanne LORSON
Rédactrice Infirmiers.com
mariejeanne.lorson@wanadoo.fr
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