Après les vivas et les remerciements, après les promesses et la lumière au bout du tunnel, le monde d'après s'avère pire encore que celui d'avant pour la profession infirmière qui, consultée par son Ordre sur l’impact de la crise sanitaire sur ses conditions de travail, affiche un moral au plus bas et pire encore... Quatre infirmiers sur dix disent ne pas savoir s'ils le seront toujours dans cinq ans, décrivant une organisation fragilisée, parfois même en risque de rupture, et un état de fatigue et de découragement avancés. Alerter une fois encore, oui, mais pour quelle réponse des tutelles qui ne semblent pas mesurer la gravité de la situation alors que le rebond de l'épidémie est maintenant à l'oeuvre.
Continuer. Se donner du courage. Se battre par ce que l'on y croit encore... Est-ce que cela en vaut la peine ? Au vu des maigres perspectives et du peu de garanties que la profession infirmière observe de longue date pour péreniser son exercice demain, pour le "réenchanter", et après un Ségur de la Santé décevant, la réponse sonne comme une évidence. Comment redonner l'envie, l'envie de croire en des lendemains meilleurs à l'heure où la crise sanitaire a pourtant exposé à la face du monde la valeur d'un soignant , la valeur ajoutée de la profession infirmière au coeur de notre système de santé.
Les infirmiers doivent aujourd’hui de nouveau faire face à la recrudescence des cas de Covid-19 et se sentent désarmés pour y parvenir, au point de se demander s’ils vont continuer à exercer leurs fonctions à l’avenir. Nous ne pouvons pas accepter cela.Patrick Chamboredon, Président de l'ONI
Il y a quelques jours, le baromètre de l'Observatoire de la santé
l'exprimait déjà : la pandémie cristallise les doléances et les attentes des hospitaliers ; un avis partagé par les Français qui disent avoir très fortement confiance en leurs soignants – profession infirmière en tête – et en leur système de santé, qu’ils jugent cependant en grande majorité éprouvé face au Covid-19. La consultation* réalisée auprès de quelques 60 000 infirmiers inscrits à l'ONI livre des enseignements bien au delà encore. Les résultats attestent d'une situation "en forte tension", notamment en matière de moyens humains. Patrick Chamboredon, Président de l'ONI, le souligne, si les indicateurs communiqués chaque jour – nombre de patients contaminés, nombre d’admission en réanimation... – sont essentiels au suivi de la progression de l’épidémie, ne perdons pas de vue une autre donnée cruciale : ce sont en effet les professionnels de santé qui sont en première ligne pour prendre en charge les patients au quotidien
.
Quasi doublement des situations d’épuisement professionnel en quelques mois. Plus d’un tiers des infirmiers salariés indiquent être en effectifs réduits par rapport à la normale et 2/3 des infirmiers déclarent que leurs conditions de travail se sont détériorées depuis le début de la crise.
Travailler en mode toujours plus dégradé...
Les infirmiers consultés expriment de façon massive combien leurs conditions de travail sont aujourd'hui dégradées : 59% d'entre eux ont vu "leur charge de travail augmenter depuis le début de la crise", chiffre encore majoré pour ceux exerçant en établissement. De fait, 6 mois après le début de la crise sanitaire, près des deux tiers des infirmiers déclarent que "leurs conditions de travail se sont encore détériorées", que les équipements de protection se révèlent à nouveau en quantité insuffisante (pour 44% d'entre eux) et pire encore en secteur libéral (68%) et qu'ils ne disposent pas du "temps nécessaire pour prendre en charge les patients". Autre question préoccupante, la charge de travail et le flux tendu en personnels dans les services hospitaliers ne leur a parfois pas permis de prendre de congès depuis mars dernier (29% parmi les libéraux). Peu de possibilités de pouvoir souffler et se ressourcer alors que le besoin est criant après tous ces jours passés "au front". Le plan blanc est à nouveau activé dans plusieurs régions en zone d'alerte "maximale" ou "renforcée", et la perspective, réelle, pour les infirmiers de se voir refuser quelques jours de vacances à l'approche de la Toussaint réactive leur frustration, leur colère... et leur découragement.
Plus de 30% des infirmiers exercent des taches qui sortent de leur champ de compétences réglementaire pour faire face au surcroit d’activité général lié au Covid.
Questionnée sur les enseignements tirés de la première vague, la moitié des infirmiers consultés s'inquiètent : nous ne sommes pas mieux préparés collectivement pour répondre à une nouvelle vague de contaminations
. Dans un contexte de recrudescence de l’épidémie et alors que notre système de santé est entièrement mobilisé pour à la fois lutter contre l’épidémie de Covid19 et assurer la continuité des autres, ils rappellent d'ailleurs, une fois encore, que les instances sanitaires ne se reposent pas suffisamment sur eux en ville pour lutter contre la covid et ses conséquences
(par exemple pour réaliser les tests de dépistage, poursuivre les soins des patients chroniques et/ou non covid, ou encore pour le suivi à domicile des patients contaminés). L'ONI le répète : il est urgent de revoir le décret qui encadre l’exercice de notre profession pour prendre en compte et officialiser ces compétences additionnelles, d’ores et déjà mises en œuvre au quotidien par les infirmiers
. Un avis rappelé récemment lors des Etats Généraux infirmiers
accompagné de bien d'autres propositions...
"Jeter sa blouse"... ils sont de plus en plus nombreux à le penser
33% des infirmiers déclarent qu’ils étaient en situation d’épuisement professionnel avant la crise
, ils sont aujourd’hui 57% à déclarer être en situation d’épuisement professionnel depuis le début de la crise
, avec un fort risque d’impact sur la qualité des soins pour près de la moitié d’entre eux.
Alors que des milliers de postes d'infirmiers sont vacants en cette rentrée 2020 - quelques 34 000 postes - et que le besoin d''en créer plus encore, cette consultation souligne également que trop c'est trop et que la capacité de résilience semble avoir atteint ses limites. Plus d'un tiers des infirmiers estiment que la crise que nous traversons leur a donné l’envie de changer de métier
et quatre sur dix ne savent pas s’ils seront toujours infirmiers dans 5 ans
.
Alors certes, les Instituts de formation en soins infirmiers semblent avoir fait le plein à la rentrée avec une nouvelle promotion d'étudiants 2020-2023. Qu'en sera-t-il pour eux, comment vont-ils vivre leurs trois années de formation, dans quel climat sanitaire et avec quelles perspectives professionnelles ? Nul ne le sait. Par contre, ce que l'on sait, et que l'on doit faire savoir une fois encore, c'est le danger que représente une profession dans une telle souffrance, voire une telle désespérance. Pour sa pérennité et pour le système de santé qu'elle sert avec compétences et expertise si admirablement. Après les paroles bienveillantes, les actes... Mesdames et Messieurs les décideurs, ouvrez grand vos yeux et vos oreilles. Le 15 octobre, la profession, à nouveau mobilisée, devrait donner de la voix, pour peu qu'il lui reste encore un peu d'énergie à le faire... l'énergie du désespoir.
Pour l'ONI, dans ce contexte, "adopter et mettre en place des mesures urgentes pour protéger les infirmiers à court terme et renforcer à plus long terme l’attractivité de la profession sont indispensables, si l’on veut pérenniser l’engagement des professionnels et en attirer de nouveaux".
*Consultation réalisée du 2 au 7 octobre 2020 auprès des 350 000 infirmiers inscrits à l’Ordre et à laquelle 59 368 infirmiers ont répondu.
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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