Dressant le tableau catastrophe d'un hôpital fracassé par une bureaucratie aussi déshumanisante que destructrice, le psychiatre Bernard Granger lance un appel d'urgence pour la santé.
Quand la bureaucratie détruit l’hôpital
Excel m'a tuer : l’hôpital fracassé (Odile Jacob)
On pourrait y voir un pamphlet, mais Bernard Grangier ne se pose pourtant pas en auteur qui grossirait le trait. Au contraire, il assure avoir édulcoré nombre d'exemples attestant de l'étendue d'un désastre
causé par une impéritie bureaucratique qui peut rendre la situation de l'hôpital au- delà du vraisemblable
. Un fonctionnement ubuesque réclamant, par exemple, quatre mois, la mobilisation de trois services, et finalement la mise en pratique du système D sans respect des procédures pour percer un trou dans une cloison nécessaire au branchement d'une photocopieuse dont le déménagement dans un couloir permet de faire de son local initial un box de consultation. Avec comme seul commentaire d'un directeur de l'APHP à qui le psychiatre raconte l'anecdote : C'est partout pareil
. Comme si une forme de paralysie administrative relevait de la fatalité, et qu'on ne pouvait donc rien y faire. Bernard Granger estime au contraire que ça suffit
. Car notre système de santé français pâtit trop lourdement de la bureaucratie et de sa vision comptable qui ont fait de l'hôpital un lieu de maltraitance que les soignants ont désormais tendance à fuir. Après plus de quarante ans d'exercice, ce médecin a l'impression d'assister à un effondrement, et sonne l'alarme.
De lieu de soin à espace de management
Le livre montre comment l'hôpital, destiné à soigner, est devenu un espace de management, d'abord par petites touches, puis avec un virage net imposé par la loi Hôpital, Patient, Santé, Territoires (HSPT) de 2009, résumé ainsi par le président de la République de l'époque, Nicolas Sarkozy : Il faut qu'il y ait un seul patron à l'hôpital, et ce patron, c'est le directeur
. Sauf que ce patron est en fait devenu la courroie de transmission et de contrôle d'une politique nationale reposant non sur le soin mais sur les chiffres, avec comme référence suprême le tableau Excel, outil de ce reporting qui fait perdre un temps précieux aux soignants. S'est aussi imposé une gouvernance par les euros
et donc la tentation pour les hôpitaux de pratiquer des actes médicaux parfois inutiles mais rentables dans une logique de rationalisation incompatible avec le sens même du soin. Un modèle bureaucratique qui a toutefois pu être supplanté lors de la première vague du Covid par des soignants qui ont su prendre des initiatives salvatrices en anticipant les décisions d'une administration centrale alors redevenue soutien. Sans doute un exemple à suivre pour tendre vers un processus décisionnel fondée sur un principe de subsidiarité ascendante
, comme le prône Bernard Grangier en appelant à ce que chaque décision soit prise au niveau pertinent, le plus bas possible en fonction du rôle et des responsabilités que chacun est à même d'assumer
. Comme d'autres, il estime que les soignants doivent retrouver leur capacité à décider
alors que l'incompétence des directions sur l'organisation des soins est délétère
. Sévère mais juste, le psychiatre fustige un système de santé qui se perd dans l'administration et les réunions verbeuses, et livre finalement une solution de bon sens pour sauver l'hôpital : la vie bureaucratique doit s'effacer devant la vie tout court
.
Et aussi
Reportage
Ils sont infirmiers de campagne, de Fanny Cheyrou, Pocket.
Selon Fanny Cheyrou, personne ne peut imaginer ce que vit l'infirmier de campagne au quotidien. Tel un caméléon, il passe d'une maison à l'autre, d'un monde à l'autre
, et sa journée ressemble à un patchwork : de la vieille dame en fin de vie à l'enfant brulé accidentellement.
Cet inimaginable, la journaliste nous y fait pénétrer avec un reportage en immersion à Saint Perdon où les deux infirmiers de ce village de 1800 habitants ont tissé une relation intime avec la population. Il y a d'abord eu Ludo, rejoint en 2018 par Maxime, et tous deux ont choisi ce qui peut ressembler à un sacerdoce car l'infirmier de campagne a tendance à remplacer aussi bien le médecin que le curé du village. Il sera même souvent homme à tout faire quand on lui demande d'aller chercher les médicaments, du pain, du bois ou de couper les griffes du chien. Apportant évidemment du soin, ces infirmiers incarnent surtout une présence qui s'avère hautement attachante. Ils nous font vivre une enrichissante aventure humaine que sa ré-édition en poche donne une bonne occasion de découvrir en prenant le pouls d'un monde rural où l'infirmier devient fondamental par ces temps de désert médical.
Guide pratique
Urgences pour l'infirmière, d'Aymeric Lapp, édition Lamarre
L'urgence est une situation face à laquelle tout professionnel de santé doit pouvoir face, et cela concerne tout particulièrement l'infirmier exerçant en dehors d'un établissement de santé. Il se retrouve alors en première ligne, avec souvent peu de moyens matériels, et la nécessité de réagir de façon adéquat en sachant identifier et analyser le cas à traiter avec célérité mais sans agir dans la précipitation. Avec ce mémo, l'infirmier disposera d'un complément très complet aux formations aux gestes et soins d'urgence proposées par les centres d'enseignement implantés dans les hôpitaux. On y trouve les recommandations médicales, scientifiques et juridiques, mais surtout 54 fiches illustrées qui détaillent les situations d'urgences les plus courantes et les techniques de soins qu'il convient d'appliquer à chacune d'entre elles. De la crise d'angoisse à la douleur thoracique en passant par le risque d'incendie, et de l'inhalation d'oxygène à l'usage du défibrillateur sans oublier le volet pharmacologie, tout est dans ce guide pratique qui s'avère un outil précieux pour appréhender au mieux l'urgence.
Brice Perrier